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Cessons de voir les infirmières comme un problème budgétaire

27 juin 2003

par Gyslaine Desrosiers, présidente de l’O.I.I.Q.

Les infirmières sont vues comme un problème budgétaire au lieu d’être considérées comme une ressource rare, spécialisée et essentielle. Cessons de voir les infirmières comme un problème budgétaire. Le répit que nous connaissons relativement à la pénurie doit servir à revoir notre façon de considérer cette ressource rare.



Pour la première fois depuis de nombreuses années, le Québec affiche un bilan positif du nombre d’infirmières qui entrent dans le réseau par rapport aux départs à la retraite. L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) est le premier à s’en réjouir : nous délivrerons près de 2500 permis d’exercice de la profession en 2003, comparativement à 1000 en 2000. De son côté, le ministère de la Santé et des Services sociaux estime le nombre de départs à la retraite à 1900 cette année. Le réseau s’enrichit donc de 600 nouvelles infirmières.

Après avoir fait ce calcul mathématique simple et propagé la bonne nouvelle, qu’arrive-t-il ? Faut-il espérer que cela se reproduise l’an prochain ? Continuer à remplir les bancs d’école ? Se croiser les doigts pour que tous terminent leurs études ? La réponse à ces questions est : oui, mais encore ! Pendant que le gouvernement s’obstine à vouloir résoudre la pénurie d’infirmières uniquement de façon mathématique, nous perdons 15 % de nos jeunes dans les cinq premières années de leur arrivée dans les milieux. Et le système de santé persiste à gérer la ressource infirmière comme à l’époque des surplus, c’est-à-dire en la gaspillant, en l’épuisant.

À mon avis, la pénurie tant dénoncée n’est que la pointe de l’iceberg d’une question beaucoup plus complexe de gestion du système. Les infirmières sont vues comme un problème budgétaire au lieu d’être considérées comme une ressource rare, spécialisée et essentielle, qui évolue dans un marché hautement compétitif. Tout investissement à leur égard, pourtant mille fois nécessaire, est vu comme une dépense indue. Sauf l’été, où on donne maintenant des primes à celles qui acceptent de retarder leurs vacances.

Une gestion à courte vue

Pourquoi investir dans des programmes d’intégration des jeunes ou dans des activités de formation continue quand le réseau s’en est toujours tiré tant bien que mal jusqu’ici ? Pourquoi offrir des postes à temps plein ? De toute façon les infirmières n’en veulent pas, s’empressent de dire certains, les conditions sont bien trop difficiles… La vérité, c’est qu’en cherchant à maintenir au minimum, voire à couper les budgets de soins infirmiers, on nourrit la pénurie. Et on dépense des millions en temps supplémentaire.

Est-il normal qu’on annonce par pleines pages dans les journaux des postes " sept jours/quinzaine garantis " en pleine période de pénurie ? Comment expliquer que 28 % des infirmières de moins de cinq ans d’expérience soient encore sur appel ? Certains gestionnaires vont même jusqu’à prétendre qu’il faut réduire les ratios infirmière/patient sans tenir compte de la complexité des soins. C’est donc dire qu’il y en a encore trop !

La rareté de l’expertise infirmière exigera des façons de faire révolutionnaires qu’il faut d’ores et déjà envisager, mais comment induire les changements ? On peut continuer à faire ce qu’on a toujours fait au Québec, c’est-à-dire saupoudrer de l’argent ici et là, par exemple en payant des inconvénients relatifs au travail de nuit et de fin de semaine, et en maintenant les primes estivales. C’est un pari risqué : tôt ou tard, la réalité nous rattrapera, notamment lorsque les baby-boomers prendront leur retraite par grosses vagues, vers 2008.

On peut aussi décider de prendre soin de nos infirmières et d’agir sur leur satisfaction au travail. Cela veut dire améliorer leurs conditions : horaire flexible, garderie au travail, bonus à la formation, moyens pour concilier travail/famille, etc. On voit poindre une volonté d’aller dans ce sens depuis quelques années.

Une autre stratégie consisterait à considérer les infirmières comme une ressource qui a de la valeur et qu’il faut traiter comme tel. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas ce qui se passe présentement. Personne ne se préoccupe de planifier les besoins futurs du réseau en infirmières bachelières ou en infirmières spécialisées. Pire encore, la relève du corps professoral est gravement menacée, alors qu’il n’y a jamais eu autant d’étudiants sur les bancs d’écoles et que le ministère mise en partie sur les entrées dans les programmes de formation infirmière pour combattre la pénurie. Tout est laissé à l’aléatoire complet. On espère que certaines auront le courage de faire des études supérieures pour accéder à des fonctions de professeures, de cliniciennes ou d’infirmières-chefs.

Enfin, on peut choisir de réinventer et de voir les infirmières comme des partenaires incontournables pour assurer la viabilité du système de santé, non pas comme un budget à couper. Des analystes avisés ont maintes fois écrit que nous devons rendre la profession d’infirmière viable, sans quoi le système de santé restera en crise permanente. Ils ne sauraient mieux dire.

Le répit que nous connaissons relativement à la pénurie d’infirmières doit servir de temps d’arrêt pour poser les bonnes questions. Quels moyens mettrons-nous de l’avant pour empêcher les jeunes de quitter le réseau ? Choisirons-nous d’investir dans des programmes d’intégration et de jumelage avec des mentors ? Saurons-nous offrir aux infirmières d’expérience des conditions suffisamment intéressantes pour qu’elles acceptent de retarder leur départ à la retraite ? Et enfin, que mettra-t-on de l’avant pour améliorer les conditions d’exercice des infirmières ?

Cessons de vouloir régler la pénurie d’infirmières du bout des doigts et attaquons-là de front, une fois pour toutes. Au cours des derniers mois, le gouvernement libéral a répété avec insistance que la santé était sa première priorité. Le prochain budget nous dira s’il compte faire les bons choix. La survie du système de santé et des soins à la population en dépend.

Gyslaine Desrosiers, présidente de l’O.I.I.Q.

P.S.

Sisyphe reproduit intégralement ce texte qui a été publié dans les grands quotidiens en juin 2003.




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