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Agressions sexuelles - Invitation aux ministres qui souhaitent que les femmes dénoncent
29 novembre 2015
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J’ai eu l’occasion à deux reprises de discuter avec la ministre Stéphanie Vallée des conditions de vie des femmes victimes d’agressions à caractère sexuel et d’exploitation sexuelle. Elle a dit être sensible à ce qu’elle entendait, et je l’ai instinctivement crue. Je l’ai sentie à l’écoute et intéressée.
Cela m’a donc étonnée de lire ses propos : « J’invite les femmes qui sont victimes d’agressions sexuelles à porter plainte, parce que c’est d’abord et avant tout un acte criminel, et par la suite, la façon dont le dossier sera traité appartiendra au directeur des poursuites criminelles et pénales. » Je me suis dit la même chose que les membres des CALACS (Centre d’aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel), c’est-à-dire qu’elle n’avait rien compris. La réalité est pourtant facile à comprendre bien qu’inacceptable, alors j’ai repensé à nos échanges. Après mûre réflexion, je me suis dit qu’elle était peut-être simplement dépassée ? Comprendre et assimiler la réalité des femmes victimes d’agressions à caractère sexuel, perpétrées très majoritairement par des hommes, ce n’est pas évident dans une société patriarcale et au sein d’un gouvernement qui pense pas mal plus au « cash » qu’aux êtres humains. Alors je me trompe peut-être, mais je la crois surtout dépassée, et si c’est le cas, je la comprends un peu.
Quelques invitations
Or, même si je comprends, j’ai moi aussi quelques invitations à lui faire.
Tout d’abord, je l’invite à se surpasser au lieu de se laisser dépasser. Comme le font de plus en plus de femmes qui choisissent de dénoncer, malgré la peur que cela provoque. Malgré les conséquences multiples que la dénonciation a sur ces femmes, conséquences qui s’ajoutent à celles de l’agression. Elles sont quand même, il faut le souligner, de plus en plus nombreuses à dénoncer. Pour éviter à d’autres l’enfer qu’elles vivent, ou en espérant que cela leur apportera quelque chose, ce qui arrive parfois, mais vraiment pas toujours. Certaines se rendent au bout du processus, mais elles sont beaucoup trop nombreuses à ne pas y arriver.
Aucun des systèmes dans les méandres desquels elles se retrouvent ne semble être fait pour faciliter la dénonciation. C’est ce que la Ministre ne semble pas avoir compris, ou ce qui, du moins, paraît la dépasser.
C’est pourquoi je ressens aussi l’envie de répondre à la Ministre qu’avant d’inviter les femmes à dénoncer, il faut leur en donner les moyens, parce qu’après avoir été violée, on les perd souvent, nos moyens. Elle est pas mal mieux placée que les victimes pour revendiquer que des mesures soient mises en place afin d’aider les femmes à dénoncer. Et comme elle semble vouloir que nous dénoncions, je l’invite à nous y aider, ainsi que ceux et celles qui partagent son désir de nous voir dénoncer, et qui détiennent eux et elles aussi le pouvoir de simplifier le processus.
Je les invite à interpeler ceux qui nuisent directement aux femmes qui veulent dénoncer, afin qu’ils cessent. Parce que même si seulement 10 p. 100 des femmes dénoncent (et le pourcentage est sans doute encore plus faible), beaucoup plus de femmes agressées souhaiteraient le faire, et elles se remettraient mieux si elles le pouvaient. Dans les faits concrets, cependant, il n’est pas toujours possible de dénoncer.
Je les invite à interpeler les policiers qui prennent les plaintes de façon telle que, trop souvent encore, les femmes n’osent plus en porter. Je les invite à les interpeler afin qu’ils arrêtent de miner l’immense courage que ces femmes ont dû aller chercher au plus profond d’elles-mêmes pour enfin faire appel à eux.
Je les invite à interpeler les avocats et les avocates qui défendent les « présumés » agresseurs en attaquant la réputation et la crédibilité des « présumées » victimes, voire en les intimidant. Ils et elles doivent développer des techniques pour défendre leurs clients qui ne se résument pas à s’en prendre aux « présumées » victimes.
Je les invite à interpeler les juges qui donnent des sentences bonbons à des agresseurs, des récidivistes et carrément des monstres de tout acabit, afin que cela semble valoir le coup de poursuivre le processus quand l’enquête s’étire et nuit au processus de guérison.
Je les invite à faire des pressions afin que des moyens soient pris pour que les enquêtes soient plus rapides et efficaces.
Je les invite vraiment très fort à faire en sorte que les hommes pressentis coupables mais libres, parce qu’en attente de leur procès, soient véritablement et efficacement surveillés. Pour le moment, ils peuvent souvent continuer d’intimider leurs victimes par des moyens plus ou moins détournés, ou d’en faire d’autres, ce qui m’apparaît absolument inadmissible.
Réforme nécessaire à l’IVAC
Je les l’invite enfin, pour la troisième fois, à tout faire en leur pouvoir pour que ça bouge à l’IVAC (indemnisation aux victimes d’actes criminelles), plus vite, plus efficacement et POUR le bien les victimes, pas à leur encontre.
Il semblerait qu’une réforme est en cours à l’IVAC. Tant mieux, parce que sérieusement, il était temps.
J’invite par ailleurs les Ministres et décideurs concernéEs à faire pression sur ceux qui y travaillent. À mettre au moins autant de pression que celle que les gens de l’IVAC impose aux femmes agressées sexuellement, en exigeant d’elles des tonnes de documents et en leur imposant des démarches difficiles, alors qu’elles sont encore traumatisées et essaient de recoller les morceaux épars de leur vie et de leur estime en miettes.
Je les invite aussi à essayer de faire en sorte que les crimes reconnus dans le Code pénal le soient aussi par l’IVAC. Cela me semble aussi élémentaire qu’évident, et donnerait un minimum de crédibilité à la chose.
Je les invite de plus à s’interroger sérieusement au sujet des délais accordés aux femmes victimes d’agression sexuelle. Ils sont beaucoup trop courts, selon plusieurs. Il faut souvent laisser passer du temps avant d’être capable de revisiter et de verbaliser l’abject.
Que la dignité des femmes soit la première préoccupation des agents ne serait pas un luxe non plus, pas plus que d’avoir accès à UNE agentE quand elles le demandent. Je les invite aussi à travailler là-dessus si elles et ils en ont l’occasion.
En gros, j’invite les Ministres concernéEs à faire en sorte que les femmes agressées sexuellement qui font appel à l’IVAC ne soient pas si nombreuses à avoir l’impression d’avoir eu à faire à des robots sans cœur, lors de leurs démarches.
C’est beaucoup d’invitations, je le sais, et elles exigent toutes pas mal de travail et de persévérance, j’en suis bien consciente. Cette somme de travail est néanmoins dérisoire quand on la compare au travail et à l’acharnement dont doivent faire preuve les femmes qui tentent de se remettre d’une agression sexuelle ou qui cherchent à dénoncer leur agresseur.
Sérieusement, quand une des institutions censées t’aider te nuit plus qu’autre chose, ça part très mal la relation entre le système de justice et la victime. Quand ceux et celles qui sont supposés être là pour te protéger ou pour t’aider à te remettre d’un crime te traitent comme si tu avais couru après, cela donne peu d’espoir pour le reste. Quand ils et elles réagissent comme si tu délirais parce que t’as perdu des bouts, alors que c’est juste normal dans ce contexte, cela fait douter de soi et mine le peu d’estime de soi qui peut te rester. Quand ils et elles semblent trouver que tu es donc mésadaptée de pas arriver à gérer et répondre à leurs multiples demandes dans les délais prescrits, c’est désespérant. Pour vrai là, assez pour nuire énormément à certaines femmes et à leurs enfants, assez pour que la plupart abandonnent les démarches qui leur donneraient accès à de l’aide, une aide à laquelle elles ont droit.
Quand tu as été agressée et que tu souhaites porter plaine, quand tu es traumatisée et que tu veux que cela arrête, c’est très dur de constater que l’espoir que tu avais d’être soutenue et protégée s’effondre ou exige une lutte stressante. Parfois, c’est LA goutte de trop. Et c’est ce qui arrive trop fréquemment dans un processus de dénonciation ou quand une aide de l’IVAC est réclamée. Plusieurs femmes abandonnent les démarches, plus désespérées et désillusionnées que lorsqu’elles les ont entamées, alors qu’elles étaient pourtant déjà terrassées quand elles les ont faites.
Quand tu travailles auprès de femmes qui ont besoin d’aide pour se remettre d’une agression, assister à cela écœure, révolte plus qu’un peu.
Il faut un soutien intense pour se rétablir et dénoncer une agression à caractère sexuel, bien plus que ce que les organismes ont les moyens d’offrir.
Les besoins de base doivent être comblés afin de ne pas abandonner pendant le long processus qui suit la plainte, bien plus que ce que l’IVAC permet d’obtenir en temps opportun.
Cela prend des intervenants et des intervenantes capables de faire preuve d’une réelle humanité surtout, tout au long du processus, et qui possèdent les outils pour comprendre, compatir et agir.
Bien sûr, il faut se garder de généraliser, car il y a certainement des agents et des agentes de l’IVAC très humains, mais cela ne semble pas être une des compétences principales exigées pour « le job », moi c’est ce genre de truc qui me dépasse.
Des conditions de base doivent être réunies pour faciliter les dénonciations. Quand tous les Ministres et décideurs qui souhaitent qu’il y en ait davantage se seront assez surpassés pour que ces conditions soient réunies, comme nous sommes si nombreuses à le faire pour nous reconstruire, alors nous serons plus nombreuses à dénoncer. D’ici là, s’il vous plaît, laissez nous guérir comme nous pouvons...
– Le CAFES : site Web.
– La page Facebook.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 novembre 2015