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L’autonomie de la FFQ, véritable enjeu de l’élection à la présidence

29 juin 2003

par Micheline Dumont, historienne et professeure émérite, Université de Sherbrooke

La Fédération des femmes du Québec vient de tenir un colloque, à la fin de mai, sur le thème " S’ouvrir à la diversité du mouvement des femmes. Tendances et résonances " et elle prépare un congrès d’orientation pour l’automne. À son assemblée générale annuelle qui a suivi ce colloque, les membres de la FFQ ont choisi une nouvelle présidente. Pour la première fois depuis 22 ans, la nouvelle présidente a été choisie à l’issue d’une élection et n’a pas été désignée par acclamation, comme on disait dans le temps. La presse écrite a surtout mentionné que l’ancienne présidente, Vivian Barbot, qui était à nouveau candidate, a été défaite. Par la suite des informations fragmentaires ont été publiées. Des femmes noires ont invoqué le racisme pour expliquer cette défaite de Vivian Barbot à la présidence de la Fédération des femmes du Québec. De son côté, Vivian Barbot invoque plutôt des problèmes à l’interne et une soi-disant lutte entre les féministes lesbiennes et les hétérosexuelles. La réalité est peut-être moins spectaculaire et surtout moins anecdotique.



La Fédération des femmes du Québec existe maintenant depuis 1966, près de quarante ans. Il vaudrait la peine de se pencher sur son histoire, (qui n’a malheureusement pas été faite) pour comprendre la nouvelle conjoncture. Sur le site internet de la FFQ, on passe sans transition de l’année 1966 à l’année 1992. Dans le dernier document d’orientation produit par la FFQ, Enraciner l’avenir, on consacre trois paragraphes aux années 1966-1990, et quatre pages aux années 1990-2003. Il est clair que l’action de la FFQ durant un quart de siècle est aisément occultée et qu’il s’est produit durant la dernière décennie des transformations importantes. Je voudrais les souligner mais dans le cadre plus vaste de l’évolution du féminisme québécois.

La durée

La première association féministe québécoise, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, fondée en 1907, était devenue moribonde au bout de quarante ans, faute de relève. Elle s’est éteinte doucement après avoir célébré son cinquantenaire dans la nostalgie, en 1957. Cette association ne recevait aucun financement public et a pu, durant les premières décennies, financer ses opérations, acheter une maison, l’agrandir, en organisant des collectes de fonds. Elle a pu survivre si longtemps à cause du soutien financier des Sœurs du Bon Conseil de Montréal, congrégation religieuses fondée par la fille de la fondatrice de la FNSJB, Marie Lacoste Gérin-Lajoie.

La Ligue des droits de la femme, fondée en 1928 par Thérèse Casgrain, et l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec fondée la même année par Idola Saint-Jean, disparaissent en 1945, après l’engagement politique de Thérèse Casgrain et le décès d’Idola-Saint-Jean. Leur durée ne dépasse pas vingt ans. Ces deux associations ne recevaient aucun financement public et avaient un budget basé essentiellement sur les cotisations des membres, les activités bénéfices et les commanditaires. Leur membership était peu important. Ces deux groupes, fortement identifiés à leur présidente fondatrice, n’ont pas survécu à leur départ.

La Fédération des femmes du Québec a toutefois franchi le cap de la première génération et surtout, s’est assurée une relève significative. C’est cette relève qu’il faut donc examiner. On observera alors qu’il s’est produit des modifications importantes à plusieurs niveaux.

Le membership

Le membership de la Fédération des femmes du Québec s’est beaucoup transformé en quatre décennies. Fondée à l’origine comme un rassemblement de groupes féminins, la Fédération a cependant été dirigée principalement par des membres individuelles, réunies dans des conseils régionaux (Montréal, Québec, Sherbrooke, Thetford Mines, Chicoutimi et Lac Saint-Jean). Les premières présidentes et responsables étaient presque toutes issues du membership individuel dont le vote était déterminant au moment des assemblées générales.

Durant les deux premières décennies, la FFQ était la championne des mémoires étoffés devant les diverses instances gouvernementales. Elle a contribué à la mise sur pied, en 1967, de la Commission Bird ; à la discussion du rapport de cette Commission royale d’enquête en 1971 ; à la demande d’un Conseil du statut de la femme, en 1970. Elle était la représentante autorisée des groupes de femmes. Plusieurs des membres privilégiaient l’analyse politique des situations.

Mais à partir des années 1980, grâce à la présence de groupes autonomes de femmes plus radicaux apparus durant les années 1970, les femmes ont mis sur pied des services nombreux (emploi, soutien des femmes monoparentales, contre la violence domestique, santé des femmes, sage-femmes, agressions sexuelles, lutte à la pornographie, centres de femmes, etc), qui se sont regroupés à partir de 1980 et ont adhéré à la FFQ. Financés par divers paliers de gouvernement (fédéral, provincial et municipal), ces groupes sont devenus des membres beaucoup plus influents au sein de la FFQ. Leurs représentantes, contrairement aux membres individuelles, étaient des salariées du mouvement des femmes. Les membres individuelles, quant à elles, étaient des femmes actives sur le plan professionnel, la plupart devant aussi élever leur famille. Elles avaient moins de temps pour le militantisme. Progressivement, ces groupes de service ont acquis une influence prépondérante.

L’ensemble de ces groupes a constitué, à l’instigation même de la FFQ, un grand regroupement nommé Le groupe des 13 en 1986, auquel s’est joint l’AFÉAS, l’autre groupe le plus influent du mouvement des femmes au Québec. Ce regroupement a donné à l’évènement Un Québec féminin pluriel, en 1992, initié par la FFQ, un retentissement exceptionnel, alors que le débat constitutionnel était à son apogée.

Le financement

À l’origine, la FFQ n’avait pas d’employées et ses responsables travaillaient bénévolement. Mais la Fédération a pu se prévaloir, à l’instar d’autres groupes féminins et féministes, de subventions statutaires de fonctionnement ou de projets. C’est une variable importante, essentielle à son évolution. Ce n’est que très progressivement que les responsables ont mis en place un secrétariat qui s’est développé au fur et à mesure que les activités se multipliaient et ont obtenu le financement nécessaire à la mise en place d’une permanence pour la publication de la revue, la préparation d’un congrès annuel, la rédaction des communiqués, la rédaction des mémoires, le service de secrétariat de plus en plus lourd. Toutefois, à partir de la fin des années 1980, avec la présence de gouvernements ouvertement néo-libéraux, autant à Québec qu’à Ottawa, les règles de financement ont été modifiées, créant des problèmes de gestion interne. À partir de ce moment, le financement par projets est devenu dominant et a remplacé le financement de fonctionnement. Par ailleurs, sur le plan canadien, la FFQa le statut d’organisme régional et n’a pu de ce fait, bénéficier du financement de fonctionnement prévu pour les organismes pan-canadiens, pendant de nombreuses années..

Le statut de la présidente

En 1990, pour la première fois, après une crise interne complexe qu’il serait trop long de rapporter, la présidente de la FFQ est devenue elle même salariée, son statut se trouvant ainsi modifié par rapport aux membres du Conseil d’administration. Toutefois, la gestion interne de la FFQ continuait d’être assurée par une coordonnatrice. En 1994, arrive à la présidence de la FFQ Françoise David, qui demeure en poste sept ans, du jamais vu à la FFQ. Seule Ginette Busque avait présidé l’organisation pendant cinq ans, de 1984 à 1989. La plupart des présidentes avaient occupé le poste pour une durée quatre ans et moins. Or, la présidence de Françoise David a été très personnalisée et médiatisée, autre élément nouveau à la FFQ : aucune ancienne présidente n’a connu une telle notoriété, et pourtant, les états de service de chacune sont impressionnants quand on considère la grande quantité de dossiers qui ont été traités. On peut penser que le départ de Françoise David ait suscité de la nostalgie chez les permanentes.

La réforme des structures et des actions

En 1993, changement d’orientation et de structures à la FFQ. Les structures de représentation sont alors modifiées pour donner plus d’importance aux représentantes des regroupements de services : le pouvoir de décision va passer définitivement du côté des membres salariées. En même temps, la FFQ entreprend un virage pour se mettre au service des femmes les plus démunies et pour rejoindre les femmes du monde entier. Par ailleurs, l’action de la FFQ se polarise sur l’organisation d’événements spectaculaires et mobilisants, la Marche Du pain et des roses , en 1995 et l’organisation de la Marche mondiale des femmes en 2000.

L’association avec des organismes plus larges

Tout au cours de son existence, la Fédération des femmes du Québec a fait partie, par intermittence, d’un organisme féministe pan- canadien, le Comité National d’Action, mieux connu sous son sigle anglais NAC (National Action Committee). La participation a été intermittente à cause de la situation politique. À deux reprises, en 1982, au moment du rapatriement de la Constitution et en 1992, au moment du référendum de Charlottetown, la FFQ a quitté NAC parce que les représentantes du Canada s’opposaient à la position politique des déléguées québécoises. Cela n’est pas innocent.

La FFQ a donc refusé à deux reprises d’être inféodée à un organisme extérieur à ses structures. Et pourtant, on propose en ce moment, dans le document qui prépare le congrès d’orientation de l’automne prochain, une nouvelle structure qui place la FFQ en dépendance d’un organisme international, issu de la Marche mondiale des femmes, le Mouvement mondial des femmes.

Nous sommes donc en présence d’une triple mutation à la Fédération des femmes du Québec : dans le membership ; dans le statut de la présidente et dans les structures. Nous sommes même devant une proposition de les modifier à nouveau. Qu’il n’y ait pas consensus sur cette proposition est la moindre des choses. Qu’en résultera-t-il ? Les propos de Vivian Barbot, au moment de la dernière élection, laissent croire que son intention de garder l’autonomie de la FFQ, face au Mouvement mondial des femmes, a pu peser dans la balance au moment de l’élection. Elle craint que la FFQ ne devienne une coquille vide, et plusieurs membres sont de son avis. Et pourtant, on propose en ce moment, dans le document qui prépare le congrès d’orientation de l’automne prochain, (si on en croit l’organigramme de la page 22 du document Enraciner l’avenir. Une démarche essentielle de la FFQ,) une nouvelle structure qui place la FFQ en dépendance d’un organisme international, issu de la Marche mondiale des femmes, le Mouvement mondial des femmes.

À tout prendre, l’élection de la nouvelle présidente de la FFQ est un signe de vitalité démocratique à la FFQ. Chose certaine, la FFQ a réussi à susciter une relève. C’est certainement l’élément le plus important. Mais la vigilance doit être au rendez-vous. L’ouverture entraîne les discussions. Espérons que le public et les journalistes finiront par comprendre que le mouvement féministe n’a jamais été unanime et que la pire des choses qui pourrait lui arriver serait de le devenir. Le débat féministe pose des questions fondamentales. En un siècle, ce mouvement politique a produit des changements importants. Mais comme le disait Thérèse Casgrain, en 1940, quelques jours après l’obtention du droit de vote pour les Québécoises : "Notre véritable travail ne fait que commencer ! ".

Pour mémoire, voici la liste des personnes qui ont assumé la présidence de la FFQ depuis la fondation. Sans elles, la FFQ n’aurait pu franchir les décennies.

Réjane Laberge-Colas : 66-67 (1 an)
Rita Cadieux : 67-69 (2 ans)
Marie-Paule Dandois : 69-70 (1 an)
Yvettte Boucher-Rousseau : 70-74 (4 ans)
Ghislaine Patry-Buisson : 74-77 (3 ans)
Sheila Abby-Finestone : 77-80 (3 ans)
Gabrielle Hotte : 80-81 (1 an)
Huguette Lapointe-Roy : 81-83 (2 ans)
Denise Rochon : 83-84 (1 an)
Ginette Busque : 84-89 (5 ans)
Constance Middleton-Hope : 89 (_ année)
Collective : 1989-1990 (_ année)
Germaine Vaillancourt : 1990-1992 (2 ans)
Céline Signori : 1992-1994 (2 ans)
Françoise David : 1994-2001 (7 ans)
Vivian Barbot : 2001-2003 (2 ans)
Michèle Asselin : 2003-

Mis en ligne sur Sisyphe le 13 juin 2003

Micheline Dumont, historienne et professeure émérite, Université de Sherbrooke

P.S.

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