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Des Palestiniennes créent une banque de semences pour préserver leur héritage agricole
Traduction : Femmes en noir et Sisyphe

1er mai 2016

par Peter Beaumont, The Guardian

Dans le lieu de naissance de l’agriculture, des moissons traditionnelles se meurent. Mais une femme a un plan pour les préserver.



Dans les collines rocailleuses de la Cisjordanie palestinienne, des paysans ont appris il y a longtemps à s’adapter aux extrémités du climat qui font du printemps la saison la plus courte. Dans cette partie du monde où est née l’agriculture, ils avaient découvert des variétés de plantes qui pouvaient survivre même arrosées seulement par des pluies occasionnelles.

Mais des facteurs combinés, comme le changement climatique d’origine humaine, l’incursion sur les terres palestiniennes de colonies israéliennes et la mise sur le marché de variétés hybrides par des compagnies agricoles, menacent une forme d’agriculture qui caractérise à la fois la culture et l’identité palestiniennes, s’intégrant dans le langage, les chants et les dictons.

Toutefois, une initiative vient maintenant d’être lancée pour sauver l’« héritage » agricole de la Palestine : il s’agit de la première banque de semences destinée à préserver les variétés traditionnelles - employées par les paysans pendant des générations – avant qu’elles ne disparaissent pour toujours.

La Palestine Heirloom Seed Library qui sera officiellement lancée en juin, représente un effort pour éduquer les Palestinien-nes aux formes traditionnelles de l’agriculture en Terre Sainte, qui risquent d’être oubliées, ainsi qu’à la culture qui y est associée.

La Bibliothèque s’ajoute à une banque de semences établie par l’Union of Agricultural Work Committees en 2008 afin d’accroître le revenu des petites exploitations agricoles en Palestine, et d’enregistrer et de documenter des spécimens de semences.

La Palestine Heirloom Seed Library préservera « l’héritage » de variétés particulièrement adaptées à la Cisjordanie. Le projet, soutenu par la Fondation Qattan, est l’idée personnelle de Vivien Sansour, qui a étudié et travaillé à l’étranger avant de retourner dans la ville de Beit Jala en Cisjordanie.

Ses expériences au Mexique et son travail avec des paysans de la ville de Jenin en Cisjordanie l’ont motivée à lancer ce projet. « J’avais quitté la Palestine depuis longtemps », a dit Sansour. Après mon départ, ce dont je me souvenais, c’étaient les odeurs et les goûts. Quand je suis revenue, j’ai réalisé que ce dont je me souvenais était menacé de disparition ».

« Cette menace avait différentes causes : des compagnies agricoles imposant certaines variétés de plantes, certaines méthodes de culture ainsi que les changements climatiques. Des problèmes liés à l’expansion de colonies israéliennes ont aussi mencé des terres où des gens cherchaient des plantes comestibles – comme le chardon akub.

« J’ai pris conscience que quelque chose de plus profond était menacé, soit un sentiment d’identité culturelle. Les chants que les femmes chantaient dans les champs. Des phrases, même des mots que nous utilisons. Donc, le projet consiste à la fois à préserver la biodiversité locale, et à reconnaître l’importance dans la culture palestinienne de méthodes agricoles traditionnelles. »

Pour beaucoup de villageois palestiniens, des lopins de terre du genre jardin familial, appelés en arabe « morceaux de paradis », ainsi que la saison de plantation de multiples cultures traditionnelles appelée ba’al, font partie des traditions.

« Il y a des légumes et des herbes qu’on plante à la fin des pluies printanières et généralement avant la St-George. Il s’agit de variétés qui se sont bien adaptées, au cours des années, au climat et au sol de la Cisjordanie », a dit Sansour.

Le projet préservera, espère-t-elle, plusieurs variétés de plantes y compris des variétés de concombres, de courges et de pastèques, autrefois fameuses dans toute la région et qui risquent de mourir. « Il y a une sorte de grande pastèque, appelée jadu’i, qu’on cultivait dans le nord de la Cisjordanie. Avant 1948, 0n l’exportait dans toute la région. Elle était fameuse dans des endroits comme la Syrie. Elle a presque disparu. Une découverte des plus excitantes jusqu’ici est que nous avons trouvé certaines semences pour cette variété de pastèque. Ces semences ont sept ans, donc nous devons voir si elles sont viables. »

Un aspect du projet, dont Sansour espère qu’il sera finalement accueilli dans un nouveau centre scientifique de la Fondation Qattan à Ramallah, a consisté à former des enseignant-e-s au sein d’un projet pilote pour réapprendre à des étudiant-e-s de vieilles pratiques agricoles. Inam Owianah est l’une de ces enseignant-e-s et elle enseigne à des enfants de 12 à 15 ans. « J’enseigne en sciences, dit-elle. Une partie du curriculum est le cycle de croissance. J’ai été invitée à un atelier de la Palestine Heirloom Seed Library.

« Je n’étais même pas sûre de ce qu’était une variété appartenant à l’héritage agricole. Et puis, j’ai compris ! Il ne s’agissait pas seulement de semences, mais d’un lien intime avec notre héritage. Et les étudiant-e-s ont commencé à comprendre que la civilisation ne concernait pas simplement des édifices mais aussi un mode de vie. C’est pourquoi ma grand-mère gardait les meilleures aubergines et courgettes pour les semences de l’année suivante », a dit Owianah.

« J’ai alors proposé à mes élèves de demander à leurs grands-parents et parents de leur raconter des histoires et des dictons associés aux plantes. »

Sur le lopin de Sansour à la périphérie du village de Battir, près de l’autoroute Jérusalem-Tel-Aviv où elle plantera ses propres variétés ba’al dans les jours à venir, des fenouils, des mauves, des blettes et de la menthe poussent abondamment. Sur les murs de pierre, elle montre des herbes comestibles.

On a déjà préparé pour la saison des plantations d’autres lopins environnants qui emploient des pesticides au glyphosate. « Vous pouvez voir la différence », dit-elle, en cueillant d’un air désapprobateur une poignée de fenouil sauvage de son propre lopin non traité pour le manger. On peut voir combien il est sauvage et succulent, même avant d’être préparé pour la plantation.

« Selon un vieil adage palestinienne, celui qui ne mange pas le fruit de sa propre herminette* ne sait pas penser par lui-même. »

* L’herminette est un outil de travail du bois. C’est une sorte de hache dont le plan du tranchant est perpendiculaire au manche, alors que le plan du tranchant de la hache est dans le même plan que le manche.

. Source originale : The Guardian 23 avril 2016.

. Traduction : Édith Rubinstein, Femmes en noir et Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 avril 2016

Peter Beaumont, The Guardian


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