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La Loi québécoise sur l’équité salariale : la fin des inégalités de rémunération entre hommes et femmes ?

23 janvier 2017

par Louise Boivin, politologue

La fin de l’année 2016 a marqué les vingt ans de la Loi sur l’équité salariale. Adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale du Québec le 21 novembre 1996, cette législation oblige les employeurs, dont l’entreprise compte dix salariés et plus, à corriger les écarts salariaux discriminatoires entre les catégories d’emplois à prédominance féminine et celles à prédominance masculine. La Loi sur l’équité salariale vise une mise en œuvre plus efficace du droit à « un salaire égal pour un travail équivalent » reconnu depuis 1975 dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne.

Aux fins de l’application de la loi québécoise, j’ai développé un processus d’équité salariale et j’ai effectué diverses interventions d’assistance, notamment auprès de petites et moyennes entreprises. À la lumière des nombreuses observations empiriques colligées et au terme d’une réflexion sur l’équité et la justice sociale, j’ai procédé à une analyse critique afin de mieux cerner le potentiel de changement induit par la mise en application de cette législation. Je soumets ici une courte réflexion tirée de mon étude (1).

Une politique féministe ambitieuse

Issue de l’action militante des groupes féministes et syndicaux depuis les années 1980, la loi québécoise, de nature « proactive », peut être qualifiée de politique féministe. S’adressant spécifiquement aux effets de la division sexuée du travail, cette législation reconnaît le caractère systémique de la discrimination salariale et libère les femmes de l’obligation de démontrer l’injustice subie. De plus, la Loi sur l’équité salariale comporte un important enjeu de reconnaissance de la valeur du travail des femmes. En effet, même si la position salariale des catégories d’emplois à prédominance féminine est au cœur de son application, c’est d’abord la qualification du travail des femmes qui se trouve mise en question dans la démarche « non sexiste » d’évaluation des emplois prescrite par la loi.

Mais la loi québécoise est aussi une politique publique ambitieuse. D’une part, la réalisation de l’équité salariale suppose un changement de « regard » sur les compétences associées au travail féminin, souvent considéré comme peu qualifié. D’autre part, c’est dans chacune des entreprises que doit se réaliser l’équité salariale, soit le lieu même ou s’actualise la discrimination alors que les catégories d’emplois à prédominance féminine et celles à prédominance masculine, relevant pour la plupart de différents groupes professionnels, ont l’habitude d’être traitées selon une logique distincte aux fins de l’établissement des échelles salariales. Sans oublier que l’implantation de l’équité salariale s’insère au cœur même de relations de travail déjà installées. Au-delà des discours normatifs, on peut aisément envisager que les employeurs et les syndicats font face à certaines difficultés dans l’application de cette législation qui porte sur un droit fondamental réputé « non négociable ».

Une législation efficace ?

Il ne fait aucun doute que la Loi sur l’équité salariale favorise davantage la correction de la discrimination salariale que le dépôt de plaintes en vertu de l’article 19 de la Charte québécoise. En témoignent les nombreux ajustements accordés dans le secteur public, monde de femmes largement syndiqué dont la rémunération fait l’objet de négociations centralisées. Toutefois, dans le secteur privé, les résultats sont plus mitigés. Si une majorité d’employeurs affirment avoir effectué un exercice d’équité salariale, un certain nombre n’ont pas encore, à ce jour, complété leurs travaux. D’autres disent s’être conformé à la loi mais sans constater d’écart salarial discriminatoire.

Malgré la présence d’une Commission de l’équité salariale responsable de l’administration de la loi, son application s’avère donc en pratique fort variable en raison des différentes dérogations et exceptions introduites dans le texte législatif. Ainsi, aucune obligation n’est faite aux employeurs dont l’entreprise compte moins de 50 salariés concernant la démarche d’évaluation des emplois et la participation du personnel alors que, paradoxalement, les écarts salariaux y sont plus importants que dans les entreprises de plus grande taille, en particulier si le personnel est syndiqué (2). Mentionnons également la possibilité d’établir, à la demande de syndicats, différents programmes au sein d’une même entreprise, ce qui réduit l’ampleur des éventuels correctifs salariaux et donne lieu à une application morcelée de la loi. Sans parler de la vérification quinquennale du maintien de l’équité, requise depuis 2009, dont les modalités sont entièrement laissées à la discrétion des employeurs.

En réalité, la grande diversité des démarches réalisées, jointe à une reddition de comptes minimale (3), ne permet pas de se prononcer véritablement sur le niveau d’atteinte de l’équité salariale ou de son maintien. Tout au plus peut-on dégager une certaine tendance quant au respect de la loi et identifier les employeurs en défaut de conformité. Il est aussi difficile de déterminer l’effet des correctifs sur la réduction de l’écart salarial observé depuis de nombreuses années entre les hommes et les femmes dans l’ensemble du marché du travail. Certes, les données statistiques indiquent une réduction constante de cet écart depuis le début des années 2000 ainsi qu’une augmentation plus rapide du salaire-horaire des femmes que de celui des hommes, mais la part de la réduction des écarts qui résulte des ajustements relatifs à l’équité salariale n’y est pas précisée (4).

On doit se rendre compte que jusqu’à présent, l’application de la Loi sur l’équité salariale n’a pas mis fin aux inégalités de rémunération entre hommes et femmes. Ainsi, les données statistiques montrent la persistance d’un écart salarial en faveur des hommes chez les diplômés universitaires, y compris au sein d’une même profession (5). Cet écart est aussi présent chez les moins scolarisés (6). En réalité, l’équité salariale semble avoir beaucoup de difficulté à se concrétiser à l’égard des femmes qui se situent « au bas de l’échelle », notamment celles qui travaillent dans les très petites entreprises et qui sont, pour plusieurs, rémunérées au salaire minimum légal. Comme le réclament les groupes féministes et syndicaux depuis quelques décennies, une hausse substantielle du salaire minimum peut donc être considérée comme une mesure complémentaire à l’équité salariale.

Les problèmes rencontrés dans l’application de la loi québécoise et ses effets mitigés sur la réduction des écarts salariaux entre hommes et femmes mettent en lumière le défi de confier la mise en œuvre d’une telle législation à l’entreprise. Sans nier sa visée transformatrice, force est d’admettre que la loi québécoise peine à traduire dans l’ensemble des entreprises les principes d’égalité et de justice sociale dont elle se réclame. Dans le contexte d’un marché du travail de plus en plus féminisé, l’enjeu de l’équité salariale devrait donc demeurer à l’ordre du jour si l’on souhaite que cette législation remplisse ses promesses. Mais on est aussi en droit de se demander comment la Commission de l’équité salariale, fusionnée au début de 2016 avec d’autres organismes du travail sous le nom de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) sera désormais en mesure de réaliser son mandat spécifique. Le caractère éthique de la Loi sur l’équité salariale, qui concerne le respect d’un droit fondamental, ne risque-t-il pas d’être occulté dans le cadre d’un secrétariat multifonctionnel du travail ?

L’auteure

Chercheure et consultante, Louise Boivin agit comme experte-conseil en matière d’évaluation des emplois et d’équité salariale depuis plusieurs années. À ce titre, elle a effectué de nombreuses analyses, observations et interventions dans divers milieux de travail. Elle a également produit des guides, articles et documents de recherche sur l’organisation du travail, la formation et les changements technologiques.

Notes

1. Boivin, Louise (2015). L’application de la Loi québécoise sur l’équité salariale ou le respect d’un droit fondamental confié à l’entreprise. Observations empiriques et réflexion critique. Thèse présentée à la Faculté de science politique et de droit de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) dans le cadre du programme de doctorat en sciences politiques.
2. En 2010, l’écart salarial moyen (taux horaire) s’établissait à 9 % dans le secteur public et de 18 % dans le secteur privé. Mais les écarts salariaux entre hommes et femmes passent de 17 % dans les entreprises de moins de 20 personnes à 8 % dans celles qui comptent plus de 500 employés. Voir Ruth Rose (2013, p. 7). Les femmes et le marché du travail au Québec : portrait statistique. Résumé. Comité consultatif Femmes en développement de la main-d’œuvre.
3. Mis en ligne en 2011, le formulaire de déclaration annuelle de l’employeur comporte quatre questions : date du début des activités de l’entreprise, nombre de personnes salariées, réalisation ou non de l’équité salariale et de l’évaluation du maintien, date de l’affichage.
4. Dans son rapport de gestion 2014-2015 (p. 20), la Commission de l’équité salariale observe une réduction progressive et constante de l’écart de la rémunération horaire moyenne entre les femmes et les hommes entre 1997 et 2014, passant de 15,8 à 10,5 %. Également, le Conseil du statut de la femme, dans son Portrait des Québécoises en 8 temps, (édition 2016, p. 20), mentionne qu’en 2015, le salaire horaire moyen des femmes travaillant à temps plein équivaut à 90 % de celui des hommes. Toutefois, le revenu total médian des femmes représente un peu plus de 70 % de celui des hommes. Également, dans la population travaillant à temps plein, le salaire hebdomadaire moyen des femmes représente 86 % de celui des hommes.
5. Boulet, Maude (2014). « Même profession, salaires différents : les femmes professionnelles moins bien rémunérées ». Institut de la statistique du Québec. Direction des statistiques du travail et de la rémunération. Bulletin, mars ; Mongeau, Nathalie (2015). « Dans les entreprises privées de 200 employés et plus, les femmes professionnelles sont moins bien rémunérées que les hommes ». Bulletin, Institut de la statistique du Québec. www.stat.gouv.qc.ca
6. Pour une analyse de cette problématique, voir Marie-Josée Legault (2010). « La mixité en emploi au Québec… Dans l’angle mort chez les moins scolarisés ? », Revue multidisciplinaire sur l’emploi, le syndicalisme et le travai, REMEST, 6 (1), 20-58. http://www.remest.ca

Mis en ligne sur Sisyphe, le 4 janvier 2017

Louise Boivin, politologue


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