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CSF - Pas d’égalité de droit sans égalité de fait : retour sur le sens d’un nom

27 septembre 2017

par Rachel Chagnon, professeure à l’UQAM et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF)

Le rôle fondateur du Conseil du statut de la femme est d’informer l’État québécois sur le statut, c’est-à-dire la situation, des femmes dans la société et de lui indiquer comment améliorer les choses afin de tendre vers l’égalité.



Madame la présidente du Conseil du statut de la femme,

J’ai été heureuse de découvrir votre point de vue sur la question de l’égalité à travers le Journal de Québec et l’émission "Gravel le matin". J’aimerais revenir sur la différence que vous faites entre l’égalité de droit, qui serait acquise, et l’égalité de fait, où il y aurait un peu de travail à faire. Je reviendrai aussi sur votre réflexion sur le possible changement de nom du CSF, les deux items sont liés.

Pas d’égalité de droit sans sa réalisation

Lorsqu’on y pense bien, l’égalité de fait est d’abord et avant tout la mise en œuvre des droits prévus dans nos chartes. L’un ne peut donc pas exister sans l’autre. Par exemple : le droit à un salaire égal et à la non-discrimination salariale est reconnu dans nos chartes et certaines lois. Malgré tout, les femmes gagnent moins que les hommes, et ce, même à compétence égale et dans les mêmes secteurs d’emploi. Est-ce un simple problème factuel ou n’est-ce pas le résultat de la non-application de la loi ? Et si la loi n’est pas réellement appliquée, sommes-nous égaux en droit ? Il n’y a pas d’égalité de droit sans sa réalisation. Cette dichotomie entre égalité de droit et de fait est artificielle, voire schizophrène.

Le rôle fondateur du CSF est d’informer l’État québécois sur le statut, c’est-à-dire la situation, des femmes dans la société et de lui indiquer comment améliorer les choses afin de tendre vers l’égalité.

Ce qui m’amène au nom et à la mission du Conseil du statut de la femme. Il est vrai que ce nom fait un peu 20e siècle. Mais je l’aime bien et je le trouve plein de bon sens.

Le "statut"

J’aimerais m’attarder surtout au mot statut, trop souvent négligé dans la discussion. Le rôle fondateur du CSF est d’informer l’État québécois sur le statut, c’est-à-dire la situation, des femmes dans la société et de lui indiquer comment améliorer les choses afin de tendre vers l’égalité. C’est le CSF qui, depuis 1973, encourage le gouvernement à regarder un peu plus loin. C’est-à-dire, l’encourager à ne pas se limiter à une mise en œuvre en creux de l’égalité, mais à devenir un acteur de changement social.

Votre réflexion sur un potentiel changement de nom du CSF me laisse fort perplexe. Si ce changement de nom traduit le désir d’un changement de mission, nous perdrons au change. Réduire son rôle à celui d’un arbitre de l’égalité hommes-femmes fait l’impasse sur la mission d’information de cet organisme et contribue à le réduire à un "gérant d’estrade". En effet, le Secrétariat à la condition féminine veille déjà à la "cohérence des actions gouvernementales pour l’égalité des femmes et des hommes". Le travail du CSF, pour sa part, est, entre autres, de voir si ces actions gouvernementales fonctionnent réellement et trouve sa mission exprimée dans son titre.

Si le changement de nom vise uniquement à revamper l’image du CSF, j’aimerais attirer votre attention sur des tâches que je considère plus urgentes.

Vous pourriez militer pour que le CSF retrouve ses budgets et puisse de nouveau assurer une permanence régionale ou réembaucher son personnel de recherche vastement mis à pied lors des coupures sanglantes opérées sous le présent gouvernement. Le CSF pourrait ainsi, fort de ses moyens retrouvés, nous informer de la mise en œuvre du droit à l’égalité et nous dire si ce droit se réalise dans les faits.

Vous pourriez, par exemple, informer le gouvernement de l’impact de ses politiques sur la pauvreté des femmes et leur incapacité à atteindre l’égalité économique avec les hommes ou encore lui rappeler que des CA paritaires, c’est formidable, mais que cela ne garantit pas des emplois aux femmes immigrantes.

Bref, je vous encourage à redonner son sens au mot statut au lieu de chercher à l’échanger pour le mot égalité. D’autant plus que cette égalité est impossible tant qu’on ne s’attaquera pas au problème de fond : le statut de droit et de fait des femmes au Québec.

* Publié sur Sisyphe avec l’autorisation de l’auteure et aussi dans Le Huffington Post Québec.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 23 septembre 2017

Rachel Chagnon, professeure à l’UQAM et directrice de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF)


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