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Transgenre et FFQ - Une posture victimaire qui fragmente le mouvement des femmes

15 décembre 2017

par Annie-Ève Collin, philosophe, et Michèle Sirois, anthropologue, membres de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)

Le 8 décembre, Le Devoir publiait un texte de Marlihan Lopez pour défendre la légitimité de Gabrielle Bouchard, qui se dit « femme transgenre », à diriger la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Ce texte, signé par une des vice-présidentes de la FFQ, Marlihan Lopez, répondait à un récent article de Denise Bombardier, qui questionnait non seulement la capacité de Gabrielle Bouchard à représenter l’ensemble des femmes, mais aussi ses propos tenus en 2015, lors d’une commission parlementaire, pour demander d’enlever les mots maternité et mère.

Avec l’idéologie de l’intersectionnalité qui est prônée par la FFQ, par Marlihan Lopez et qu’on retrouve fréquemment dans les propos de Gabrielle Bouchard, on oppose deux groupes de femmes : d’un côté, les femmes qui cumulent un ensemble de privilèges, et de l’autre côté, les femmes qui vivent à l’intersection de nombreuses oppressions et qui seraient victimes de marginalisation. Et du même coup, on accuse le féminisme pratiqué depuis des décennies par les Québécoises d’avoir centré ses actions uniquement sur les premières, à savoir les femmes « blanches », hétérosexuelles, de classe moyenne ou aisée, et qui ne souffrent pas de handicap, et d’avoir délaissé les autres.

Au lieu de favoriser la solidarité autour des droits des femmes, ce langage victimaire fragmente le mouvement féministe. Or, l’histoire du mouvement des femmes est là pour témoigner qu’il s’est porté à la défense des femmes dans leur ensemble et non pas seulement des intérêts d’une petite minorité accusée d’être constituée de privilégiées. La littérature pour le prouver ne manque pas, particulièrement celle produite par le Conseil du statut de la femme (CSF) depuis plusieurs décennies.

Sortir de la confusion

Pour sortir de la confusion associée à l’expression « femme transgenre », précisons que Gabrielle Bouchard est biologiquement un homme et que cela ne peut changer, même après l’obtention de nouveaux papiers d’identité mentionnant qu’il s’agit d’une femme. De même, on ne peut changer l’ADN d’une personne. Même après de nombreuses interventions, chirurgicales ou esthétiques, visant à transformer des caractéristiques extérieures liées à un sexe, comme par exemple la pilosité ou la pomme d’Adam, les organes internes ne sont pas changés. De plus, le raccourci « trans » ne fait qu’embrouiller davantage les choses puisqu’il s’applique à la fois aux personnes « transsexuelles », à savoir celles qui ont été opérées, et aux personnes « transgenres » qui ont gardé leurs attributs sexuels de naissance.

Les femmes se sont battues pendant des siècles pour se libérer de stéréotypes sociaux qu’on associait à leur sexe, et qu’on justifiait par de nombreux préjugés. On pensait qu’un cerveau de femme, ça ne pouvait pas penser comme un cerveau d’homme. Après que le mouvement féministe ait longtemps lutté contre les préjugés associant les femmes à leur corps, voilà que certaines féministes affirment qu’une personne peut naître dans le mauvais corps puisqu’elle aurait l’esprit (et un cerveau ?) de l’autre sexe. Le vocabulaire à la mode et répété sans aucune réflexion, c’est qu’à la naissance, on aurait « assigné » un sexe à l’enfant. En réalité, sauf dans des cas exceptionnels, le personnel médical et les parents « constatent » le sexe à la naissance, souvent même avant la naissance.

Des reculs pour les femmes

Ramener les femmes à leurs caractéristiques physiques ou à des modes vestimentaires socialement attribuées aux femmes, tout cela constitue un énorme recul. C’est pourtant l’implication logique de la prétention qu’une femme trans est une femme : si l’on admet qu’un mâle humain est une femme dans la mesure où il a l’apparence extérieure et adopte l’habillement des femmes, alors on est en train de dire qu’être une femme est une question d’apparence.

Dans le mouvement féministe universaliste, il y a de la place pour toutes les femmes, et surtout, il y a place pour la solidarité entre les femmes quels que soient leur statut social, leur richesse, leur orientation sexuelle, leur âge, leur ethnie, leur santé physique ou psychologique, etc. Revendiquer pour les femmes des droits égaux à ceux des hommes, ce n’est pas exclure les femmes moins favorisées. Il s’agit plutôt de faire avancer l’égalité de fait entre les hommes et les femmes.

Le texte de Marlihan Lopez laisse entendre que c’est parce que Gabrielle Bouchard est une « femme aux marges » que Denise Bombardier et d’autres mettent en doute sa légitimité d’être à la tête de la FFQ. Tel n’aurait pas été le cas si la nouvelle présidente avait été une femme noire, autochtone, lesbienne, immigrante, handicapée ou autre. Le problème avec Gabrielle Bouchard, c’est de s’être approprié un poste pensé et réservé aux personnes ayant un vécu de femmes, ce qui n’est pas son cas.

Article publié aussi dans Le Devoir, le 12 décembre 2017.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 décembre 2017

Annie-Ève Collin, philosophe, et Michèle Sirois, anthropologue, membres de Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec)

P.S.

Lire aussi :
 "Un homme devient-il une femme dès lors qu’il dit en être une ?"
 "Les droits des femmes sous le joug de l’identité de genre".




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