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Lettre à toi Catherine, à toi Gabriel, Éva, Haroun et Dalila : les "boomers" pourraient vous donner quelques leçons

27 août 2018

par Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe

Le 13 août dernier, Catherine Dorion, candidate pour Québec solidaire dans ma circonscription, Taschereau, écrivait un point de vue intitulé « Lettre à mes amis boomers » dans "Le Soleil" de Québec.

S’adressant à Jacques, Yolande, Henri… madame Dorion suppose que les boomers ne sont plus engagés dans « une lutte pour l’émancipation de notre peuple ». Elle affirme que l’emprise du clergé n’existe plus et que ce dernier a été remplacé par la religion de l’argent.
Elle suppose, aussi, que l’élite anglophone économique a été remplacée par l’aristocratie mondialiste, oubliant qu’on a de la difficulté à se faire servir en français dans la région de Montréal. De plus, elle semble croire que les boomers sont ignorants des enjeux de la mondialisation.

Elle conclut en affirmant que QS « n’est pas là pour gérer le désordre existant » - j’aurais aimé qu’elle soit plus précise – ni « pour taper sur les minorités ». Bien sûr, on le sait, QS défend les minorités parfois au détriment de la majorité et au détriment même de certaines règles éthiques (pensons aux règles concernant l’abattage d’animaux), mais surtout au détriment d’ententes sociales déjà établies.

Je réplique ci-dessous en soulignant ce que je considère comme des préjugés, et peut-être une certaine condescendance, à l’égard des boomers.

Lettre à toi Catherine, à toi Gabriel, Éva, Haroun et Dalila : les boomers pourraient vous donner quelques leçons

Croire que nous avons cessé de lutter, que nous avons baissé les bras, c’est mal connaître les baby-boomers.


Vous dites, Catherine, que nous avons « lutté pour (n)ous débarrasser de l’emprise du clergé sur (n)os esprits ». Ce n’est malheureusement pas pour le remplacer par d’autres « absolus ». Ce n’est pas par des accommodements religieux, par un cours ECR où nos petits-enfants cherchent leur religion ou se sentent coupables de ne pas en avoir - parce qu’on ne leur enseigne pas la laïcité, l’agnosticisme ou l’athéisme - que nous cesserons d’être sous l’emprise de religions et que nous deviendrons une société qui insiste sur ses valeurs communes.

La religion catholique comme l’islam, comme la religion juive, tout comme certaines pratiques culturelles patriarcales, continue de vouloir contrôler mon éducation, mon rôle, mon corps, le corps de mes sœurs, comme on a pu le constater hier encore en Argentine. En Iran, en Arabie Saoudite et combien d’autres pays. Parfois, par des procédés qu’il ne faut pas qualifier de « barbares », selon notre premier ministre Justin Trudeau, même si elles sont bien plus que ça. Des pratiques où cacher complètement une femme sous un vêtement devient, selon vous, un droit individuel « féministe » plutôt qu’une conduite obscurantiste et aliénante intégrée par des femmes. Et que je me sens en droit de dénoncer.

Ce n’est surtout pas en traitant des gens de racistes, d’islamophobes, de xénophobes et d’« identitaires » que vous gagnerez mon coeur. Ce n’est pas non plus en étant béatement "ouverts" à une définition toute personnelle de la laïcité que vous nous ferez oublier que toutes les religions sont profondément sexistes, et je dirais même misogynes. Tous leurs représentants ne sont-ils pas des hommes ?

Aussi, ce n’est pas en vous associant aux franges plus sectaires d’autres religions qui veulent imposer leur vision, même à leurs pairs croyants, que vous me convaincrez que, vous, vous n’êtes pas sous l’emprise de gens qui font de leur religion une bataille politique plutôt qu’une croyance spirituelle qui devrait se vivre dans le cœur.
Surtout au nom d’un prétendu « vivre-ensemble ».

Quelle sorte de « vivre-ensemble » ?

Un « vivre-ensemble » qui porte mal son nom et qui a tout d’une négation de nos choix de justice et de droits pour nous faire accepter inconditionnellement des dogmes, rites, pratiques cultuels et culturels incompatibles avec les valeurs féministes et d’égalité de droit. Pour ma part, le féminisme que j’ai intégré depuis les années 70 est universel, laïc et son essence, sa racine, est la lutte contre la discrimination des femmes parce qu’elles sont femmes, contre la domination patriarcale comme savent si bien l’imposer toutes les religions.

La domination patriarcale comme dans votre acceptation, depuis mai 2015 du « travail du sexe », qui semble proposer à mes petits-enfants, à mes petites-filles surtout, qu’il s’agit d’un choix de carrière ! Ici, votre jupon dépasse largement et fait gonfler ma colère, puisque les femmes qu’on prostitue, plutôt que de leur montrer qu’elles ne sont pas nées pour un petit pain, vous leur proposez de continuer à s’oublier, d’oublier leurs véritables désirs, leurs rêves, leurs blessures d’enfance (plus de 80% ont été agressées jeunes) pour satisfaire les 15% d’hommes qui veulent imposer leurs fantasmes et affirmer leur domination sur elles.

Sans compter que mes sœurs autochtones représentent une majorité de ces femmes ! Un « commerce » qui continue à faire vivre le crime organisé et les gangs de rue et à amplifier le problème de la traite humaine dont, encore une fois, les femmes sont majoritairement les victimes. Vous semblez vouloir absoudre les acheteurs (selon vos propres termes les « clients » et que la police de Laval a maintenant l’audace d’appeler les abuseurs), maintenant criminalisés, tout en oubliant carrément les survivantes, et les 80% de ces femmes qui veulent sortir de ce milieu véreux et violent !

Je n’ai pas encore parlé du désir de partage des boomers qui a marqué nos décisions et nos actions ces dernières décennies et qu’on a appelé l’État providence. Mais je suis sceptique face à vos propositions économiques, entre autres votre volonté de nationaliser certains secteurs pour perpétuer ce partage.

Mon pays, qui est en train de se diluer dans un « speak white » plus que jamais présent où sont concentrés les trois représentants élus de Québec solidaire, de se diluer dans des valeurs individuelles et communautaristes au détriment de nos valeurs communes, j’y crois encore. Parce que la détermination est une de nos caractéristiques. Parce que notre désir de liberté et de justice et le désir que mes petits-petits-enfants parlent ma langue est toujours présent.

Plusieurs d’entre nous, les boomers, gardons encore l’espoir de faire nos propres choix politiques, économiques et sociaux, de protéger notre langue et notre culture tout en étant accueillants envers les nouveaux venus. Notre désir, en tous les cas le mien, de comprendre notre histoire et de continuer à faire des alliances avec les Premières Nations est toujours présent. Nous avons fait plus que de taper sur des casseroles et lancer des souliers, et nous avons encore de l’énergie à revendre.

Ma circonscription, Taschereau, contient le plus grand nombre de personnes âgées au Canada, semble-t-il, je comprends donc votre appel. Mais pour se faire des amis et des amies, il faut avant tout vouloir approcher les gens, sans préjugés.

* On considère généralement un baby boomer une personne née entre 1946 et 1964.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 17 août 2018

Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5478 -