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Une pédagogie de la laïcité s’impose d’urgence !
Jamais sans mon voile ! Ou le refus d’être "soumise à Legault"

9 avril 2019

par Annie Brisset, professeure émérite à l’Université d’Ottawa

Dans l’émission du 3 mars dernier animée par Denis Lévesque sur le réseau TVA, on a pu entendre deux jeunes musulmanes voilées, étudiantes en éducation, s’opposer avec véhémence au projet de loi sur la laïcité.

La nature de leurs arguments et leur intransigeance rappellent l’époque pas si lointaine où la France a décidé d’interdire le voile à l’école. On a vu se succéder dans les médias le même type de femmes parlant en leur propre nom ou pour des associations au titre anodin, en réalité soutenues voire mandatées par des mouvements salafistes ou fondamentalistes comme les Frères musulmans. La laïcité a prévalu. Aujourd’hui, le dévoilement à l’école est communément admis. Il met tous les élèves, garçons et filles, sur un pied d’égalité en leur permettant de participer sans entraves à toutes les activités scolaires.

Durant l’entretien de TVA, les deux étudiantes ont fait valoir que le voile définissait leur "identité" et qu’il était inhérent à "l’expression de leur foi" et à leur soumission à Allah. Denis Lévesque a suggéré qu’on peut se dévoiler pour exercer sa profession et remettre son voile dans la rue ou chez soi. Une de ses interlocutrices lui a ri au nez : "On ne met pas le voile à la maison !" Autrement dit, l’accessoire vestimentaire indispensable à l’expression de la "foi" ne compte plus à la maison. En période de vacances, cela peut durer des jours.

L’étudiante a omis de dire que si un homme étranger à la famille pénètre dans la maison, elle doit remettre son voile. Preuve que le voile pointe avant tout la "tentatrice". C’est que l’islam a un problème avec la mixité, c’est-à-dire avec la sexualité, comme le soulignent d’éminents intellectuels dont Leila Slimani, écrivaine et essayiste marocaine, et Kamel Daoud, journaliste et écrivain algérien. Le voile a partie liée avec l’objet du désir de l’homme, le sexe de la femme. Le paradoxe du voile est qu’il met en évidence ce qu’il prétend cacher : la femme comme objet sexuel. À chacune le choix de son "identité".

Les deux étudiantes ne sont pas à une contradiction près. Tantôt elles proclament que le voile est un signe de leur foi et de leur soumission à Allah (exigeant de ne pas induire la tentation de l’homme). Tantôt elles prétendent que ce vêtement est aussi "normal" qu’un autre, niant de ce fait la symbolique religieuse qu’elles lui attribuent.

De plus, elles acceptent le caractère liberticide du vêtement islamique, qui brime leur liberté d’action dans l’espace public, mais elles revendiquent cette entrave et n’ont aucun problème à l’exposer comme modèle sous les yeux de leurs futur(e)s élèves. Car c’est ce rôle de "modèle" auprès des enfants et des adolescents qui justifie l’inclusion des enseignant-es dans la loi. Ce qui est en cause, ce n’est pas la religion, mais une expression vestimentaire dévalorisante pour la femme. Les enfants ont des yeux et un cerveau.

Notre perception du voile est informée par toutes les formes d’occultations vestimentaires et législatives du féminin que l’islam nous met sous les yeux. Le voile est une version ’soft’ de la burqa afghane, de l’abaya saoudienne ou du tchador iranien, mais le concept est le même. Que ces deux étudiantes le veuillent ou non, elles n’ont pas le monopole de l’interprétation du voile dont l’histoire n’est pas non plus "que" musulmane, ni même uniquement "religieuse" dans le monde musulman.

Au cours de l’émission, une étudiante a déclaré : "Enlever mon voile, c’est me soumettre à Legault. Je ne l’enlèverai jamais !" Déclaration inquiétante pour le civisme et la démocratie. Si l’observance d’un verset (au demeurant problématique) du Coran sur la vêture féminine n’est pas négociable, alors pourquoi ne pas appliquer tous les autres ? Que pense, par exemple, cette étudiante de la règle du Coran sur l’héritage qui n’accorde à la femme que la moitié de la part d’un homme (ce que la Tunisie vient d’abolir) ? Ou de celle qui exige le témoignage de deux femmes quand suffit celui d’un seul homme ? Parions que là-dessus elle n’a aucune difficulté à "se soumettre à Legault", c’est-à-dire à préférer au Coran les lois du Québec.

Pour le théoricien allemand des systèmes sociaux, Niklas Luhmann, une société moderne se caractérise par l’autonomie des différentes sphères qui la composent : politique, juridique, économique, médiatique, artistique, religieuse… On trouve normal et nécessaire que notre gouvernement ne puisse interférer avec le juridique ou encore censurer les arts ou les médias. Alors pourquoi permet-on que la sphère religieuse puisse être traitée différemment ? Dans les théocraties, tout est solidaire et entremêlé. En sorte qu’un journaliste, un blogueur, une femme dévoilée qui ose un selfie sur les réseaux sociaux peuvent être enfermés, torturés, tués pour des idées ou des comportements jugés non conformes à l’interprétation d’un texte sacré que l’instance gouvernante, et elle seule, veut bien lui prêter.

Voilà précisément ce dont préserve la laïcité : l’empiètement voire la prééminence d’une injonction déclarée de droit divin sur le droit démocratiquement élaboré. Contrairement à un texte sacré, par nature intouchable, la loi démocratiquement débattue et adoptée n’est jamais définitive, car ouverte aux avancées scientifiques, biologiques, technologiques ou sociales. Ici, le mariage entre personnes du même sexe. Là, la mise à mort des homosexuels. Ici, le droit pour les femmes de disposer de leur corps. Là, des femmes emprisonnées durant des décennies pour interruption volontaire ou involontaire de grossesse.

Sous la pression de quelques députés, le Parlement du Canada a permis que la Constitution affirme "la suprématie de Dieu". À l’époque j’étais interprète et à ce titre j’ai assisté aux débats. Ayant grandi dans un État laïque, cette mention était pour moi inconcevable en cette fin du 20e siècle. D’une part, elle englobe uniquement ceux et celles qui souscrivent aux religions du Livre, excluant tous et toutes les autres en plus des incroyant-es. D’autre part, elle donne à la religion un pouvoir exorbitant dont n’importe qui peut se réclamer pour se soustraire aux lois issues de la démocratie participative. Ce que ne permet pas le principe de laïcité qui, en revanche, garantit à tous et à toutes la liberté de croyance.

Une pédagogie de la laïcité s’impose d’urgence !

Mis en ligne, le 9 avril 2019

Annie Brisset, professeure émérite à l’Université d’Ottawa


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