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Prostitution : il faut qu’on parle des acheteurs

12 janvier 2020

par Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe

Le 5 octobre est la journée internationale de non-prostitution. Il faut qu’on parle des acheteurs.

"Dire que les femmes ont le droit de se vendre c’est masquer que les hommes ont le droit de les acheter" (1), remarque, à juste titre, Françoise Héritier anthropologue, ethnologue et féministe française.

Les membres des services de police de Laval les appellent maintenant les "abuseurs", car ils sont les responsables dominants de cette exploitation sexuelle. Ainsi, les prostitueurs contribuent au tourisme sexuel, très renommé à Montréal qu’on appelle parfois la Bangkok de l’Occident. Ils font aussi augmenter la traite des êtres humains, bien actuelle au Canada, la violence envers les femmes et les inégalités entre les femmes et les hommes.

Martine B. Côté, qui a travaillé à la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES), écrivait ceci sur les acheteurs en 2018 pour souligner le succès de la série Fugueuse :

C’est parce que des hommes demandent toujours de nouvelles femmes, plus jeunes, pas trop "maganées", que plus de 300 salons de massage ont pignon sur rue dans le Grand Montréal, que les annonces d’escortes pullulent et que des femmes sont victimes de traite vers Toronto ou l’Ouest canadien. C’est parce que des hommes veulent acheter que des Damien s’affairent à trouver de nouvelles victimes. (2)

Que ce soient des jeunes filles ou des femmes plus âgées (qui ont été "initiées" à la prostitution vers l’âge de 13-14 ans pour la plupart), la responsabilité des acheteurs est la même.

Parler de "clients", c’est faire le jeu de ceux qui érigent la prostitution comme un travail.

Qui sont-ils ?

Les premières études sur les acheteurs affirmaient qu’un homme sur deux avait déjà fait appel à la prostitution. Les études les plus récentes montrent que ce nombre est plus près de 15 à 20%. Le Mouvement du Nid en France parle de 12,5%.

Sven-Axel Månsson, sociologue de l’Université de Göteborg en Suède, affirme que 70% des acheteurs environ seraient des acheteurs occasionnels et les autres, des acheteurs habituels.

Ces derniers feraient appels à des "femmes "sexualisées" et "profondément perturbées". Ils auraient aussi plus tendance à humilier et à dégrader les femmes.

Plus grave encore, plusieurs acheteurs affichent des perversions, ce dont on parle rarement.

Max Chaleil, éditeur et auteur du livre Prostitution – Le désir mystifié (3) souligne que 71% des acheteurs démontrent des perversions : "on trouve 19% de masochistes, 14% de fétichistes, 10% de voyeurs ou amateurs de triolisme, 10% de masochistes à tendance homosexuelles, 9% de sadiques, et enfin, 8% atteints de "pornotalie".

La prostitution a aussi une connotation culturelle, le pourcentage des acheteurs diffère selon les pays : "10% au Royaume-Uni, 18% en Allemagne, 39% en Espagne, plus de 70% en Thaïlande ou au Japon… D’un pays à l’autre, le nombre varie en fonction de l’histoire, des conditions économiques, de la nature des rapports hommes-femmes, du statut juridique de la prostitution. "

En 2018, Kajsa Ekman, journaliste, écrivaine et militante féministe suédoise affirmait que, de un sur huit,, les prostitueurs en Suède sont passés à un sur treize, depuis l’imposition de la loi criminalisant les acheteurs en 1999 (4).

Rose Dufour, anthropologue et fondatrice de la Maison de Marthe à Québec, a interrogé 64 consommateurs de prostitution en 2005 et elle n’est pas tendre envers eux : "Le plus souvent, il s’agit d’un homme narcissique, qui n’a aucune confiance en lui-même".

Les hommes qu’elle a rencontrés étaient des consommateurs réguliers, soit une à deux fois par semaine, une fois par mois et ils prostituaient des femmes depuis 15 à 20 ans.

Pourquoi des hommes achètent des femmes

Avant, des hommes faisaient appel à la prostitution pour se "délurer", maintenant ils veulent expérimenter ce qu’ils ont intégré en regardant de la pornographie.

Des hommes disent qu’ils doivent satisfaire une sexualité irrépressible. Certains parlent même de "misère sexuelle ". Ce à quoi même l’Unicef a répondu :

aucun impératif biologique n’impose un nombre fixe d’orgasmes par jour, par semaine ou par an. Les individus peuvent occasionnellement trouver déplaisant de ne pas éprouver le paroxysme du plaisir sexuel, mais le fait qu’il n’y a personne pour les amener à l’orgasme ne constitue pas exactement une menace pour leur survie. (5)

On a même prétendu que la prostitution empêchait les viols (et l’agressivité envers les femmes), alors que la réalité est tout autre : les viols sont plus fréquents dans les pays où la prostitution est très présente. La prostitution fait partie d’un continuum de la culture de l’agression.

Mariés comme célibataires, jeunes et moins jeunes, de tous les milieux sociaux, ils prostituent pour plusieurs raisons. Des femmes doivent répondre à leurs "besoins", qui ne sont que désirs et fantasmes. Plusieurs ne veulent pas s’engager : "La majorité, 56 % sont allergiques à l’engagement. Ce sont souvent des célibataires qui veulent du sexe. La prostitution est une sexualité irresponsable, c’est très déshumanisant pour la femme. " (6), dit Rose Dufour.

Timidité, handicap, par peur des femmes, pour fuir la solitude, les insatisfaits de leur sexualité, ceux qui refusent l’égalité entre les femmes et les hommes, l’âge, le désir d’être dominé, etc., tous les prétextes semblent justifiés.

Pourquoi ils paient : parce que ces femmes ne les désirent pas, ils paient moyennant l’accès à leur corps.

En décriminalisant les femmes que des hommes prostituent, on a transféré la responsabilité sur les acheteurs. C’est ce qu’a fait la loi C36 Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation en 2014.

Reste à continuer à sensibiliser la population, à éduquer les acheteurs, mais aussi à appliquer la loi.

Parce que la prostitution est incompatible avec l’égalité entre les femmes et les hommes.

Notes
1, Zéro Macho,"1 881 hommes contre la prostitution", L’humanité,, 30 octobre 2013.
2.Côté, Martine B., "La prostitution et la série Fugueuse : sans clients, pas de proxénète", Journal de Montréal, 17 mars 2018.
3. Chateil, Max, Prostitution – Le désir mystifié, Paris, Parengon, 2002.
4. Ekis Ekam, Kasja, "CE QU’EST LE MODELE NORDIQUE : mythes et réalité, Journal de Montréal , , 23 décembre 2018.
5., Conseil du statut de la femme, LA PROSTITUTION : PROFESSION OU EXPLOITATION ? Une réflexion à poursuivre, 1er mai 2002. Lire.
6. Isabelle Lemaléfant, "Le personnage principal de la prostitution est le client", Québec Hebdo.com, 14 mars 2013.

Références
Audet, Élaine, ,i>Prostitution – Perspectives féministes, Éditions Sisyphe, 2005.
Dufour, Rose, Je vous salue… Le point zéro de la prostitution,Ste-Foy, éd. Multimondes, 2004. .
Geadah, Yolande, La prostitution un métier comme un autre ?, Montréal, VLB éditeur,2003. .
Legardinier, Claudine Bouamama, Saïd, Les clients de la prostitution éditions des Presses de la Renaissance, 2006. .
Poulin, Richard, La mondialisation des industriesdu sexe. Prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, Préface de Micheline Carrier, postace d’Élaine Audet, Ottawa, Interligne, 2004.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 octobre 2019

Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


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