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Entretvue avec Diane Guilbault
Priorités, objectifs et projets de Pour les droits des femmes du Québec30 septembre 2020
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La dernière fois que j’ai vu Diane, c’était le 22 novembre dernier. Je l’avais reçue chez moi, sur le Plateau Montcalm, pour cette entrevue. Nous avons discuté bien sûr, mais nous avons, aussi, beaucoup ri.
Diane était une femme pétillante et très énergique. Je me souviens, cette même année, nous étions allées au Musée national des Beaux-Arts du Québec, à deux pas, et je ne compte plus le nombre de fois que son téléphone a sonné ! La visite a été courte, mais je crois que Diane n’était pas du genre à s’attarder non plus : elle voyait tout d’un coup d’œil.
Au mois de septembre, lors de la nouvelle de la subvention du Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales, je m’étais invitée à sa magnifique maison de Deschambault. Devant le fleuve, on avait dégusté du saumon fumé et des craquelins accompagné d’un Chiroubles qui m’a fait, par la suite, dévaliser quelques SAQ. Un Château Javernand « Indigène », vin nature qui s’harmonisait parfaitement avec l’environnement et notre joie de vivre.
On se rappelait nos randonnées de marche à l’île-aux-Coudres : plus de 23 kilomètres de beauté pure, parfois accompagnées d’un accordéoniste sur son balcon, parfois alléchées par les objets des artisans locaux. Artisans qu’on n’encourageait jamais parce que le but était de marcher et, pour Diane, pas question de passer outre. On faisait le tour de l’île dans les temps !
Au début du mois de janvier, Diane a reçu un diagnostic de cancer au cerveau qui l’a finalement emportée vers d’autres horizons. L’amour pour ses enfants, et je crois, sa mission pour l’avancement des femmes l’a retenue jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’elle se laisse emporter par le courant du fleuve, par le courant de l’immensité. Je te souhaite, Diane, le plus beau des voyages.
Johanne St-Amour : Peux-tu nous rappeler les circonstances de la mise sur pied du groupe féministe Pour les droits des femmes du Québec (PDF Québec) en 2013 ?
Diane Guilbault : Nous étions plusieurs féministes membres de la FFQ, et nous nous étions faites « remettre à notre place » lors de plusieurs assemblées générales par le CA. Il n’y avait plus de démocratie.
Et, en plus, on constatait que des prises de positions à la FFQ allaient à l’encontre du droit à l’égalité des femmes.
En décembre 2012, peu de temps après la décision de la Cour suprême sur le port du niqab, nous nous sommes réunies pour préparer un manifeste pour le 8 mars 2013 (1) Intitulé : Manifeste - Halte aux attaques contre les droits des femmes. Il a été publié dans Le Devoir (2).
De nombreuses personnes de toutes origines, femmes et hommes, ont signé ce manifeste, et plusieurs ont même demandé qu’on ajoute leur nom après publication.
Ensuite, Michèle Sirois, qui est devenue plus tard la première présidente du groupe Pour les Droits des femmes du Québec, a convoqué, chez elle, des réunions de cuisine, comme à l’ancienne.
Au départ, que des femmes y assistaient, mais des hommes avaient quand même contribué à la réflexion. Alors, on a eu de très nombreuses discussions, des discussions souvent houleuses, afin de décider si on incluait ou non les hommes. Il y avait des groupes mixtes, mais aucun groupe féministe ne comprenait des hommes.
Un soir, on est finalement arrivées au terme de notre réflexion. On s’est dit qu’étant donné que, depuis plus de 50 ans, nous avons été plusieurs à militer pour changer le patriarcat, pour changer la mentalité des hommes, si on n’avait fait aucun progrès, la méthode était à revoir.
On s’est aperçues que des hommes étaient prêts à appuyer les femmes, et on s’est dit que, pour éviter qu’ils prennent toute la place - parce que c’est un pli naturel des groupes dominants, même sans faire exprès parfois ils prennent toute la place, un peu comme les anglophones dans une réunion où se retrouve une majorité de francophones, la conversation se passe en anglais - on a décidé que les hommes pourraient devenir membres, qu’ils étaient des alliés, mais que seules les femmes prendraient les décisions et seraient élues au Conseil d’administration. Par ailleurs, les hommes auraient le droit de participer aux discussions, aux comités de travail, faire des propositions, etc.
Dès le début, on a eu des personnes éminentes qui nous ont fait part de leur intérêt, comme Louise Beaudoin, des féministes de longue date comme Andrée Yanacopoulo. Et plusieurs autres personnes qui avaient suivi les prises de positions de la FFQ, et réfléchi aux enjeux soulevés. On s’est alors incorporées au Registre des entreprises pour créer notre entreprise à but non lucratif, et le 14 novembre 2013 avait lieu notre soirée de fondation. C’était d’ailleurs le jour anniversaire d’Andrée Yanacopoulo, qui n’était pas la plus âgée ! D’un côté, une très jeune fille, qui avait 13 ans à l’époque, nous accompagnait et l’aînée était une dame algérienne de 93 ans qui était parmi les membres fondatrices de la première assemblée générale de PDF Québec.
Notre groupe a été basé sur un féminisme qui interpelle toutes les femmes, d’où qu’elles viennent, où qu’elles soient, quel que soit leur âge…
Un féminisme universaliste alors ?
Universaliste, car toutes les femmes, selon nous, ont droit à la dignité et à l’égalité. Nous avions élaboré une plateforme, alors, bien sûr, la soirée a été l’occasion de présenter nos positions, notamment par rapport à la prostitution.
La prostitution, et aussi la laïcité qui était alors un sujet très débattu.
Oui, bien sûr la laïcité. PDF Québec était déjà créé lorsque le projet de loi 60 a été déposé par le gouvernement péquiste. D’ailleurs, on a préparé notre mémoire pendant les vacances de Noël !
Là, vous avez bossé fort pour concocter votre premier mémoire. Par ailleurs, la fondation de PDF Québec est tout de même survenue à la suite d’une divergence d’opinion importante avec la FFQ qui voulait imposer l’approche intersectionnelle ? Qu’est-ce que l’intersectionnalité, et pourquoi cette analyse ne perme-ellet pas, selon vous, de défendre correctement les droits des femmes à l’égalité et à l’émancipation ?
Nous étions quelques femmes à avoir participé à la préparation des États Généraux organisé par la FFQ, qui a abouti à une grande rencontre en novembre 2013. Et ça s’était très mal passé ; lors des assemblées, des manœuvres ont fait en sorte qu’il nous soit même impossible d’affirmer nos positions, notamment lors d’un atelier sur la prostitution auquel j’assistais. L’approche intersectionnelle avait été votée comme étant « le catéchisme » de la FFQ.
Le terme intersectionnalité a été créé par une féministe afro-américaine, Kimberlé Crenshaw, dans les années ’90 aux États-Unis, lors d’une enquête publique qui se penchait sur les violences faites aux femmes de couleur et issues d’un milieu défavorisé. Parlant d’une de ces femmes, Mme Crenshaw affirmait qu’elle avait perdu son emploi par sexisme et par racisme. Et elle voulait démontrer que ces discriminations se rejoignaient.
Par ailleurs, ce croisement des doubles discriminations, nous on le connaissait très bien au Canada, parce qu’on a la Charte des droits et libertés de la personne au Québec depuis 1978 et la Charte canadienne des droits et libertés depuis 1982 qui reconnaissent des motifs de discrimination. Et à PDF Québec, et même quand moi j’étais au Conseil du statut de la Femme, on travaille avec le concept des discriminations croisées, soit de prendre en considération l’accroissement des difficultés vécues par des personnes traitées de manière négative en raison de leur sexe, d’un handicap ou de leur ascendance autochtone, etc. Ça faisait déjà partie des grilles d’analyse, contrairement à ce qu’on dit. Ça ne s’appelait pas l’intersectionnalité, mais on était déjà conscientes que différents facteurs pouvaient aggraver les discriminations contre les femmes parce qu’elles sont des femmes.
Mais, c’est devenu complètement autre chose. Je réfléchissais à cela avant de venir faire l’entrevue, et je me demandais où est-ce que tout ça avait dérapé. Et je crois que c’est vraiment quand l’intersectionnalité a été utilisée par ceux qui ont mis de l’avant les politiques identitaires étatsuniennes : sur le genre, particulièrement, sur la couleur de la peau, sur la religion, etc. C’est aussi devenu maintenant aux États-Unis une façon de catégoriser les gens. Le parti démocrate ne s’adresse plus maintenant à la population, il s’adresse à des clientèles qui ont tous des « drapeaux » différents, des appartenances différentes.
Ces idéologies ont été importées dans les universités canadiennes, et on a professé ça aux étudiants, en donnant des formations aux groupes de femmes pour leur inculquer ces concepts à la mode.
Sauf que, ce que l’on constate, et on l’a constaté très très rapidement, cette intersectionnalité que, nous, nous qualifions de dévoyée, c’est devenu un carrefour des oppressions d’abord, dans un langage presque caricatural où on ne parle qu’en termes d’oppression, d’opprimés et d’oppresseurs.
D’ailleurs, Fatiha Boudjahlat, enseignante et essayiste française parle aussi d’un carrefour où les femmes doivent céder le passage ?
Exactement. Je lisais cela hier soir dans son livre « Combattre le voilement », et en fait, elle dit : « Croisement où la priorité est toujours donnée aux intérêts des hommes aux dépens de ceux des femmes comme dans une intersection routière, il y a toujours un cédez le passage et ce sont toujours les femmes qui cèdent le passage. » (3)
Donc, l’intersectionnalité, au lieu de soutenir la cause des femmes, a déplacé les femmes vers la marge. Contrairement à un certain discours qui dit que l’intersectionnalité permet de ramener les femmes de la marge vers le centre, c’est complètement faux. Et par le fait même, on focalise particulièrement sur les besoins des hommes, au nom de la lutte au racisme, ou concernant les questions de religions ou de genre, par exemple. On a remis de cette façon-là les hommes au centre et les femmes à l’écart.
Parce que les revendications peuvent ne pas concerner que les femmes à ce moment-là ?
Non seulement cela, parfois les revendications se font contre les femmes. Et comme l’intersectionnalité est basée sur une analyse extrêmement binaire, c’est-à-dire d’oppresseurs et d’opprimés, c’est comme si on avait une sorte de thermomètre pour tenter de déterminer qui est le plus opprimé. Et c’est malheureusement jamais les femmes. Tout est binaire : blanc-noir, fortuné ou non, sauf le sexe. C’est vraiment orwellien comme situation.
Le concept créé par Mme Crensham avait beaucoup de sens aux États-Unis, mais a été complètement perverti ici. Après quelques années, on constate une implosion du mouvement des femmes. À force de diviser les femmes en sous-groupes et de les mettre dans la marge, on a crée une implosion. Ne pas reconnaître les discriminations envers les femmes parce qu’elles sont nées femmes, et cela de la naissance à la mort, c’est déplorable. On a évacué toute lutte pour les droits à l’égalité des femmes. On ne voit plus les gains, mais beaucoup de reculs.
Je trouve cela extrêmement triste. On avait un mouvement des femmes au Québec qui était très fort. Un mouvement féministe exemplaire. Lorsque j’ai travaillé au Conseil du statut de la femme, j’ai eu l’occasion d’organiser des colloques internationaux et, je me rappelle, en 2003, il y avait des chercheuses universitaires des États-Unis, du Canada, de l’Europe et du Québec. Il y avait aussi à ce colloque, des intervenantes féministes qui travaillaient directement sur le terrain et il y avait aussi des féministes d’État, c’est-à-dire des féministes responsables de la condition féminine dans les syndicats et les ministères, etc. Il y avait un maillage très serré entre ces groupes, ce qui a permis au Québec de faire des avancées spectaculaires, ce que le Canada n’a pu faire. Pour les États-Unis, on n’en parle même pas !
Donc c’était vraiment une caractéristique québécoise, et des universitaires ont choisi des champs de recherche qui n’ont plus rien à voir avec la cause des femmes. On a constaté ce mouvement : les études féministes sont devenues des études de genre, les études de genre sont devenues des études sur l’identité de genre. Et beaucoup de départements d’études de genre en Amérique du Nord sont dirigés par des hommes qui se disent femmes.
On a aussi perdu des outils de recherche qui étaient à la disposition des femmes.
D’ailleurs, Condition féminine Canada a aussi ajouté cette particularité concernant les genres.
Tout à fait. L’organisme Condition féminine Canada est devenu un Ministère des femmes et de l’égalité des genres, ce qui est antinomique parce que c’est contre les genres qu’on doit lutter pour l’égalité. Et maintenant on dit : « Non, non, tous les genres sont égaux ! » On vient vraiment de frapper un mur. Le mouvement féministe n’ira nulle part avec cette position.
Donc, on a perdu l’élan vers plus d’égalité. Prenons la Loi sur le patrimoine familial votée en 1989. Cette loi a vu le jour grâce à des chercheuses universitaires, des féministes actives sur le terrain, des politiciennes qui n’ont pas hésité à voter avec le parti adverse pour obtenir ce gain pour les femmes.
On a les CPE au Québec. Il n’y en a pas au Canada. C’est une caractéristique québécoise. Parlons aussi du Régime québécois de l’assurance parentale, c’est une autre caractéristique québécoise. Ces outils d’émancipation pour les femmes n’existent pas ailleurs. Et ce sont aussi des femmes qui ont constaté les reculs que les femmes vivaient en raison de la non-reconnaissance de besoins particuliers. On était à l’avant-garde. Vraiment.
Actuellement, je peine à trouver des domaines où le féminisme québécois se démarquerait.
On constate d’ailleurs que beaucoup de femmes disent ne pas se reconnaître dans cette « nouvelle vague ». Et des hommes également.
Moi, je suis une vieille féministe et j’ai souvent entendu les hommes dire que les revendications féministes n’avaient pas de sens. Leur vision a changé. Mais quand on a demandé des congés parentaux dans les années’ 70-80, des hommes trouvaient que ça n’avait pas de sens. La même chose quand on a demandé des garderies dans les années ’80. Ces réticences ont toujours existé, mais maintenant il y a beaucoup d’hommes qui reconnaissent le bien-fondé des revendications des femmes, ils profitent aussi de ces bénéfices. Le Régime pour l’assurance parentale, ce ne sont pas les hommes qui ont milité pour ça, mais ils sont très contents. On le voit. Les jeunes pères québécois profitent de l’assurance parentale. Une caractéristique québécoise, je le répète. Cela n’existe pas au Canada, aux États-Unis et même dans plusieurs pays d’Europe.
On a vraiment réussi à transformer structurellement la société avec des revendications féministes qui ont bénéficié à toute la société. On a sensibilisé les hommes aux stéréotypes qu’ils subissaient eux aussi. On les a aidés à sortir de ce carcan. Plusieurs générations d’hommes ont évolué et ont changé leur relation avec les femmes. Malheureusement, on remarque un retour en force des stéréotypes sexistes et de genres.
Et oui, effectivement, je vois aussi de plus en plus de femmes qui ne se reconnaissent pas dans la « troisième vague ». C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous avons fondé Pour les droits des femmes du Québec.
(Partie 2)
Diane Guilbault, tu es présidente du groupe féministe PDFQ depuis 2 ans. Quel est ton parcours personnel relativement à ton implication féministe ? Et qu’est-ce qui t’a motivée à fonder le groupe PDF Québec ?
En fait, moi j’ai eu la chance de naître dans une famille de 5 filles et un garçon et, très tôt, on a été poussées à faire de longues études, à ne pas se limiter parce qu’on était des filles. Mon frère est né le dernier, mon père n’avait alors que des filles et peut-être s’est-il dit, tant qu’à faire, je vais pousser mes filles à aller loin. Ceci dit, ma mère était une femme indépendante, elle s’est mariée tard, elle travaillait et donc elle nous a aussi encouragées.
Et ma mère était aussi féministe. Elle a ouvert le premier Centre de femmes à Québec. En 1975, des subventions ont été accordées dans le cadre de l’Année internationale de la Femme déclarée par l’ONU. Elle avait déposé ce projet, et j’avais travaillé avec elle. J’étais à l’université à ce moment-là, j’étudiais en sociologie et ce sujet m’intéressait. J’y ai travaillé comme bénévole. J’étais à l’accueil et j’ai découvert un monde que je ne connaissais pas. J’étais jeune, j’avais vingt ans. Les femmes vivaient de la pauvreté, de la violence. On assistait à une vague de divorces, alors qu’il avait été légalisé quelques années auparavant. Le mari décidait de mettre fin à la relation ou les femmes elles-mêmes décidaient de quitter une union dangereuse ou insatisfaisante, et plus souvent qu’autrement, elles se retrouvaient le bec à l’eau. En 1975, les femmes commençaient à peine à percer le marché du travail. En sociologie, nous étions 5 filles, les autres étaient des hommes. Lorsque j’ai travaillé dans une commission scolaire, nous étions 5 femmes, dont 4 secrétaires et moi. Tous les professionnels étaient des hommes. C’est quand même récent que les femmes ont envahi le marché du travail.
Pour travailler, les femmes devaient s’affirmer, souvent contre la volonté de leur mari, les hommes ne voulant pas les embaucher parce qu’ils disaient que la place de la femme était à la maison. J’étais donc face à ces femmes qui en arrachaient littéralement. Elles étaient sous la dépendance du mari. Ça a été un chemin de Damas pour moi. J’avais lu des livres, j’en avais entendu parler, je le savais de façon théorique, mais là, je croisais ces femmes pour vrai. Ça a galvanisé mon féminisme et le désir de m’investir davantage afin que les femmes puissent avoir leur place au soleil, pour arriver à l’égalité. Et même au travail, je me souviens comment c’était difficile d’être prise au sérieux dans ces années-là. Même moi, à une époque, j’ai perdu mon emploi alors que j’étais enceinte. Malheureusement, ça existe encore.
Donc, j’ai baigné dans ce milieu-là et j’ai suivi les dossiers reliés à la condition des femmes, même quand je ne travaillais pas spécifiquement pour un organisme relié aux questions des femmes. Je me suis investie dans des comités de condition féminine, dans les syndicats. Je me suis toujours intéressée à la question. Être féministe, ça ne se passe pas de 9 heures à 5 heures. On l’est toute la journée. C’est notre vie. Notre vision du monde est teintée par ces préoccupations. On voyage dans le monde, ça ne nous empêche pas de voir les merveilles, de voir de belles choses, mais je suis toujours attentive à connaître quelle place est donnée aux femmes. Je ne peux pas me retenir de constater les différences qu’il y a : il y a des sociétés qui sont plus avancées que d’autres par rapport aux droits des femmes. Par ailleurs, il y a des femmes dont le rôle est reconnu, en particulier dans certains milieux ruraux. On voit comment des femmes tiennent leur village à pleines mains ; tout s’effondrerait si elles n’étaient pas là.
Il y a quelques années, j’ai pris ma retraite pour militer. À cause de mon travail, j’avais un devoir de réserve, je m’impatientais face à tout ce qui se passait. Et j’ai pu alors m’investir totalement auprès de PDF Québec.
Au début septembre de cette année, PDF Québec apprenait qu’il était bénéficiaire d’une subvention d’un montant de 120 000$ annuellement, et ce pendant 4 ans. Qu’est-ce que ça va changer pour l’organisme ? Quelles seront vos priorités pour votre première année de fonctionnement ?
Alors, comme dit la publicité de Loto-Québec : « Ça change pas le monde sauf que… » Oui, ça va changer beaucoup de choses, parce que pour le moment, les personnes qui se sont investies dans le groupe l’ont fait bénévolement depuis le début, et même, ont déboursé de leur propre argent. Plusieurs personnes travaillent à temps plein et, faute d’argent, on a dû limiter nos projets.
Maintenant, on va louer un local, engager du personnel, refaire le site Web, créer des outils dynamiques pour faire passer nos messages, comme des vidéos ou autres. La subvention du Secrétariat à l’action communautaire autonome et aux initiatives sociales, c’est une reconnaissance. C’est une subvention pour soutenir la mission de défense des droits. PDF Québec ne donne pas des services, mais défend des droits. Et comme la subvention est récurrente, on peut faire des projets plus élaborés. Si on remplit notre mandat, bien sûr, car la gestion est très stricte.
Maintenant, on peut planifier la mise en place d’outils, d’activités qu’on va pouvoir reproduire parce que l’argent est au rendez-vous. Avant, on planifiait les projets selon la disponibilité des bénévoles. Juste pour l’année 2018-2019, j’ai calculé 13 500 heures de bénévolat. Par ailleurs, j’espère que nos membres vont continuer à s’investir bénévolement, parce que ça fait une grande différence. Les membres sont membres pas seulement parce qu’elles cotisent, mais bien parce qu’elles sont vraiment engagées.
On va donc pouvoir planifier nos activités de rayonnement et faire connaître encore plus notre travail auprès de la population. On va pouvoir multiplier les rencontres dans les librairies, les Centres de femmes, dans les CALACS. Le contact direct avec les personnes, ça change tout. La transmission de l’information est plus vivante, et c’est beaucoup plus facile d’échanger des points de vue qui sont parfois complexes parce que les réalités sont complexes. Il n’y a pas de solutions simples, sinon on les aurait déjà appliquées. Ça prend beaucoup de réflexion, d’études, de pondération.
Je pense, par exemple, au dossier de la consultation sur la Réforme du droit de la famille que la Ministre de la justice, Sonia Lebel, avait lancée l’année dernière pour la première partie qui concernait la conjugalité. Des membres, qui avaient déjà travaillé sur ce sujet dans les années ’80, dont une ancienne présidente de la FFQ d’ailleurs, nous ont beaucoup aidées. Une journée, les membres du CA se sont réunies spécifiquement pour se pencher sur ce sujet. Une membre qui travaille dans un Centre de femmes nous a véritablement éclairées, ce qui nous a permis de transmettre à la Ministre un point de vue très nuancé. Et des membres originaires d’autres pays nous ont éclairé sur des problèmes qui n’étaient mentionnés ni dans le document de consultation, ni lors de la consultation du comité présidé par Me Alain Roy. Il s’agit des mariages religieux qui ont été contractés à l’étranger, des femmes qui pensent qu’elles ont un contrat de mariage valide et qui pensent avoir droit aux bénéfices du contrat de mariage. Ce qui n’est pas le cas, puisqu’elles ne sont pas inscrites aux registres de l’état civil. Qu’elles aient été mariées à l’extérieur du Québec ou ici. Mais au Québec, si le mariage a été conclu par un officiant religieux qui n’a pas déclaré le mariage à l’état civil, ce qui est illégal, il n’est pas reconnu. Et ce sont les femmes qui sont les grandes perdantes. Il n’y a donc pas de mesures de précautions pour ces femmes. Compte tenu de l’immigration croissante, on est en mesure de croire que plusieurs femmes en sont affectées. Parfois, elles ne connaissent même pas la langue, c’est difficile pour elles de vérifier si le seul mariage auquel elles ont adhéré est seulement religieux et qu’il est illégal ici.
Les subventions vont nous permettre, non pas de changer notre façon de réfléchir, mais de faire participer un plus grand nombre de personnes à notre réflexion, et surtout de mieux diffuser nos analyses. De présenter d’autres paramètres de discussion aux groupes de femmes, aux personnes, surtout celles qui sont sur le terrain, pour revitaliser la défense du droit des femmes à l’égalité et à des changements de société dans une perspective féministe universaliste.
Par ailleurs, nous avons un projet particulier concernant les mères porteuses. On sait que la loi va être modifiée, suite à la deuxième partie de la consultation sur la Réforme du droit de la famille. Nous réfléchissons actuellement à la façon la plus adéquate de procéder, afin de faire prendre conscience aux médias de tous les enjeux vis-à-vis cette question. Présentement, le point de vue favorable à l’enfantement pour autrui est davantage relayé. On veut sensibiliser les politiques, celles et ceux qui font les lois, les femmes, les groupes de femmes et les chercheuses universitaires.
Pour le moment, on a de la difficulté à avoir des recherches universitaires qui ont une vue globale, et non centrée sur une vision néolibérale, du « mon choix mon droit ». Pour nous, c’est de l’exploitation de femmes. On semble axer l’analyse sur un droit de parents commanditaires. Le droit à l’enfant n’existe pas ! La position féministe que nous privilégions a été noyée dans ce supposé droit à l’enfant. Les personnes ont le droit de fonder une famille, même les conjoints de même sexe, mais cela ne donne pas un droit à l’enfant. Ça n’existe nulle part, mais il y a des pressions pour le faire reconnaître.
La maternité pour autrui est un problème international, la solution ne peut pas être uniquement nationale, mais internationale.
D’ailleurs, Diane Guilbault, tu fais partie d’un organisme international qui est contre la maternité pour autrui. Peux-tu nous en dire plus ?
Oui, le CIAMS, la Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution. Il y a des gens d’Amérique du Sud, du Mexique, des États-Unis, plusieurs pays européens, les pays du Nord. On a même des gens de la Hongrie. Je suis la seule femme du Canada, je crois. Il y a des membres de l’Inde, des chercheuses Indiennes en particulier, parce que le problème y est très marqué. Maintenant, les femmes peuvent porter un enfant pour autrui seulement une fois. La législation a été complètement changée. On ne peut pas faire une carrière de mère porteuse. Les législations à travers les pays sont très différentes. Malheureusement, les États-Unis sont un grand leader.
Avant, on parlait souvent de Mme Thatcher comme du maillon le plus faible, entre autres, pour la recherche sur les embryons. L’absence de règles éthiques au Royaume-Uni était flagrante. Les chercheurs en profitaient pour y faire leurs recherches. Les États-Unis sont en bonne place pour promouvoir l’enfantement pour autrui. Et aussi le Canada, malheureusement, qui veut se positionner comme un grand producteurs de bébés par mères porteuses, parce qu’il y a beaucoup d’argent à faire. C’est une industrie et l’industrie est là pour faire de l’argent. Dans plusieurs provinces du Canada, on a changé la législation pour faire reconnaître les parents commanditaires. Avant la naissance du bébé, les noms des commanditaires sont écrits sur l’extrait de naissance, et non pas le nom de la mère. Ce qui est interdit au Québec et qui devrait le rester : la mère va renoncer à l’enfant pour le faire adopter.
Ceci dit, le Canada est un pays convoité à cause du laxisme des législations d’une part, mais d’autre part parce qu’on a un système de santé public qui est payé par l’ensemble des citoyens. Ça coûte beaucoup moins cher pour les commanditaires de venir faire faire un bébé au Canada, parce qu’ils n’ont pas besoin de payer les coûts hospitaliers et ceux reliés au suivi médical et à l’accouchement. Ce qui est un scandale dans un système public de devoir payer pour des interventions qui ne sont pas reconnues éthiquement.
Donc, la maternité pour autrui va être une priorité en 2020. Quels autres dossiers feront partie de vos priorités ?
On va aussi continuer de se pencher sur la question de l’identité de genre. Actuellement, on constate, malheureusement, les impacts négatifs de l’activisme transgenre sur les droits des femmes. Exactement comme on l’avait prévu, entre autres dans les prisons. On place des hommes qui se disent femmes dans des prisons pour femmes, sans égard à la sécurité des détenues. Plusieurs décisions politiques sont axées autour de la sensibilité de l’homme qui se dit maintenant trans, mais aucune sur les droits des femmes. Elles ont droit à des prisons séparées des hommes, c’est inscrit dans des conventions internationales que le Canada a signées. On change les décisions sans qu’elles aient été votées. À l’Insu de la grande majorité des gens qui ne savent pas que ces politiques existent. La loi ou les traités internationaux sont plus importants qu’une politique locale. Des détenues ont subi des agressions comme on l’avait prévu.
On voit aussi des préjudices dans le sport. Les femmes peuvent participer à toutes les disciplines sportives des Olympiques seulement depuis 2012. Les femmes subissent des défaites, perdent des médailles, perdent des bourses scolaires parce que des hommes ou des garçons présentent leur candidature dans la catégorie des femmes, sous prétexte que leur identité de genre a changé et qu’ils s’identifient au sexe féminin. C’est une attaque très concrète aux droits des femmes très concrètes.
Personne n’empêche les personnes trans de faire du sport, mais ça ne leur donne pas le droit de prendre la place des femmes. C’est un dossier délicat. C’est difficile d’en parler, parce qu’on se fait attaquer de toutes parts. Il y a moyen de respecter les droits des trans sans empiéter sur ceux des femmes, sans abolir ceux des femmes.
Un autre exemple : si des garçons à l’école se sentent féminins, et ne sont pas à l’aise d’aller dans les toilettes pour garçons, pourquoi enlever le droit des filles à des toilettes pour elles seules ? On pourrait avoir des toilettes pour ces garçons-là. Mais les politiques appliquées dans les écoles, appuyées par plusieurs commissions scolaires, c’est qu’on enlève les toilettes réservées aux filles. Sans égard au fait qu’elles ne sont pas enchantées de montrer qu’elles ont leurs règles aux garçons. C’est vraiment un envahissement de la vie intime, et en plus c’est contre le code du bâtiment qui prévoit des espaces séparés selon les sexes et selon leurs besoins spécifiques. On n’a jamais amendé le code du bâtiment, et on en n’a jamais discuté démocratiquement. On change les exigences pour une décision locale sans égard aux droits des femmes.
Y a-t-il d’autres dossiers sur lesquels vous allez vous pencher ?
Oui, il y a le dossier sur l’équité salariale. La question économique des femmes est primordiale. Il y a encore des écueils liés à l’application de la loi sur l’équité salariale. Il y a encore des écarts qui existent entre les salaires des femmes et des hommes. On se souvient l’été passé d’une usine en Gaspésie qui annonçait un salaire différent pour les hommes et les femmes. À la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, on nous a répondu qu’il n’y avait pas de victimes, donc qu’elle ne pouvait pas faire d’enquête. On a fini par comprendre qu’il n’y avait pas de plaignantes. Nous, on a répliqué que s’il n’y avait pas de plaignantes, ça ne voulait pas dire qu’il n’y avait pas de victimes. Toutes les femmes sont victimes de discrimination quand une entreprise annonce un salaire inférieur pour les femmes. La discussion a tout de même porté, car je crois qu’on a compris la nuance. Supposons qu’une femme a peur de mourir assassinée, elle n’ira pas nécessairement se plaindre, mais il y a une victime. Si on interdisait aux NoirE-es d’entrer dans un bar, personne ne dirait qu’il n’y a pas de victimes. Tout le monde crierait à la discrimination.
Également, la question des femmes autochtones est très importante pour nous. Lors de notre dernière assemblée générale annuelle, le prix PDF Québec a été remis à Michèle Taïna Audette, qui vient d’être nommée conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval. Une femme exceptionnelle qui a fait beaucoup pour les femmes autochtones, et qui est un modèle pour toutes les femmes. C’est extrêmement important pour nous. Les femmes autochtones vivent de la discrimination systémique. Si ce mot-là a un sens, c’est bien dans le cas des femmes autochtones. On veut fortifier nos alliances avec elles.
Depuis sa fondation, PDF Québec est la cible de plusieurs attaques de certaines militantes qui ne partagent pas votre philosophie. Pourquoi PDF Québec est-il si important pour les femmes ?
On est le seul organisme national qui a gardé sa lunette d’analyse féministe. Notre priorité est la défense des droits des femmes, de toutes les femmes, en tenant compte de leurs particularités. À la différence d’autres groupes, on n’est pas un bureau d’avocat qui défend des causes individuelles. On traite la question des femmes comme une question de classes. Une analyse de gauche. Ancienne, mais qui est une façon de voir les rapports sociaux, les hommes comme groupes, les femmes comme groupes, les femmes sont minorisées, sont infériorisées, invisibilisées. À cause de leur capacité reproductrice, elles ont été confinées à l’espace domestique pendant longtemps. Sans compter les agressions sexuelles dont elles ont été victimes. Tous les stéréotypes de genre infériorisent les femmes.
Il y a une différence entre se porter à la défense des femmes, et des droits des femmes. Nous on se préoccupe des droits des femmes. Si on était en 1940, on ne serait pas du côté des femmes qui étaient contre le droit de vote, c’est évident. Certaines femmes font des choix qui ne sont pas féministes. Il faut que cette défense soit un gain pour le féminisme. Si, par exemple, une femme décide de rester avec un conjoint violent, c’est son choix et on le respecte, c’est un changement qui implique beaucoup de choses, mais ce n’est pas un choix féministe. Parce que les choix féministes sont émancipateurs. C’est encore l’émancipation des femmes qu’il faut viser. Nos décisions visent l’émancipation des femmes, l’ensemble des femmes.
Quand on parle de la question du voile, on ne peut pas faire semblant que le voile n’est qu’un bout de tissu à la mode ou pas. C’est une pratique qui a été imposée aux femmes. Le voilement des femmes, car c’est bien ce dont il s’agit, a été exigé pour marquer leur infériorité par rapport aux hommes, pour bien marquer qu’elles sont des objets sexuels aux yeux des hommes, donc elles deviennent responsables de protéger les hommes de leurs désirs. Et des femmes dans le monde qui luttent pour s’émanciper de ce voilement. Nous, on est solidaires des femmes qui luttent pour leur émancipation. On ne veut pas se mesurer aux femmes qui préfèrent se voiler, mais on espère les convaincre qu’elles sont des personnes d’égale dignité que les hommes. Du côté international, c’est sûr qu’on est du côté des femmes qui sont obligées de se voiler. L’impact de certains choix législatifs doit être étudié en fonction de l’ensemble des femmes. Est-ce que globalement les femmes vont avancer selon ces choix où leurs droits vont reculer ?
Diane Guilbault, merci pour cette entrevue !
Notes
1) Radio-Canada info, Le port du niqab permis dans certaines situations devant les tribunaux, 20 décembre 2020 Lire ici
2) Sirois, Michèle et autres signataires, Manifeste - Halte aux attaques contre les droits des femmes Lire ici
3) Agag-Boudjahlat, Fatiha, Combattre le voilement – Entrisme islamique et multiculturalisme, Les Éditions du Cerf, 2019.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 27 août 2020