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Ginella Massa : il n’y a pas de gloire à imposer ses choix doctrinaux
4 février 2021
par
Ginella Massa, la nouvelle animatrice de l’émission quotidienne d’affaires publiques à CBC Canada Tonight with Ginella Massa, considère que sa foi est plus importante que sa carrière. « Si on avait exigé que je choisisse entre ma foi et ma carrière, j’aurais choisi ma foi. » (1)
Son voile, l’ostentation de sa foi, est aussi plus important que les auditrices et auditeurs de la CBC qui seraient en droit de demander plus de neutralité à la société de la Couronne canadienne.
Mais on est au Canada, dans un pays multiculturaliste qui valorise la diversité, la différence, l’ « inclusion », au détriment des droits des femmes. C’est ce que souligne Djemila Benhabib sur sa page Facebook qui considère la décision de la CBC « immonde » : « Le voile est un symbole sexiste, un marqueur de l’intégrisme et un outil pour séparer les « pures » et les « impures ». »(2)
Dans son livre Combattre le voilement, Fatiha Agag-Boudjhalat n’en dit pas moins et elle insiste sur les prescriptions patriarcales imposées :
Porter le foulard marque le consentement de la femme à satisfaire les exigences masculines du patriarcat oriental, basé sur un triptyque patriarcal : la femme doit être vierge, pudique et modeste. On parle même de mode pudique. Ce qui rend impudiques le reste des femmes. Quel plus fort signe d’aliénation que celui qui consiste à faire du port du voile islamique, exigence patriarcale, une revendication des femmes, et surtout une revendication qualifiée de féministe ? (3)
Effectivement, Ginella Massa ne semble pas consciente que son voile renvoie les femmes qui ne le portent pas à l’impudeur et à une injonction d’afficher leur pudeur, leur « pureté ». A-t-elle la moindre considération pour ces femmes et ces jeunes filles qui voulaient s’affranchir de préceptes sévères et intransigeants, comme le souligne Djemila Benhabib ?
La chaîne publique CBC TV s’imagine faire preuve d’ouverture en engageant une animatrice portant un hijab pour animer une émission d’informations nationale au Canada ignorant par le fait même que des filles et des femmes, au Canada, souffrent des pressions familiale, communautaire et religieuse pour se conformer à des normes rigoristes s’agissant de leur rapport au corps, à la sexualité et à leurs choix de vie. (4)
Que pense cette femme, qui affiche allègrement son prosélytisme, de ces jeunes filles qui ont été agressées ou même assassinées au Canada parce qu’elles refusaient de porter le voile ? Parce qu’elles refusaient de vivre selon les principes rigides de leurs parents ou qu’elles refusaient de marier de force un candidat choisi par eux ? On est en droit de se demander comment Mme Massa traitera les informations concernant ces jeunes filles qui ont voulu ou qui veulent se soustraire aux pressions de leur entourage. Si elle en parle.
Abordera-t-elle ces informations venant par exemple de l’Iran, où des femmes sont arrêtées et emprisonnées parce qu’elles ont tombé le voile ? Dansé ? Récité des poèmes ?
Verra-t-on à son émission des jeunes femmes kurdes libérées des griffes de l’État islamique qui ont combattu ses légionnaires militairement ? Des femmes qui ont été esclaves de ce groupe terroriste, dont celles qui ont déchiré et brûlé leur burqa avec joie, une fois libérées ?
Rafah Mohammed, jeune saoudienne qui a quitté sa famille et son pays, qui s’est réfugiée au Canada il y a quelques années et à qui Inna Shevchenko, femen et collaboratrice de CharlieHebdo.fr demandait ce qu’elle pensait du #WorldHijabday, affirme qu’il n’est pas juste que des femmes qui jouissent de liberté en Occident défendent le voile :
Le hijab est un symbole d’oppression précisément parce que les femmes d’aujourd’hui sont encore obligées de le porter, sinon elles sont battues, persécutées, jusqu’à ce qu’elles acceptent de le porter ! Oui, les femmes qui veulent porter le hijab méritent le respect comme n’importe qui d’autre. Mais il n’est pas juste qu’une femme occidentale qui jouit de sa liberté et ne porte même pas le hijab, ou ne sait rien sur le sujet, le défende. Elles ne pensent pas à ces femmes qui sont forcées de le porter ou à celles qui subissent des violences pour ne pas l’avoir porté. (5)
D’ailleurs Mme Mohammed trouve ridicule le #WorldHidjabday :
Que les femmes doivent se couvrir avec le hijab pour aider les hommes à contrôler leur désir sexuel. Cette idée est tout simplement dégoûtante ! Célébrer le #WorldHijabDay, c’est célébrer la sexualisation des femmes. Je souhaite que les femmes qui célèbrent le #HijabDay parlent honnêtement de ce que le hijab a fait à de nombreuses femmes qui souffrent de violence et d’oppression à cause de cette culture de la modestie. (6)
Mme Massa ne célèbrera peut-être pas le voile, mais comme personne très médiatisée, c’est un peu comme si elle le faisait. Elle le porte depuis l’enfance dit-elle. Si elle ne l’a pas choisi alors, encouragée par les idéaux religieux de sa mère, elle est tout de même consciente maintenant de la portée de ce vêtement.
Employée de l’État, sa décision de garder cette représentation sexiste est inconvenante et désobligeante. Ses idéologies religieuses ne peuvent prendre le pas sur l’information juste et impartiale envers toute une population. Il n’y a pas de plafond de verre à briser en portant ce symbole sexiste et patriarcal. Il n’y a pas de fierté à faire la vedette et imposer ses choix doctrinaux devant des milliers de personnes à une émission d’informations.
Le choix de la chaîne CBC en dit long sur sa façon de considérer l’égalité affirme encore Djemila Benhabib :
Or, si la chaîne publique valide ce choix rigoriste islamiste, elle fait fi du principe d’égalité. Elle prend clairement parti pour ceux qui usent de la force pour imposer leurs diktats. Que dire de la quête des filles et des femmes pour la liberté et l’émancipation partout dans le monde ? (7)
En fait, Mme Massa et la chaîne CBC ont une vision bien particulière et choquante de (ne pas) comprendre ce symbole.
Notes
1. Leduc, Louise, Ginella Massa, nouvelle vedette de l’information à la CBC, La Presse, 28 janvier 2021 à 9h00, Lire ici
2. Benhabib, Djemila, Statut sur sa page Facebook, 9 janvier à 4 h 56, Lire ici
3. Agag-Boudjhalat, Fatiha, Combattre le voilement, Les éditions du Cerf, 2019, p. 31.
4. Idem
5. Shevchenko, Inna, Célébrer le #WorldHijabDay, c’est célébrer la sexualisation des femmes, CharlieHebdo.fr, 1er février 2021
6. Idem
7. Idem
Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 février 2021