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Laïcité : contestation de la loi 21

9 mars 2021

par Annie-Ève Collin, féministe et philosophe

On connaîtra sous peu l’issue du procès contre la loi 21, procès durant lequel les avocats représentant la Fédération autonome de l’enseignement (qui faisait partie des plaignants) ont décrété que les témoignages d’immigrants musulmans sur le caractère sexiste du voile devaient être ignorés, qu’ils n’étaient pas recevables. Certains, comme ces avocats, refusent obstinément de reconnaître le caractère sexiste du voile, en dépit du fait qu’il soit très clair et bien documenté, et peu importe les preuves qu’on leur en donne. Et surtout, certains martèlent qu’il faut d’abord écouter les "principales intéressées" quand il est question d’interdire le voile dans la fonction publique. Et par "les principales intéressées", ils veulent dire les femmes voilées.

Je laisserai de côté le fait qu’on a amplement permis à des femmes voilées de prendre la parole ou d’écrire sur le sujet. Ce n’est pas parce qu’on a écouté ce qu’elles avaient à dire qu’on est obligé de se ranger à leur avis. Je veux surtout faire valoir dans ce billet qu’elles ne sont PAS les principales intéressées. Le port d’un signe religieux ne concerne pas seulement la personne qui le porte, il concerne tout autant ceux qui le voient et qui reçoivent le message qu’il véhicule. Quand il s’agit d’un signe religieux sexiste, alors ça concerne toutes les femmes, et plus généralement tout le monde.

Porter le voile volontairement, c’est appuyer une conception inégalitaire des rapports entre les sexes et du corps de la femme comme strictement érotique ; le porter sous pression sociale, c’est se faire imposer de telles croyances. Ces conceptions ont de quoi intéresser toutes les femmes, pas seulement celles qui y adhèrent, parce que toutes les femmes sont perdantes à ce que cette idéologie soit véhiculée, et à ce qu’elle soit affichée, à plus forte raison dans la fonction publique.

Porter le voile volontairement, c’est avoir intégré l’idée qu’une femme doit se couvrir complètement ou presque pour signifier qu’elle n’est pas offerte aux hommes, ce qui implique que celles qui ne se couvrent pas, elles, s’offrent aux hommes par défaut. Les femmes non voilées subissent l’impact d’une telle mentalité. L’impact sur les musulmanes qui ne portent pas le voile est souvent d’autant plus important : dans les communautés où le port du voile se répand, elles sont étiquetées comme de mauvaises musulmanes, de fausses musulmanes, des femmes qui manquent de pudeur, etc.

Quand on parle de laïcité, et de l’interdiction contextuelle des signes religieux qui vient avec celle-ci, il n’y a pas de raison à ce que l’avis des femmes qui portent un voile jouisse d’une priorité quelconque : les gens qui voient les signes religieux portés par les fonctionnaires font tout autant partie des "principaux intéressés" que ceux qui les portent. Les arguments de celles et ceux qui s’attendent à ne voir ni promotion religieuse ni promotion du sexisme quand ils vont chercher des services de l’État sont parfaitement valides.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 mars 2021

Annie-Ève Collin, féministe et philosophe


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