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Grossesses pour autrui
Qu’en est-il de la dignité humaine, mais aussi de la démocratie ?

7 janvier 2022

par Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe

Le débat moral et éthique sur la grossesse pour autrui n’a pas eu lieu, aucun groupe féministe dénonçant l’exploitation humaine qu’est la grossesse pour autrui n’a été invité à la commission parlementaire sur le projet de loi 2, qui n’a duré que trois jours et demi. Rappelons que les femmes et les enfants sont les citoyen-ne-s qui seront les plus affectées par ces changements sociaux.

Dans les années ’70, les féministes se sont opposées à l’assujettissement de se reproduire dans le but de procurer une descendance. La grossesse pour autrui nous ramène à cette époque qu’on pensait révolue. Des pressions familiales et sociétales sont à redouter afin que les femmes rendent leur corps disponible à ce mode de reproduction, qui sera facilité par les nouvelles possibilités technologiques et juridiques.

Dans « La politique du vêlage », le Dr Jean-François Chicoine constatait en 2018 que les adoptions à l’étranger avaient diminué depuis 2004 et qu’inversement le nombre d’enfants nés de mères porteuses avait proportionnellement augmenté : la demande pour les mères porteuses risque de s’accroître ici et ailleurs, de même que l’exploitation, les abus et les conséquences importunes inéluctables. D’autre part, le nombre de parents disponibles pour l’adoption d’enfants existants s’amenuise

Les trois politiques adoptées par les États et l’importance de la dignité humaine

Trois principales politiques guident les États concernant la grossesse pour autrui : (1) « l’interdiction » motivée par le respect de la dignité des femmes et des enfants, (2) « l’encadrement » motivé par une approche pragmatique et (3) le « libre marché » motivé par la primauté des droits individuels.

Vingt-deux États des États-Unis permettent le libre marché de la grossesse pour autrui. Le Royaume-Uni et les ex-empires britanniques ont choisi l’encadrement, le choix du gouvernement avec le projet de loi 2. La Chine et la plupart des pays européens l’ont interdit depuis les années 1990 ; le Royaume-Uni, la Grèce et la Belgique l’ont dépénalisée et réglementée. Tous les pays de l’ancienne URSS ont basculé dans un libre marché de la grossesse pour autrui.

Plusieurs États avaient commencé par encadrer la pratique, mais ont graduellement dérivé vers des politiques de libre marché pour en faire un commerce comme un autre, sous la pression toujours plus forte des tenants de la grossesse pour autrui que les restrictions rebutent.

Le choix des pays européens d’interdire la grossesse pour autrui est issu d’un idéal moral élevé entériné aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Comme le souligne la Coalition Internationale pour l’Abolition de la Maternité de Substitution (CIAMS) :

Si cette pratique est interdite en France, comme d’ailleurs dans la plupart des pays européens, c’est parce qu’elle est attentatoire à la dignité humaine aussi bien des mères porteuses, instrumentalisées au profit d’autrui, que des enfants dont l’intérêt supérieur n’est certainement pas d’être achetés ou vendus.

Le principe de l’intérêt supérieur des femmes et des enfants et l’indisponibilité du corps humain sous-tendent le précepte de dignité humaine.

Une seule recommandation : ne pas abroger l’article 541 (2002)

Le Women’s Human Rights Campaign (WHRC QUÉBEC) se positionne contre les contrats de grossesse pour autrui et pour l’interdiction de la reconnaissance de la filiation des enfants nés de cette pratique sociale, à l’instar de 36 organismes membres actifs de la CIAMS, mais aussi du Conseil d’état français.

Données inexistantes et risques considérables pour les mères porteuses et les enfants

La grossesse pour autrui, pratique sociale porteuse d’inégalités sociales, véhicule un potentiel inquiétant de violations des droits humains. Elle est aussi porteuse de risques considérables pour la santé de la mère porteuse et pour l’enfant à naître. Comment le gouvernement peut-il légiférer sans connaître davantage les risques pour les femmes et les conséquences pour la société ? Ces données probantes sont essentielles pour faire un choix de société éclairé. L’état actuel de la commercialisation de cette pratique et les coûts sociaux et psychologiques sont inconnus ou non communiqués, notamment à cause de la confidentialité des contrats établis selon la volonté des agences.

Le Canada semble être devenu une plaque tournante du tourisme procréatif : une des seules statistiques à ce sujet révélait que 45 des 102 bébés nés de grossesse pour autrui en Colombie-Britannique entre 2016 et 2017, étaient destinés à des parents commanditaires étrangers alors que les mères et leurs enfants ont été suivis et soignés grâce au régime de santé canadien.

Le gouvernement du Québec pourrait devenir cet État véritablement progressiste en refusant le marché des grossesses pour autrui et en n’abrogeant pas l’article 541.

Johanne St-Amour
Féministe universaliste
Analyste du comité de réflexion sur la grossesse pour autrui
WHRC Québec

Notes
1. Jean-François Chicoine, « La politique du vêlage », La Presse+, 2018 : Lire ici <
2. Coalition Internationale de la Maternité de Substitution, « Alerte GPA : La France complice de l’exploitation des femmes et de la vente d’enfants », communiqué de presse, 2021 :
Lire ici
3. Alison Motluck, « How Canada became an international surrogacy destination », The Globe and Mail, 2018 :
Lire ici

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 décembre 2021

Johanne St-Amour, féministe radicale et collaboratrice de Sisyphe


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=5611 -