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Viol d’enfant : des tribunaux sous influence

août 2003

par Martin Dufresne, Collectif masculin contre le sexisme

Depuis Freud et le cas Dora, les " psys " ont souvent été aux avant-postes de la résistance à prendre en compte les viols sur enfant. En Amérique du Nord, à la suite de la levée des délais de prescription qui limitaient les recours judiciaires contre les agresseurs, un lobby s’est constitué pour offrir aux intimés des témoins experts et des théories-alibis, qui visent à soulever un doute raisonnable sur la culpabilité de n’importe quel accusé et sur la crédibilité de n’importe quelle victime. Dans une Amérique du Nord de plus en plus familialiste, les concepts de ce ressac anti-victimes ont eu droit à une diffusion médiatique sans précédent. Mais c’est dans les prétoires qu’ils ont trouvé une efficacité redoutable.

Le temps des mercenaires

Même si leurs hypothèses, publiées à compte d’auteur, demeurent exclus de l’ouvrage de référence en psychologie judiciaire, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-IV) publié par l’American Psychiatric Association, quelques psychologues marginaux se font payer plusieurs milliers de dollars par jour pour courir faire valoir tel ou tel " syndrome " ou " grille d’analyse " de leur création à des procès où ils ne rencontrent ni interviewent les victimes contre lesquelles ils témoignent ou les prévenus qu’ils viennent défendre.

Aux USA et au Canada, des parents accusés d’inceste ont tenté d’imposer le " syndrome des faux souvenirs ", théorie selon laquelle la mémoire de leurs accusatrices aurait été " contaminée " par des thérapeutes irresponsables et par une idéologie (lire le mouvement des femmes contre la violence sexiste). Une fondation, créée à grands frais, a financé des expériences visant à démontrer qu’on pouvait implanter des souvenirs illusoires chez des sujets et donc, que la mémoire des agressions subies n’était pas fiable. Comme si la justice n’était pas consciente de cette limite. La Fondation du syndrome des faux souvenirs - dont un des cadres avait été accueilli par une levée de boucliers du mouvement communautaire à Montréal, il y a dix ans - est aujourd’hui discréditée. Un de ses principaux " conseillers scientifiques ", le Dr Ralph Underwager, avait invité les pédophiles à affirmer fièrement leurs choix sexuels et les avait comparés à Jésus-Christ, lors d’une entrevue accordée à une revue néerlandaise consacrée à " l’amour " des enfants. Mais cette thèse des " faux souvenirs " a tout de même servi dans une foule de causes judiciaires, notamment pour faire tomber certaines des poursuites intentées à des congrégations chrétiennes pour violences sexuelles infligées à des jeunes.

Le syndrome du Dr Gardner

Le lobby de l’inceste parle également de " contamination " dans ce que le Dr Richard Gardner appelle le " syndrome de l’aliénation parentale " pour désigner toute désaffection d’un mineur pour l’un de ses parents, habituellement le père. Le raisonnement est simple, pour ne pas dire simpliste : Tout enfant est censé aimer ses deux parents. Si un enfant se rebelle face à ses devoirs filiaux (le droit de visite du père, par exemple), c’est nécessairement l’indice d’une " aliénation " due à l’autre parent (lire : la mère). Les témoignages de violence sont facilement discrédités au nom de ce " syndrome ", et l’on en vient à retourner l’appareil judiciaire contre le parent qui y a recours pour tenter de protéger l’enfant d’agressions pourtant souvent avérées indépendamment. Gardner, qui s’est récemment suicidé, allait jusqu’à recommander aux mères de " battre " l’enfant qui insistait sur la véracité des agressions subies… On comprend pourquoi les groupes négationnistes des violences patriarcales font une promotion systématique de cette théorie.

Dans le même genre, un certain Ira Turkat, de l’État de la Floride, tente d’imposer aux USA ce qu’il appelle le " syndrome de la mère malicieuse ", une invention qui rappelle le célèbre manuel de torture des inquisiteurs, le Malleus Maleficorum, où l’Église catholique avait prétendu faire une science de la diabolisation des femmes qualifiées de " sorcières ".

La notion de " fausses allégations "

Les médias jouent un rôle important dans ce travail de sape idéologique. Ainsi, la notion de " fausses allégations ", particulièrement à l’occasion du divorce, a donné au soupçon qui pèse historiquement sur la parole des femmes le poids de statistiques manipulées ou créées de toutes pièces. Mode d’emploi : dans un travail incessant de lobbying auprès des médias, des groupes qui recrutent ouvertement des agresseurs sexistes jusque dans les prisons identifient à de " fausses allégations " toute accusation de viol ou violence sur enfant qui n’aboutirait pas à une condamnation. Lorsqu’on sait à quel point la justice est inefficace et rétive à entendre de telles plaintes et surtout à condamner un père sur de tels chefs, préférant habituellement retirer la victime de la situation ou lui fournir un semblant de protection (visites temporairement supervisées), on ne peut tolérer un tel détournement de sens. L’inefficacité ou la complaisance du système deviendrait la " preuve " de la mauvaise foi des personnes qui y ont recours ! C’est pourtant ce qu’ont fait une foule de reportages, en taxant à l’avance de calomnie tout recours des victimes ou de leurs proches, notamment lors de procédures de divorce, au moment où il est le plus important de limiter les prérogatives de leur agresseur, susceptible d’être laissé seul avec ses victimes, sans parent protecteur pour veiller au grain.

Les fameuses " grilles "

Enfin, un des visages contemporains de la défense prête à porter offerte à grand prix aux agresseurs est la prétention de certains témoins experts nord-américains à disqualifier a priori tout témoignage qui n’aurait pas été recueilli conformément à des " grilles d’analyse " présentées comme scientifiques. La trentaine de " critères " improvisés par des psys comme Ralph Underwager, John Yuille ou Hubert Van Gijseghem comprennent des questions comme : La mère était-elle émotive au moment du témoignage ? Présentait-elle, au contraire, une impassibilité suspecte ? On comprendra que dans des tribunaux déjà surchargés, peu de témoignages survivent à pareils feux croisés. L’expert mercenaire appelé en défense parlera, une fois de plus, de " contamination " de la preuve, en réclamant du juge ou du jury qu’il discrédite le témoin ou son compte rendu.

Ce glissement vers une situation où le soi-disant spécialiste se substitue au juge et au jury a été maintes fois rejeté par des tribunaux américains et canadiens, avec les syndromes et grilles qui prétendent le fonder. Malheureusement, les spécialistes de cette "junk science" de plus en plusdiscréditée en Amérique du Nord s’envolent déjà vers l’Europe pour y donner des " formations ", ce qui laisse présager de nouveaux dénis de justice.

Quelques lectures suggérées :


Le Syndrome d’Aliénation Parentale a-t-il une base empirique ?
, Stephanie Dallam.

Examen critique des théories et opinions du Dr Richard Gardner,
Stephanie Dallam.
Kiss Daddy Goodnight et Notes from the family war zone, par Louise Armstrong.
Mothers on Trial : The Battle for Children and Custody, par Phyllis Chesler, New York : McGraw-Hill, 1986/Boston : Beacon, 1988.
Patriarchy : Notes from an Expert Witness, par Phyllis Chesler, Monroe, Me. : Common Courage Press, 1994.
Le secret le mieux gardé, par Florence Rush, Paris : Denoël-Gonthier, 1983.
Le Livre de la Honte, par Laurence Beneux et Serge Garde, Paris : Le Cherche Midi, 2001.
Dossier Mères en lutte, (B.P. 1145, 69203, Lyon Cedex 01).

Mis en ligne le 25 août 2003

Martin Dufresne, Collectif masculin contre le sexisme


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