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Les enfants du divorce ont besoin de notre protection

30 août 2003

par Michele Landsberg, journaliste

Michele Landsberg est une journaliste torontoise dont les écrits
irrévérencieux font depuis toujours hurler la Droite en général et le lobby antiféministe en particulier. Dans sa plus récente chronique au Toronto Star, elle démantèle l’argumentation du lobby des mauvais payeurs de pension alimentaire, dont la tactique est de faire supprimer de la loi sur le divorce toute reconnaissance du fait qu’un des parents (devinez lequel) écope habituellement du gros de la responsabilité des soins aux enfants, ce qu’on appelle la "garde".



Lorsque je regarde les très bons pères que je connais - des pères affectivement engagés, responsables et affectueux - je m’étonne de voir la paternité représentée sur la scène nationale et même dans le processus législatif par une poignée d’activistes agressifs qui incarnent précisément les valeurs contraires. De bons pères refuseraient tout autant de déclarer la guerre à leur ex-conjointe et d’infliger à leurs enfants des séquelles affectives permanentes qu’ils se refuseraient à détourner les fonds de leur employeur.

Hélas, les amendements à la loi fédérale sur le divorce qui risquent d’être promulgués cet automne ont été gravement influencés par les vociférations d’un groupe marginal de militants patriarcaux et de leurs arrogants alliés au Sénat et au Parlement.

La « responsabilité parentale »

Le ministre de la Justice Martin Cauchon s’apprête à déposer en troisième lecture le projet de loi C-22 où il veut éliminer les termes prétendument irritants de « garde » et de « droit de visite » pour les remplacer par la notion de « responsabilité parentale ». Il nous laisse cependant en pleine incertitude. Qu’arrivera-t-il aux barèmes de soutien alimentaire pour enfants ? Et à la protection des femmes et enfants qui tentent d’échapper à des hommes violents ? Comment assurera-t-on à l’application des ordonnances judiciaires ?

Des « plans parentaux » mal définis auront pour effet d’accroître et non de réduire l’achalandage des tribunaux par les ex-conjoints en lutte. C’est ce que l’on constate déjà en Angleterre et en Australie, où des lois semblables ont été adoptées. (John Eekelaar, The Law Quarterly Review, 1996 ; Rhoades, Graycar et Harrison, « The Family Law Reform Act 1995, The First Three Years ». Université de Sidney, 2000).

Oui, il est plutôt étrange de lire des références de style universitaire dans une chronique de journal. Mais chaque fois que j’aborde ce dossier, les justiciers auto-proclamés du lobby des pères se donnent le mot pour harceler de leurs cris l’ombudsman du Toronto Star en réclamant des preuves de la moindre statistique citée et en improvisant leurs propres chiffres pour me démentir.

Alors voilà. Sautez le reste de cette chronique si la question du divorce n’a aucun intérêt pour vous.

Les militants patriarcaux ont habilement créé un écran de fumée, tissé de clichés inexacts, de pseudo-anecdotes et de mensonges éhontés, pour s’approprier la sympathie populaire. Cliché numéro un : « Chaque enfant a droit à deux parents » et « Un enfant, il lui faut un père ». Astucieux ça,
de déguiser des prérogatives paternelles en « droits de l’enfant ». Pourtant, cet énoncé n’a pas le moindre fondement scientifique. Bien sûr, un père affectueux est un bienfait pour n’importe quel enfant. Mais n’importe quel père ? Un ivrogne, un batteur de femme, un tyran, ou un masculiniste au comportement infantile ? Un homme qui exploite les tribunaux pour harceler son ex-conjointe ?

Je ne crois pas.

L’absence du père, pas toujours dramatique pour l’enfant ?

La « paternité essentielle » dont parle le lobby des pères est affaire d’autorité, de règles, de discipline stricte et d’hétérosexualité imposée. Ils extrapolent à partir des conditions des ghettos des grandes villes américaines pour affirmer sans ambages que « l’absence du père » est la source de tous les malheurs, de la délinquance à la promiscuité des jeunes filles.

Dans les faits, les sociologues ont établi de longue date que les familles
monoparentales découlent surtout d’un contexte de pauvreté et de désespoir et que c’est cette pauvreté sans cesse aggravée qui est le facteur le plus nocif. (V.C. McLoyd, « Socioeconomic Disadvantages and Child Development », American Psychologist, 1998)

Judith Wallerstein, qui fait autorité aux États-Unis quant aux incidences du divorce chez les enfants, conclut d’une étude menée sur 25 ans : « Il n’existe aucune preuve empirique de liens entre la fréquence ou la quantité de contacts entre le parent non gardien et l’enfant et des résultats positifs chez l’enfant. » L’absence de conflits, écrit-elle, pèse beaucoup plus lourd dans la balance. (Family and Conciliation Courts Review, 1998).

Malheureusement, la revendication de la garde conjointe obligatoire est
pratiquement devenue un article de foi pour le mouvement des pères rancuniers. Pourtant, les études sont unanimes à dire que ce sont
précisément ces gens-là qui, dans l’intérêt des enfants, ne doivent pas l’obtenir. Les couples très conflictuels placés en situation de garde conjointe ou partagée sont précisément ceux qui imposent aux enfants un état de guerre permanente. La Californie a été le premier territoire à adopter des lois sur la garde conjointe, mais elle a dû les modifier quand des effets néfastes ont commencé à se manifester. Les enfants de la minorité de parents aigris souffraient de dépression, de retrait, de troubles physiques et d’échecs sociaux. (Janet R. Johnston, Family and Conciliation Courts Review, octobre 1995)

La meilleure solution de garde pour ce « sous-groupe particulier », écrivait Johnston, est de « permettre aux parents de se dégager l’un de l’autre », une séparation stricte, dotée de plans de visite clairs et précis, avec le minimum absolu de prise de décision en commun.

Une catastrophe imminente

Suis-je la seule à avoir le sentiment d’une catastrophe imminente ? Selon le régime de « responsabilité parentale » du ministre Cauchon, les mieux
ajustés des couples qui divorcent vont simplement continuer de faire ce qu’ils ont toujours fait, soit convenir mutuellement de dispositions de garde justifiées.

Par contre, les conjoints violents et les maniaques du contrôle vont être
jetés dans le dédale des « plans parentaux ». Les mères vont se retrouver avec tous les soins matériels aux enfants (même dans les cas de garde dite partagée, les mères en viennent à écoper de la presque totalité des soins ; N. Marcil-Gratton et C. Le Bourdais, Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, 1999), tandis que les pères vont jouir d’un pouvoir juridique sans précédent de s’interposer dans les décisions prises sur presque tous les aspects de la vie quotidienne de l’enfant.

Les lobbyistes du droit paternel insistent, avec fureur, que tous les
tribunaux sont biaisés et accordent automatiquement la garde aux mères.

Dans un rapport officiel déposé devant la Cour suprême de l’État du
Massachussetts en 1990, des chercheurs ont reconnu avoir amorcé leur étude avec cette même perception d’un biais judiciaire en faveur des femmes. Ils ont constaté le contraire. (New England Law Review, 1990) Si la plupart des femmes conservent la garde physique de leurs enfants après un divorce, ce n’est pas par discrimination mais par consensus des parents. Lorsque des hommes s’adressent aux tribunaux pour obtenir la garde, on leur accorde une garde exclusive ou conjointe dans plus de 70 pour cent des cas.

La situation est depuis longtemps la même au Canada. Glenn Rivard,
conseiller supérieur du ministère fédéral de la Justice, m’a à deux reprises confirmé, au cours des années 90, que, même si les statistiques officielles étaient dans un tel désordre qu’il était impossible d’y lire un portrait fidèle de l’ensemble des décisions judiciaires rendues partout au Canada, il était d’opinion bien informée que « lorsque des pères demandent la garde, ils l’emportent dans environ 50 pour cent des cas ».

Les pères se laissent peut-être prendre à leur propre propagande.

Peu de fausses allégations : 21% des pères et 1,3% des mères en sont responsables

Il n’est pas vrai non plus, malgré les histoires d’horreur qu’on nous clame, que la plupart des mères entravent malicieusement l’accès des hommes à leurs enfants. Selon la recherche, le déni d’accès n’est un problème réel que dans 2 à 5 pour cent des cas. (D. Perry, Canadian Research Institute for Law and the Family, Calgary, 1992)

Le problème beaucoup plus répandu est celui du père erratique ou entièrement absent qui déçoit ses enfants en n’exerçant pas ses droits de visite. Plus de 40 pour cent des parents disposant de ces droits ne voient que rarement ou jamais leurs enfants. (Évaluation de la Loi sur le divorce, Ministère de la Justice, 1990)

Et qu’en est-il de toutes ces horribles « fausses allégations » de violence
sexuelle, réputées avoir détruit les vies de tant d’hommes, à en croire les
sanglots et les cris des lobbyistes patriarcaux devant le tristement célèbre Comité mixte conjoint sur la garde et les droits de visite des enfants ? Témoignages de pacotille. Une foule d’études démontrent que les fausses allégations se limitent à de 8 à 16 pour cent des cas (Professeur Susan Penfold, Revue canadienne de la femme et du droit, 1997). Et ce n’est que dans deux pour cent (2%) des cas que ces allégations surviennent dans le contexte de litiges acerbes de divorce. (Penfold, Id.)

Fait révélateur : 21 pour cent des allégations de violence formulées par les pères sont des mensonges délibérés, alors que les allégations des mères ne sont intentionnellement fausses que dans 1,3 pour cent des cas. (Nicholas Bala, Canadian Family Law Quarterly, 1999)

J’ai des tonnes d’autres statistiques mais, vous savez, j’en suis aussi
saturée que vous. Il demeure que nous ne pouvons risquer de porter préjudice aux enfants en laissant le gouvernement céder face aux prétentions sans fondement du lobby des pères aigris.

Article paru dans The Toronto Star, 27 juillet 2003

Les sous-titres sont de Sisyphe.

La diffusion de cette traduction de son texte est autorisée par Michele
Landsberg.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 31 août 2003

Michele Landsberg, journaliste


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