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Mariage des conjoint-es de même sexe : une question de droit civil, non de religion.

22 septembre 2003

par Yves Samson, étudiant


Le débat sur ce sujet a considérablement dérapé quand l’Église catholique romaine - la plus vivement opposée - s’est faite entendre allant jusqu’à affirmer que le premier ministre canadien jouait son repos éternel ! Ma foi, je crois que nous sommes retournés à l’époque pré-conciliaire. On serait en droit de s’attendre à une disponibilité nouvelle au dialogue et à la coopération de la part d’une institution en déclin. Au lieu de cela, on constate cette incapacité surprenante de l’Église romaine à agir comme interlocuteur efficace et à arriver à poser des actes positivement réformateurs.

L’attitude des autorités, de l’archevêque de Québec au Cardinal Turcotte, confirme l’érosion progressive de l’autorité de l’Église et met en évidence un climat de défiance que je qualifie de regrettable, tant entre les membres les plus actifs de l’Église (clergés et laïcs confondus) que chez les intellectuels. Sans compter que le discours fermé et catégorique de l’autorité romaine inaugure des relations pour le moins tendues sur le plan œcuménique.

Ce que les représentants de l’Église romaine omettent de dire c’est que le débat a déjà eu lieu dans l’Église Unie du Canada depuis 1986. Ainsi, à la lumière des textes bibliques, les membres de cette communauté chrétienne en sont venus à conclure qu’il n’y avait rien dans les Écritures qui permette d’agir avec discrimination face aux hommes et aux femmes homosexuels. De fait, un rituel d’union a été ordonné et le Consistoire a aussi accepté d’ouvrir des postes de responsables de communauté à des postulants homosexuels. Le même débat est aussi en cours dans l’Église Anglicane. Je sais même qu’il existe une association de prêtres catholiques gays…

Je crois qu’en faisant preuve de courage et de détermination, les hommes et les femmes chargés de diriger les Églises peuvent dénouer cette situation de crise. Il leur faut agir en véritable pasteur : ainsi les tensions et conflits qu’il est impossible de camoufler ou d’étouffer ne mèneront pas à une rupture dans notre société mais plutôt à la mise en place d’un discours ouvert. Nous y arriverons grâce à la coopération constructive de tous. Il ne faut donc pas se cramponner opiniâtrement à des idées et traditions apparemment sûres.

Pourquoi en sommes-nous rendus là ?

La question du mariage des conjoints de même sexe est devenue un sujet chaud de l’actualité quand des couples homosexuels ont décidé de tester la solidité et la portée de la Charte canadienne des Droits et Libertés qui stipule qu’on ne peut faire de discrimination en se basant sur la race, la religion et l’orientation sexuelle. Une fois la question adressée aux tribunaux compétents, les juges ont conclu à l’inconstitutionnalité de la définition civile du mariage. De là, le gouvernement fédéral a le devoir de réparer l’injustice. C’est donc l’appareil judiciaire qui a ouvert le débat en invitant le Législateur ( le gouvernement fédéral puisque c’est une de ses lois) à revoir cette définition. Il m’apparaît déjà assez clairement que le tribunal ne s’adresse d’aucune façon que ce soit aux Églises, aux confessions religieuses diverses. C’est un problème de droit civil et non religieux.

S’agissant de l’Église catholique romaine, elle a réagit parce que c’est dans le champ de son " dernier pouvoir temporel " dans notre société. Au Québec, l’inscription des enfants dans le registre civil ne se fait plus lors du baptême à l’église mais à l’hôpital dans les heures qui suivent la naissance vivante d’un enfant. Pour les funérailles, la famille s’acquitte des modalités de la déclaration de décès avec le directeur de funérailles. Cela ne se fait plus à l’église lors de la célébration religieuse. Ne reste plus que le mariage où les ministres du culte font aussi office de représentants de l’État civil, ce qui doit être changé.

L’actuel débat sur le mariage des conjoints de même sexe et les virulentes prises de positions de l’Église catholique romaine prouvent bien que cette dernière n’a pas encore assumé pleinement la séparation de l’Église et de l’État.

Dans une société pluraliste comme la nôtre, il est de plus en plus difficile d’en arriver à des consensus. D’ailleurs, nos institutions parlementaires fonctionnent non par consensus mais par vote à majorité simple. Aux objecteurs de conscience, je pose la question suivante : s’il fallait que les parlementaires s’entendent à suivre une ligne de conduite religieuse, laquelle devrait alors avoir primauté ?

C’est une situation dangereuse quand le religieux saute dans l’arène du politique. N’avons-nous pas sous les yeux suffisamment d’exemples à travers le monde pour comprendre cela ?

Le jeu politique

Il faut se méfier des acteurs dans ce débat. Les députés de l’Alliance canadienne sont en perte de vitesse au Canada et ils ont réussi à attirer sur eux les projecteurs en se présentant aux côtés des opposants au mariage de conjoints de même sexe. Leur option fondamentale est loin d’être la même que les groupes religieux : si les groupes religieux défendent une conception théologique du mariage, les députés de l’Alliance canadienne n’y voit qu’une opportunité politique de marquer des points.

Certes, c’est le Parlement qui fait les lois, les amende et les abroge au besoin. Il a même le pouvoir de ne pas se conformer aux ordres des tribunaux en invoquant la " clause nonobstant ". Dans le cas qui nous occupe, si la Cour suprême dans sa sagesse approuve l’ébauche de projet de loi que lui a soumis le gouvernement ou déclare inconstitutionnelle la définition du mariage, le Parlement aura à choisir entre se conformer à la décision de la Cour ou y déroger, et ce en pleine connaissance de cause.

Ce que les Alliancistes et quelques autres députés réclament, c’est un dangereux précédent. S’il ne respectait pas sa propre Charte des droits et libertés, le gouvernement du Canada ouvrirait toute grande la porte à l’intolérance et à l’injustice. Le rôle de la Charte n’est-il pas de protéger les droits des minorités ?

Il est impératif de garder en tête le fait que dans notre société, tout ce qui est légal n’est pas nécessairement moral. C’est le cas entre autres de la légalisation de l’avortement, du divorce, de la contraception. Autant de dossiers où le Parlement s’est opposé au discours moral des institutions religieuses.

La tolérance

Je crois que nous n’avons pas le droit de vivre les uns sans les autres. Il nous faut éviter les erreurs anciennes où on marchait à coup d’excommunications réciproques. Malgré la diversité des tendances, des orientations et des groupes qui participent à ce débat, il faut garder en tête une caractéristique importante de la société dans laquelle nous évoluons : la tolérance dans la diversité. En discutant à tête froide, rationnellement, je crois que nous pouvons sauvegarder notre tissu social de la rupture. À nous de construire notre société d’une manière nouvelle, en se supportant, en s’écoutant, en se comprenant, en s’aidant et en coopérant les uns avec les autres.

Ce débat ne doit pas être la mise en marche d’une gigantesque machine de propagande. Les effets en seraient dévastateurs. Quant à l’Église (comprise ici au sens large de la communauté tout entière des croyants, tout le peuple de Dieu. Cela comprend aussi les serviteurs de l’Église pour autant qu’aux yeux du monde ils représentent l’Église d’une manière particulière et responsable), elle peut prendre part au débat portant sur des questions brûlantes, parfois dangereuses et lourdes d’avenir à condition de se débarrasser de ses interventions autoritaires, relique d’un passé marqué par l’absolutisme et la censure.

Au lieu d’un autoritarisme affiché, l’Église catholique romaine (entre autres) gagnerait à participer lucidement et loyalement à la construction de la société en donnant au monde d’aujourd’hui une réponse claire, honnête, responsable et positive avec suffisamment de latitude pour laisser à chacun la responsabilité d’une loyale décision de conscience.

Je dis non à une Église endormie, superficielle, paresseuse, anxieuse et faible dans sa foi. Non à une Église qui prétend, dans le dialogue, avoir toujours raison en plus de se montrer intolérante.

Je dis oui à une Église courageuse dans ses initiatives et qui n’a pas peur du risque. Une Église ouverte à la réalité. Je crois que l’avenir appartient à une Église totalement sincère ! Qu’en dites-vous ?

Mise en ligne sur Sisyphe le 22 septembre 2003

Yves Samson, étudiant

P.S.

Le mariage, reflet de la société, par Ann Robinson. Sujet d’un débat sur La Parole citoyenne de l’ONF.




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