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Le féminisme, une fausse route ? Une lutte secondaire ?

14 octobre 2003

par Marie-Thérèse Martinelli

Le rapport social, individuel et amoureux, entre les hommes et les femmes d’aujourd’hui, paraît, pour les jeunes, une question depassée. Nous sommes, " les historiques ", appellation connotée péjorativement.

Est-ce à dire les hystériques, celles qui s’offusquent des blagues sexistes, qui font remarquer le vocabulaire dégradant pour les femmes, celles qui refusent les images qui servent à la marchandisation du corps des femmes à travers la consommation de n’importe quel produit ?

N’est-ce pas plutôt celles qui s’opposent au machisme et au sexisme ordinaire, celles qui remettent en cause l’ordre établi depuis des millénaires où la répartition des rôles est toujours la même dans une hyper-valorisation du pouvoir patriarcal.

Nous sommes de celles et ceux pour qui la lutte contre les dominations dans le monde passe par la lutte contre la domination institutionnalisée, intimement intégrée dans chacun et chacune d’entre nous ; la domination des hommes sur les femmes.

Notre pensée, les concepts qui permettent de nommer et d’analyser les
phénomènes sociaux et politiques, ont été construits par un masculin dominant d’où le féminin a été exclu pendant des siècles. Il a été exclu de notre imaginaire, de l’Histoire, des arts, de la philosophie ? Ce qui a été écrit, édité, enseigné, était le reflet de cette domination, tellement "naturelle " qu’il a fallu " l’hystérie collective des historiques " et de toutes les autres qui ont suivi pour que les partis politiques, y compris la gauche et l’extrême-gauche, se réveillent.

Le système de valeurs dominant du virilisme

Tout le monde en parle mais la remise en cause d’un système de valeurs où prédomine le virilisme menace le système social mais aussi les individu-e-s construit-e-s pour occuper les places que la société leur assigne.

Attention, sauvons les garcons ! titre le monde de l’éducation en janvier
dernier. La réussite scolaire des filles menacerait les garcons ? Mais il
n’y a rien à craindre, le patronat veille au grain et même si les filles
réussissent mieux dans les études, dans les entreprises, les plus bas
salaires, les emplois les plus précaires, le chômage, ce sont majoritairement les femmes qui les subissent.

Un exemple : en 2001 les femmes retraitées ont touché 42% de moins que les hommes, elles vont continuer à payer le prix fort dans les nouvelles réglementations prévues par M. Fillon et le Gouvernement RAFFARIN dirigé par le MEDEF. La durée professionnelle des femmes est interrompue par les grossesses, par les congés parentaux, les maladies des enfants. Leur carrière est freinée et se sont souvent elles qui prennent moins de responsabilites afin de laisser libre champ à la réussite sociale des maris. Elles seront donc en difficulté d’atteindre les durées de cotisations sociales imposées.

Les politiques familiales mises en place sont faites pour maintenir les femmes à la maison et les exclure du champ de l’entreprise, c’est-à-dire de l’emploi et de l’autonomie economique qu’un salaire pourrait leur permettre.

Constater n’est pas "victimiser"

Ces inégalités reflètent la situation sociale et professionnelle que vivent les femmes. Rappeler ces faits ce n’est pas nous placer en victimes. Ce n’est pas non plus de la victimisation lorsque nous contestons comment le corps des femmes est traité comme une marchandise par la publicité, la prostitution, le commerce du sexe, le trafic d’organes, le développement abusif des maternités médicalement assistées, etc.

Ce n’est pas de la victimisation lorsque nous constatons que tous les cinq jours, en France, une femme meurt sous les coups de son compagnon. 400,000 femmes frappées chaque année, c’est une tragique réalité ! Il existe aussi des femmes violentes mais 90% des agresseurs sont des hommes. Ce ne sont pas des cas isolés car toutes les catégories sociales sont concernées, tous les courants politiques également.

Regarder ces choses en face, en parler, publier les chiffres, ce n’est pas se poser en victimes, c’est au contraire commencer à se construire.

Le courant réactionnaire qui se situe aussi à la gauche de certaines tendances de la bourgeoisie rose caviar s’est mis en route pour anéantir les luttes que les féministes ont menées, les avancées que nous avons gagnées. La presse donne de la crédibilité à leur prise de position car le pouvoir d’édition lui appartient.

Non, le féminisme n’est pas une fausse route. C’est une route traversée de chemins, dont certains sont sinueux et parfois certains groupes s’y perdent. C’est un chemin en construction constante.

Mais le féminisme n’est pas non plus une lutte secondaire. On ne peut pas revendiquer des changements radicaux dans notre société, on ne pas exprimer une extrême révolte face aux injustices et continuer à perpétuer la répartition des rôles, les comportements stéréotypes, la dévalorisation de ce qui est feminin et la survalorisation des comportements machistes, sexistes et patriarcaux.

La violence faite aux femmes

La mort de l’actrice Marie Trintignan est insupportable comme l’assassinat de toutes les femmes anonymes battues à mort par leur compagnon. L’horreur et l’injustice des vies brisées par la domination viriliste, brutale et violente, est ici augmentée par l’identité, d’une part, de la victime et, d’autre part, de son agresseur.

Marie Trintignan était convaincue de la nécessite de lutter pour l’égalité entre les hommes et les femmes, elle n’hésitait pas à prendre des positions féministes, elle était consciente de la violence sociale et physique que subissent beaucoup de femmes. Cette conscience ne l’a pas épargnée, l’homme qui l’a tuée, comme cela arrive dans beaucoup de cas, s’est révélé extrêmement violent. La majorité des femmes tuées par leur compagnon, leur amant ou leur mari, le sont au moment où elles décident de les quitter. Comme si l’orgueil machiste dans une blessure narcissique extrême ne pouvait accepter de perdre "l’objet" aimé (ou convoité).

Le monde généreux, dans le partage et la justice sociale que chantait Bertrand CANTAT, du groupe Noir Désir, n’incluait pas les femmes. Il n’a pas compris que l’on ne peut pas faire des déclarations contraires à sa propre pratique. Il n’a pas compris que les hommes sont éduqués pour dominer, par la force, par l’argent, par le sexe. Pour sortir de ce conditionnement, un travail colossal, individuel et collectif, est incontournable. Profondément enraciné, il faut d’abord extirper de soi ce conditionnement pour arriver à reconstruire un comportement juste.

Non, nos luttes ne sont pas secondaires, non, les comportements violents
des hommes par ailleurs révoltés par l’injustice sociale ne sont pas
simplement une contradiction. Ceux qui soutiennent le chanteur ou qui
n’osent le remettre en cause, car il a incarné l’expression de leur propre
revolte, trouvent l’excuse du crime passionnel et n’analysent pas un
système social qui permet aux hommes de s’approprier les femmes jusqu’à la mort.

Nous disions dans les années 80 : " Le privé est politique ", et cette phrase, toujours d’actualité, prend encore plus de valeur aujourd’hui. C’est une duperie que d’avoir des comportements machistes, dominateurs ou violents dans la sphère privée et, dans le domaine de la vie sociale, avoir un discours progressiste, voire révolutionnaire.

Si la place de plus de 50% de l’humanité est une question que l’on pourra
traiter plus tard, quand "le principal" sera réglé, c’est que la démocratie, celle qui construit une place égale entre les hommes et les femmes, n’est pas une priorité.

Si les hommes ont peur des nos revendications, s’ils se sentent agressés par nos réussites, si la mise en cause de leurs rôles et comportements dominateurs les affaiblit, alors la justice ne peut pas exister, l’égalité non plus.

Alors, un autre monde n’est pas possible.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 octobre 2003

Marie-Thérèse Martinelli


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