source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=70 -



Quand l’industrie de la charité imite les « grandes »

5 juillet 2002

par Micheline Carrier

La pauvreté des uns s’accroît au rythme des profits des autres et l’industrie de la charité est devenue prospère. En 2001, les organismes de charité ont décidé d’imiter la grande entreprise, elles ont « rationalisé » leurs opérations. La Maison du Père, Moisson Montréal, la Saint Vincent-de-Paul et Jeunesse au Soleil, ces groupes bénévoles qui recueillent des vivres et de l’argent pour aider les familles pauvres, se sont unis pour organiser la guignolée. Toujours attirées par ce genre d’événement, les trois grandes chaînes de télévision se sont unies elles aussi pour orchestrer la campagne.

Les vivres, l’argent et autres biens recueillis ont donc été centralisés et redistribués aux organismes des quartiers qui avaient inscrit une demande. Or, il arrive dans l’industrie de la charité ce qui arrive dans toute industrie qui se bureaucratise : c’est la base qui écope. Ainsi, certains groupes des quartiers les plus pauvres n’ont pas reçu leur part cette année. Ils ont dû lancer un appel à l’aide pour combler les besoins de leur population.

En se regroupant ainsi, l’industrie de la charité attire l’institution médiatique et, au sein de cette institution, les vedettes masculines. Les trois chefs d’antenne de l’information aux grandes chaînes se sont présentés ensemble à l’écran. Et d’insister sur la spontanéité avec laquelle tous ont accepté cette innovation. Que c’est donc beau ! Un peu plus tard, le chef d’antenne de Montréal Ce Soir, Radio-Canada, a présenté trois de ses collègues vedettes du petit écran, des hommes encore. La parade des ego met en évidence la mise à l’écart par Radio-Canada de femmes de talent, telles Madeleine Poulin, Suzanne Laberge, Francine Bastien, Michèle Viroly, et j’en oublie.

Il y a quelque chose d’artificiel dans ce « show » médiatique autour des activités de l’industrie de la charité. Sans mettre en doute la sincérité des personnes engagées, je serais davantage convaincue du réel intérêt de l’institution médiatique pour les gens pauvres si, tout au long de l’année, elle s’employait à analyser les causes de la pauvreté et à remettre en question un système économique et politique qui améliore sans cesse la situation des nantis et aggrave sans cesse celle des pauvres. Il faudrait d’abord que les médias s’interrogent sur les priorités des gouvernements et sur les conséquences de la mondialisation sauvage. Mais peut-être auraient-ils ainsi l’impression de ne pas être « objectifs »...

Dans des sociétés justes et équitables, tout le monde aurait de quoi se loger et se nourrir sans devoir dépendre de la charité. Les organismes communautaires se consacreraient à fournir un petit supplément, non l’essentiel, comme c’est le cas.

Janvier 2001

Micheline Carrier


Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=70 -