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Osons la paix, désarmons le monde
11e Rencontre internationale des Femmes en Noir21 janvier 2004
par
La 11e rencontre internationale des femmes en Noir s’est tenue du 27 au
31 août 2003.Son thème : "Osons la paix, désarmons le monde" avec un joli logo mêlant
femme et colombe tenant l’inscription : "Bannissons la guerre de l’histoire".Elle s’est déroulée en résidentiel dans la station balnéaire de Marini de Massa, en Toscane, dans une sorte d’hôtel social situé entre la mer et des montagnes d’où on extrait le fameux marbre de Carrare. La nuit, nous pouvions voir dans le ciel le reflet rosé et brillant de la planète Mars au moment où elle est la plus proche de la terre, tout un symbole !
L’hôtel disposait heureusement de vastes espaces ombragés où nous avons tenu nos ateliers car la chaleur était toujours caniculaire.
J’étais partie sans grande illusion vu la situation tragique et surréaliste dans laquelle nous nous trouvons, mais ce fut un colloque remarquable et très intense à bien des égards.
Le fait que pratiquement toutes les femmes présentes sont impliquées d’une manière ou d’une autre dans un travail militant, qu’elles appartiennent ou non au monde académique, par le fait que relativement peu gagnent leur vie comme "fonctionnaire" d’ONG, par le fait qu’un grand nombre d’entre elles vivent malheureusement dans un contexte de guerre et qu’elles connaissent la situation de leur région avant, pendant, et pour certaines, après le conflit - sans parler du fonctionnement très démocratique non hiérarchisé des Femmes en Noir et de leur philosophie - donne à ce genre de colloque un caractère de grande intensité loin de l’académisme et proche du vécu réel, souvent douloureux mais toujours combatif.
Femmes de partout
La première chose à signaler est le nombre de Femmes en Noir présentes : près de 400 dont, bien sûr, une majorité d’Italiennes mais aussi beaucoup d’étrangères venues de partout (une cinquantaine de femmes des Balkans, une dizaine de Femmes en Noir israéliennes et palestiniennes, une femme afghane, deux femmes irakiennes dont l’une venait de Bagdad une dizaine de Nord-Américaines, une dizaine d’Australiennes, cinq Colombiennes, deux Japonaises etc. et bien sûr les femmes européennes parmi lesquelles, une nouveauté, une dizaine de Françaises). Nous étions cinq ou six femmes venues de Belgique. Les femmes absentes étaient celles des pays de l’Est.
En outre, pour la première fois aussi, à ma connaissance, des femmes
africaines, une Sud-africaine, une Ougandaise et cinq femmes du
Congo-Kinshasa. Par leur présence, elles marquent l’intrusion du
tiers-monde dans un mouvement qui se caractérise par un certain eurocentrisme avec des priorités sur les Balkans et le conflit israélo-palestinien. Et on sentait bien que cette Afrique-là était prête à secouer un peu la bonne conscience des Femmes en Noir.Bref, il s’agit d’un mouvement est en pleine expansion.
Personnellement, je regrette que les problèmes environnementaux restent les grands absents de ce genre de colloque comme si ces problèmes n’avaient aucun impact sur le déclenchement des guerres et sur ses conséquences. Le problème de l’eau est pourtant la preuve évidente du contraire de même que, par exemple, l’utilisation de d’uranium appauvri par les démocraties occidentales.
Chaque Femme en Noir vient à cette rencontre avec son histoire, ses connaissances propres, ses centres d’intérêt et choisit ses ateliers
parmi beaucoup d’autres. Ce qui est certain, c’est que la description des
situations n’a rien - mais alors rien à voir - avec ce qui nous est
présenté par les médias officiels ! Voici donc, très subjectivement, mon parcours et ce que j’en ai retenu.Quand les démocraties s’en mêlent...
Les Balkans : La paix est imposée de l’extérieur par la présence de 55.000 soldats étrangers. La communauté internationale a fermé les yeux devant les exactions et les crimes commis contre les minorités ethniques du Kosovo par "l’Armée de Libération kosovar" et a légitimé sinon encouragé l’épuration ethnique. Les religions ont joué un rôle néfaste en exacerbant les haines et exercent une influence politique importante par leur position anti-communiste. Les maffias tiennent le haut du pavé et ont des liens entre elles dans les différentes républiques. La société par contre, se dualise fortement et la pauvreté progresse. La fameuse aide étrangère a un caractère colonial. Les Femmes en Noir pensent que la paix n’est pas possible sans une confrontation avec le passé (voulant dire, je suppose, avec le régime
communiste qui n’avait pas seulement des côtés négatifs. Cette impression a été confirmée plus tard par le plaisir qu’elles montraient à chanter des airs datant de la période communiste).Israël/Palestine : Une Palestinienne explique comment les femmes, qui pourtant sont plus à même de comprendre les souffrances de l’ennemi, en sont venues à soutenir les pratiques masculines de violence. Pourquoi la violence plutôt que la non-violence ? Parce qu’à la non-violence palestinienne a répondu une violence accrue israélienne. Une autre dénoncera les viols exercés par des Israéliens sur les Palestiniennes emprisonnées.
De son côté, une Israélienne s’est demandé pourquoi, depuis 15 ans, elle
participe chaque semaine à une vigie. Très émue, elle explique que c’est le seul endroit où elle peut dire : "Je ne suis pas d’accord". Pour elle, c’est une question de dignité humaine, un moyen de retrouver d’autres femmes pour trouver des alternatives au patriarcat.La Colombie : Il y a près de 5000 Femmes en Noir en Colombie. Les Colombiennes mettent directement en cause les hommes qui sont responsables de la violence et elles ont la conviction que seules les femmes peuvent changer la société grâce à une alternative féministe, pacifiste et écologique. Elles réclament une révolution éthique. Mais, faut-il le dire, une fois de plus les femmes sont les grandes absentes des négociations. Elles dénoncent l’immense pauvreté dans un pays où le salaire minimum est de deux euros par jour et la misère des Indiens qui sont chassés de leurs territoires. Elles concluent leur intervention par ce cri : "Nous ne pouvons pas perdre espoir, parce que c’est notre seule arme".
L’Afrique noire : Le témoignage de l’Ougandaise est accablant. Elle s’exprime pour toute l’Afrique noire. Les politiciens occidentaux prétendent que l’Ouganda est le pays le plus prospère mais le pays et l’Afrique toute entière ont été complètement déstabilisés par l’importation d’armes légères produites en occident (ex : Beretta en Italie, la FN chez nous). Son propre pays occupe une partie du Congo pour en piller les ressources.
Et les femmes sont les premières victimes de la violence car elles sont rurales à 80%. L’Afrique qui dans le temps était autosuffisante pour se nourrir, à présent, souffre de la faim. Les femmes sont invisibles dans l’histoire et, victimes du patriarcat, elles doivent obéissance aux hommes.
Et l’intervenante d’ajouter : et c’est pour cela que je ne m’excuse jamais de ne parler que des femmes et pas des hommes. L’Ouganda connaît aussi le taux de sida le plus élevé. "Ce sont les hommes de notre propre communauté qui alimentent les guerres tandis que les femmes sont obligées de nourrir les soldats", dit-elle."Pourquoi s’attaquer aux femmes qui sont faibles ? Pour gagner la guerre ! Car ce sont les femmes qui maintiennent l’unité des communautés et cette capacité des femmes doit être détruite par la violence sexuelle". "En Afrique, les femmes se mobilisent en faveur de la paix. Au Mozambique, des femmes ont refusé des relations sexuelles avec les hommes s’ils n’entamaient pas des négociations de paix. Et les hommes ont pris peur et se sont mis autour de la table et actuellement, au Mozambique existe un semblant de paix. " Et de conclure : "Les femmes doivent prendre le leadership si nous voulons la paix, les vigies ne suffisent plus car la situation est très grave."
La Congolaise, qui parle ensuite, se rallie entièrement à ce qui vient d’être dit. Elle fait une description insoutenable de ce qu’on fait subir aux femmes dans les zones de conflit. Je me suis dit que nous n’avions plus le droit d’oublier ce qui se passe en Afrique.
Il y a encore eu évidemment d’autres interventions en séance plénière et qui n’étaient sûrement pas sans intérêt. Mais je me contenterai de citer encore celle d’une intervenante surprise, la Nord-américaine Eve Ensler, qui a écrit "Les monologues du vagin", qui entre-temps ont été joués, avec le même succès, dans le monde entier, même à Islamabad, Pakistan. Depuis cinq ans, elle parcourt le monde en visitant surtout des pays en crise et relevant les violences contre les femmes. Elles constate que de plus en plus de femmes entrent en résistance. Dans le monde entier, dit-elle, se créent des groupes de femmes qui pour le moment se dénomment "Vagina warriors" : ce sont des femmes qui n’ont plus peur et recourent à l’humour : elles rendent visible ce qui est caché.
Australie :De certaines conversations privées, j’ai recueilli les informations suivantes qui ne poussent pas à l’optimisme. Les Australiennes estiment qu’elles ont un gouvernement quasi nazi surtout en matière d’immigration et concernant l’attitude vis-à-vis des aborigènes. L’Australie est aussi partie prenante dans la guerre contre l’Iraq.
Quand aux Nord-américaines, elles remarquent avec ironie que leur pays tente d’exporter la démocratie tout en réduisant considérablement les droits démocratiques chez eux. Après le "11 septembre", le nombre de groupes de Femmes en Noir a fortement augmenté. Leur slogan : "La justice, oui ; la vengeance, non."
A partir de l’audition des interventions en séances plénières et des discussions privées ou en atelier, il m’a semblé que deux problèmes sont revenus souvent :
1. Le scandale des armes légères.
2. Et pourquoi il y a si peu de jeunes femmes qui rejoignent le mouvement des Femmes en Noir alors que filles et garçons n’hésitent pas à rejoindre le mouvement anti-mondialiste relativement macho ?
Manifestations
Enfin, quand il s’agit d’une rencontre de Femmes en Noir, il faut évidemment évoquer la tenue traditionnelle le samedi, de manifestations publiques sous forme de happening : et cette fois-ci, nous avons manifesté en deux endroits différents. Voici ce qu’en dit Gila, une Israélienne :
"Deux manifestations ont couronné l’événement, l’une devant une base de l’armée US en Italie où les soldats se concentrèrent avec ferveur sur leur jeu de football pour éviter de regarder les panneaux anti-guerre en dehors de la grille. Et l’autre dans la station balnéaire de Viareggio, pour rappeler aux vacanciers que les crèmes solaires n’empêchent que quelques problèmes de surgir. Ils ne semblaient pas intéressés."
Petite remarque : les soldats étaient, hélas, des soldates. Et tout aussi traditionnellement, le soir ce fut la fête autour de la piscine très peu profonde de l’hôtel. Un petit orchestre jouait des airs ringards comme je les aime. Et finalement tout le monde s’est mis à danser joyeusement, histoire de se défouler. Puis une femme s’est jetée toute habillée dans l’eau, bientôt suivie d’une vingtaine d’autres et je n’oublierai pas de si tôt ce spectacle vraiment hilarant et jouissif de ces femmes dansant dans l’eau en se trémoussant.
Le lendemain la discussion a porté essentiellement sur la nécessité d’un réseau de communication performant, vu l’extension évidente du mouvement.
Et la session s’est terminée par des chants et les remerciements d’usage, surtout aux traducteurs et traductrices qui ont offert leurs services bénévolement en qualité de militant-es d’un autre mouvement pacifiste.
Que dire de plus sinon : femmes, "Bannissons la guerre de l’histoire."
– Le site du mouvement international : http://www.womeninblack.org Une version française existe pour les rubriques explicatives.
Publié une première fois sur la liste féministe rezo-tchatche@reseaufeministe.lautre.net,
le 7 octobre 2003. Reproduction sur Sisyphe autorisée par l’auteure.Mis en ligne sur Sisyphe, janvier 2004
P.S.
Lire une brève histoire du mouvement Femmes en Noir.
Source - http://sisyphe.org/article.php3?id_article=867 -