|
octobre 2002 Au Gujarat, au nord-ouest de l’Inde Un massacre ciblant les femmes
|
DANS LA MEME RUBRIQUE Le gynocide annoncé Les tueurs en série à caractère sexuel 15 ans après le geste terroriste de l’École Polytechnique, la violence sexiste continue... Mexique : Femmes perdues dans l’arrière-cour de Satan Rapport de la Commission québécoise de solidarité avec les femmes de Ciudad Juárez Nous ne vous oublions pas Des gynécides non reconnus Le plan de match du lobby des hommes violents 6 décembre 1989 : 13 ans après, la ’sale guerre’ se durcit Les mortes de Juárez Des assassins d’enfants Les crimes d’honneur Une guerre non avouée, mais permanente Séquestrations et assassinats |
Du 28 février au 3 mars, une foule fanatisée de plusieurs milliers de membres d’un mouvement extrémiste hindouiste (RSS) envahit la ville d’Ahmedabad, capitale du Gujarat, au nord-ouest de l’Inde et s’attaque sélectivement aux familles musulmanes. Comme au temps des pogromes nazis, ils ont leurs adresses en main, violent systématiquement les femmes et les enfants, puis, brûlent leurs corps, leurs maisons, leurs commerces et des mosquées anciennes. Derrière eux, ils laissent un désert de cendres et quelque 150 000 réfugiées terrorisées, réunies dans des camps de fortune. Comme si ce n’était pas suffisant, le gouvernement vient de couper l’eau à ces réfugiées, afin de les chasser et d’effacer toute preuve de ce massacre avant les élections du 6 octobre. Mais la télévision locale a filmé tous ses événements, laissant ainsi des preuves irréfutables. Pourquoi la communauté internationale, notamment les États-Unis, laisse-t-elle commettre de tels massacres ?
J’ai assisté à une conférence d’information sur ces événements, donnée à Montréal, en septembre dernier, par Madame Syeda Hameed. J’ignorais tout de ce carnage et, je crois, qu’il en est de même pour la plupart des gens, en particulier dans le milieu francophone. Mme Hameed fait partie d’une équipe composée de six femmes, mandatée par des groupes communautaires d’Ahmedabad pour enquêter et recueillir sur place des témoignages sur les atrocités commises contre les femmes de la minorité musulmane du Gujarat. Le but premier de cette mission d’enquête est de faire en sorte que la voix des quelques survivantes soit entendue. Elles ont, en plus, interviewé des membres du milieu intellectuel, politique, journalistique, administratif ainsi que les leaders du parti au pouvoir (BJP), dont la députée Maya Kodnani, accusée d’avoir appuyé le massacre. Dans son volumineux rapport (1), les enquêteuses disent avoir été ébranlées et sidérées par l’étendue et la brutalité des actes de violence commis au Gujarat. Même si elles avaient lu les journaux, elles ne s’attendaient pas à voir encore une telle peur et une telle angoisse dans les yeux et les mots de femmes ordinaires à qui le droit humain fondamental de vivre dans la dignité venait d’être si violemment arraché. Le silence général des médias sur de telles réalités montre une fois de plus la mesure de la désinformation à laquelle on nous soumet. Mais, peut-on se demander, que dissimule l’apparente neutralité de l’administration américaine ? En appuyant tant l’Inde que le Pakistan, en semblant s’accommoder des sanglants conflits ethno-religieux, comme celui du Gujarat, les USA se réservent-ils d’appuyer plus tard les deux protagonistes, comme ils l’ont fait à tour de rôle pour l’Irak et l’Iran, les jetant l’un contre l’autre dans une longue guerre fort lucrative pour les marchands d’armes ? Poser la question, c’est y répondre. Les femmes ciblées par les émeutiers Pour justifier le pogrome, les porte-parole des extrémistes hindous et les médias du Gujarat ont allégué l’incendie d’un train, commis présumément par des musulmans, à Godhra, le 27 février, dans lequel 58 personnes appartenant à la communauté hindoue, en majorité des femmes et des enfants, ont péri. Mais en juillet dernier, la police indienne publiait son enquête sur le massacre de Godhra, avec la surprenante conclusion que l’incendie du train en février avait pris naissance à l’intérieur, et ne fut pas provoqué de l’extérieur. (2) L’étude des événements du Gujarat montre clairement la préméditation, l’organisation et la précision dans la sélection des victimes. Il existe des preuves irréfutables de la violence exercée envers les femmes. Parmi les survivantes, réfugiées dans les camps, un grand nombre ont subi les formes d’agression sexuelle les plus bestiales, soit les viols de masse, l’insertion d’objets dans leur corps, etc. Plusieurs témoignages parlent de femmes enceintes violées, leur corps éventré, le fœtus sorti à la pointe du sabre et jeté dans le brasier avant d’y être précipitées elles-mêmes. La majorité des victimes de viol ont été brûlées vives. Il existe des preuves abondantes de la complicité de la police d’État et de la police locale dans la perpétration de ces crimes contre les femmes. L’armée n’est intervenue que 5 à 6 jours plus tard. La police n’a rien fait pour protéger les musulmanes. La complicité envers ces crimes continue encore aujourd’hui, la police empêchant les survivantes de déposer des plaintes contre leurs agresseurs. Il n’y a pas de mécanismes institutionnels au Gujarat pour leur permettre d’obtenir justice ! Ces femmes ont tout perdu. Le carnage a eu un impact physique, économique et psychologique sur elles. L’État ne montre aucune velléité de leur fournir de l’aide dans l’un ou l’autre de ces domaines où elles sont extrêmement vulnérables. Les conditions effroyables dans les camps d’aide aux survivantes, où les mères luttent pour garder leurs enfants en vie, et les compensations monétaires ridicules qu’on a consenties aux victimes, montrent la détermination de l’État de décliner toute responsabilité à leur égard. On étouffe les voix qui dénoncent ce massacre comme étant contraire à la religion hindoue. Faire de l’Inde un État religieux Il existe aussi une multitude de preuves selon lesquelles les nationalistes intégristes hindous, avant même le massacre, ont provoqué et exagéré la tension entre les deux communautés. Pour la première fois, on peut constater une tentative inquiétante de ghettoïsation de la communauté musulmane dans les zones rurales. Une partie de la presse locale au Gujarat a joué un rôle criminel en faisant la promotion de la violence sexuelle envers les musulmanes. Comme en Bosnie et dans toutes les opérations de " nettoyage ethnique ", les femmes sont violées pour humilier et déshonorer les hommes de la communauté ennemie dans ce qu’ils considèrent leur virilité, en violant " leurs " femmes et " leurs " filles devant eux. Il y a donc eu fusion, dans l’accomplissement de ce carnage, entre la violence nationaliste hindoue et la violence patriarcale misogyne. Et le pire, c’est que personne n’a été jugé et qu’aucune plainte pour crimes de guerre n’a été déposée devant Tribunal pénal international (TPI). Il n’y a eu aucune protestation d’importance, pas même du côté de la communauté arabe. Depuis 1947, l’Inde est un pays indépendant et laïque. Le plus inquiétant dans les événements du Gujarat, c’est l’indifférence totale de la communauté internationale devant les menées d’un mouvement nationaliste fondamentaliste qui prétend faire de l’Inde un état religieux exclusivement hindou, forçant toutes les minorités à s’assimiler à la religion d’État. Dans ce contexte, le massacre du Gujarat n’est qu’un prélude au génocide musulman qui se trame à l’échelle du pays, si le mouvement nationaliste intégriste arrive à prendre le pouvoir lors des prochaines élections en octobre. La filière américaine Pourquoi les Américains, si étroitement impliqués au Pakistan, n’ont-ils pas condamné publiquement le massacre de la communauté musulmane au Gujarat ? Dans un article très éclairant, le chroniqueur Paul Watson révèle que, selon le Moscow Times, le premier ministre britannique Tony Blair a fait, cette année, une visite en Inde et au Pakistan dans le but déclaré d’apaiser les tensions ethniques entre les deux pays. En réalité, il essayait de réaliser une entente très lucrative avec le marchand d’armes BAE Systems pour 60 nouveaux avions de combat. On peut s’imaginer quelle " influence apaisante " cela aura sur la balance du pouvoir, au moment où le sous-continent indien est à deux doigts de la guerre nucléaire. " Le même type d’influence apaisante qu’a l’huile sur le feu, poursuit Watson. Bien sûr, si Blair peut mettre ces milliards dans les coffres de BAE, Maître Bush saura lui témoigner sa reconnaissance. Pour sa part, la BBC situe ces négociations entre BAE et l’Inde à août 2002. Et voilà qu’on apprend que BAE est associé au puissant Groupe Carlyle, dans lequel la famille Bush possède des actions. Ce même groupe, en train d’ériger une fortune grâce à la guerre contre le terrorisme, se prépare, selon la même source, à récolter des profits énormes avec le conflit Inde-Pakistan ; BAE et la CIA veillent soigneusement à entretenir les deux machines de guerre ! Qu’importe, dans un tel contexte, la mort des malheureuses victimes du Gujarat et de toutes celles qui seront immolées dans les conflits ethno-religieux dans le monde, quand ils permettent la vente de milliards de dollars d’armes par la filière Bush-BAE-Carlyle. CQFD ! Pour en savoir plus long et apporter son aide aux victimes du Gujarat, on peut s’adresser au Centre d’études et de ressources sur l’Asie du Sud (Ceras) au (514) 983-2522 - courriel de Ceras ou aller sur ce site. (1) Syeda Hameed & al, How has the Gujarat Massacre Affected Minority Women ?/The Survivors Speak, Citizen’s Initiative, Ahmedabad, April 16, 2002. – Cet article est également publié dans L’aut’journal, édition d’octobre 2002 Octobre 2002 |