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mardi 10 mai 2005

Est-ce que l’Europe, ça va être le bordel ?

par Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes






Écrits d'Élaine Audet



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    « Ce n’est pas la liberté que d’avoir la permission d’aliéner sa liberté » (John Stuart Mill « On Liberty »)

Demain l’intégration européenne imposera l’harmonisation des politiques publiques et des législations sur les questions de migration qui sont intimement imbriquées avec celles de la prostitution. « La traite des êtres humains » à des fins de prostitution fait 500 000 victimes, femmes et filles, tous les ans dans l’UE. La chose est rendue d’autant plus pressante que la prostitution est en plein essor en raison de la mondialisation, de la paupérisation des femmes (les plus démunies sont à 70% des femmes) et du délabrement politique des anciens pays de l’Est où les mafias prospérant sur le chaos, ont proliféré. 15% du commerce mondial concerne la prostitution qui fait quarante millions de victimes dans le monde dont deux millions d’enfants (1).

Un patchwork de statuts différents

Or l’UE ne présente pour l’instant qu’un patchwork de statuts différents, avec à une extrémité les pays réglementaristes que sont l’Allemagne et les Pays-Bas et à l’autre la Suède qui a opté pour un abolitionnisme rénové. La France figure dans l’entre-deux avec ses lois injustes car répressives pour les victimes.

En 2000 les Pays-Bas et en 2001 l’Allemagne ont choisi le réglementarisme, avec ses femmes en vitrines, ses bordels agréés ou ses Eros-Centers labelisés. Ce régime, loin d’avoir amélioré la condition des personnes prostituées « en leur donnant des droits », a surtout favorisé l’explosion de la « traite » et permis la reconnaissance du proxénétisme « sans contrainte » pour prostituées toujours considérées comme « volontaires ». Aux Pays-Bas, seules 4% des prostituées d’origine néerlandaise se sont enregistrées, pourtant elles s’étaient vues reconnaître « le droit à l’autodétermination » si cher aux intellectuel(le)s compagnons de route du néo-capitalisme (qui lui servent la soupe alors qu’il n’a aucunement besoin d’eux pour s’imposer). Ce droit, en retour, implique « le droit de permettre qu’une autre personne profite des revenus qu’elle tire ». 80% des prostituées d’Amsterdam sont étrangères et ont vingt-cinq ans ou moins, beaucoup sont mineures. 70% d’entres-elles n’ont pas de papiers et sont aux mains de réseaux mafieux (Albanais notamment). Les autorités ont créé un nouveau concept « le consentement de plein gré à sa propre exploitation » en accord avec le darwinisme moral du nouvel esprit du temps, mais en totale opposition à la Convention de l’ONU laquelle fut adoptée en 1949 par des législateurs sensibilisés aux horreurs du nazisme.

Aujourd’hui, l’usage répandu et inconsidéré de la novlangue (« libéralisme » pour capitalisme, « sexualité récréative » ou « services sexuels » pour prostitution) vient brouiller tout discours, permettant, par là, d’entretenir la confusion, et de modifier la perception même des abus. Excepté le droit de se prostituer qui exonère les proxénètes de toute responsabilité, les personnes prostituées ne bénéficient toujours pas de droits élémentaires comme celui de posséder un compte en banque ou de souscrire une assurance (les banques n’en veulent pas comme clientes, les compagnies d’assurance non plus). Par contre, elles sont assujetties à un certain nombre de règles ; ainsi des contrôles sanitaires leur sont imposés mais pas aux clients. Leur « métier » est étroitement surveillé, il leur est ainsi recommandé de laver les sous-vêtements en dentelle à haute température ou de rincer les vibro-masseurs à l’alcool pendant dix minutes, d’équiper les lits de coussins, ce qui, assure certainement le confort des clients mais pas la sécurité des personnes prostituées (risques d’étouffement). De fait les lois néerlandaises ou allemandes, au nom de la volonté de faire de la prostitution « un métier comme un autre » en prétendant améliorer le sort des personnes prostituées, et lutter contre la traite et la prostitution des mineures, défendent en réa-lité l’intérêt des clients, les profits des proxénètes et, fait non négligeable, gonflent les caisses des états de plusieurs milliards d’euros d’impôts par an (2). Le proxénétisme y existe plus que jamais, les Pays-Bas comme l’Allemagne sont des plaques tournantes de la « traite ».

À l’opposé, la Suède a choisi résolument une politique abolitionniste en mettant le projecteur sur la responsabilité des clients. Si le client n’est qu’un mot, les rares études qui lui ont été consacrées tant en Suède que récemment en France 3, modifient singulièrement les idées reçues le concernant. Ni particulièrement malade, pauvre, vieux ou esseulé, il bénéficie simplement d’un privilège de genre dans une société qui produit des rapports de domination entre les sexes. La loi suédoise pénalisant le client a constitué une rupture majeure en prenant en compte la demande dans le fait prostitutionnel. Sans demande masculine pour la prostitution, il n’y aurait pas de femmes prostituées « volontaires » ou, comme dans 80% des cas, « contraintes ». Ce faisant, la Suède a pu échapper à la déferlante des prostituées venues de l’Est.

L’Europe des proxénètes est bien partie !

Le projet de traité constitutionnel favorise-t-il un camp plutôt que l’autre ?
Un article important à cet égard a trait aux mouvements de capitaux et intéresse particulièrement les intérêts des proxénètes, il s’agit de l’article III-156 : « Dans le cadre de la présente section, les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu’aux paiements entre les États membres et entre les États membres et les pays-tiers sont interdites ».

Marx prophète : « C’est le temps où les choses mêmes qui jusqu’alors étaient communiquées mais jamais échangées, données mais jamais vendues, acquises mais jamais achetées - vertu, amour, opinion, science conscience, etc. - où tout enfin passa dans le commerce. C’est le temps de la corruption générale, de la vénalité universelle […] » (Misère de la Philosophie, 1846).

 L’auteure est membre du bureau de "Choisir la cause des femmes".

Notes

1. Commission des droits de la femme et de l’égalité des chances du parlement européen (2003)
2. Richard Poulin, La mondialisation des industries du sexe : prostitution, pornographie, traite des femmes et des enfants, ed. l’Interligne (2004)
3. Sven-Axel Månsson, Prostitution, Power and Freedom, Cambridge, Polity Press (1998) et Saïd Bouamama, L’Homme en question, le processus du devenir-client de la prostitution (2004).

Article faisant partie d’un dossier paru dans Choisir la cause des femmes.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 10 mai 2005.



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Catherine Albertini, chercheure et membre de Choisir la cause des femmes


Chercheuse en biologie moléculaire, Catherine Albertini a fait des études de Pharmacie à Toulouse. Elle a été lauréate de la faculté de Pharmacie et a obtenu la médaille d’or (major de promotion). Elle a fait un DEA de pharmacologie et toxicologie fondamentales dans un laboratoire du CNRS puis, au même endroit, a soutenu une thèse de Biologie Cellulaire et Biochimie. Elle a ensuite fait un post-doc pendant deux ans dans un laboratoire de l’Université de Californie où, dit-elle, elle a commencé à méditer sur le féminisme et sur les aspects positifs, dans le milieu professionnel, de lois comme celle sur le harcèlement sexuel. De retour en France, l’INRA (recherche agronomique), elle travaille dans un institut de recherche public sur les gènes de résistance aux pesticides des champignons pathogènes des cultures. Catherine Albertini a publié plusieurs articles dans les médias. Depuis novembre dernier, elle est membre du bureau de l’association féministe
Choisir la cause des femmes présidée par Gisèle Halimi.



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