Pendant des siècles, l’argument de la “nature” physiologique de la femme a été utilisé pour l’exclure du système d’éducation, du processus électoral, de plusieurs lieux de travail.
Pendant des siècles, à cause de sa “nature”, la femme aurait été incapable de supporter le choc d’une salle de dissection. À cause de sa “nature”, la femme devait être protégée de la vue d’un corps de femme nue dans une classe de dessin. À cause de sa “nature”, la femme ne pouvait assimiler des connaissances dans un cours universitaire. À cause de sa “nature”, la femme ne pouvait qu’avoir un esprit encombré au moment de voter.
Pendant des siècles, les femmes ont été exclues sous prétexte que leur “nature” les empêchait de mémoriser et de fonctionner dans des sphères que les hommes se réservaient en prétendant que c’est à eux seuls que ces domaines convenaient, qu’eux seuls avaient ce qu’il fallait pour y réussir.
Or, les femmes ont prouvé que, non seulement elles peuvent s’instruire et travailler dans les mêmes milieux que ceux où les hommes se retrouvent, mais qu’elles y excellent. Après en avoir arraché pour s’immiscer dans des univers faits par des hommes et pour des hommes, les femmes y performent. Il faut dire, entre autres, qu’on exige plus des femmes, et qu’elles-mêmes exigent plus d’elles.
Maintenant, les hommes réclament des écoles pour garçons seulement. Et quand les hommes réclament, eux, ils obtiennent, et vite. Ainsi, déjà, il existe une école à Québec qui exclue les petites filles. Il semblerait que le système d’éducation ne convienne pas aux garçons, qu’ils y sont défavorisés et condamnés à échouer leur vie.
Les hommes veulent bénéficier de mesures d’exception et être quand même considérés de la même façon que le sont les femmes. Ils veulent étudier moins, mais être reconnus autant.
Que vaut réellement une attestation d’études dans une école de garçons quand le programme comporte plus de sport, plus de récréation, donc moins d’assimilation de connaissances académiques ?
Pourquoi accorderait-on la même valeur à l’attestation d’études d’un garçon qui a moins mémorisé, mais s’est plus amusé ?
Pourquoi aurait-on autant confiance en un homme instruit alors qu’une femme instruite le serait en ayant fourni un meilleur rendement ?
Pourquoi engagerait-on un homme au lieu d’une femme puisqu’il paraît, maintenant, que les hommes par “nature” sont plus dissipés, moins attentifs, plus portés à jouer, moins capables d’adaptation, etc. etc. à un point tel qu’il faut leur faire des écoles spéciales, les excuser avec pitié et leur concevoir des programmes adaptés ?
Soudainement, quand les hommes constatent les habiletés des femmes et même leurs prouesses, ils exigent d’être exclus de ces domaines, qui furent pourtant leurs prérogatives et leurs privilèges, sous prétexte qu’ils ne conviennent pas à leur “nature” d’homme.
Ils prétendent donc qu’ils n’ont pas ce qu’il faut, mais qu’on doit les accommoder quand même et leur accorder le même mérite, le même crédit, la même valeur.
Les arguments utilisés pour défavoriser les femmes doivent maintenant être récupérés par les hommes pour les privilégier.
Quand les femmes réclament des droits en fonction de leurs spécificités, cela se traduit toujours par moins : moins de salaire, moins d’opportunités, moins d’avancement, moins de loisirs... Mais quand les hommes s’essoufflent sur le même terrain que les femmes et exigent des traitements de faveur, cela doit aboutir pour eux à plus de bénéfices. Ils veulent se voir attribuer autant de compétence pour un rendement moindre.
Des hommes expriment, de façon détournée, qu’ils ne veulent pas l’égalité et qu’ils vont toujours trouver un moyen pour empêcher qu’elle s’établisse.
Faut-il s’attendre à ce que Dan Phillips saisisse l’occasion pour faire parler de lui (et on sait qu’il adore faire parler de lui) en réclamant des écoles uniquement pour les Noirs ?
Faut-il s’attendre à ce qu’André Boisclair saisisse l’occasion pour faire parler de lui (et on sait qu’il adore faire parler de lui) en réclamant des écoles uniquement pour les Gais ?
Faut-il s’attendre à ce que les musulmanes ambidextres, les nains hypermétropes, les diabétiques orthodoxes, les gauchères végétariennes, les orphelines chauves et cinéphiles, les daltoniens communistes et insomniaques, et leurs semblables, et leurs contraires, et leur coalition, et leur opposition, se précipitent en hordes effrénées en réclamant des écoles spéciales ?
Nous ne nous supportons plus à ce point ? L’entente est-elle impossible ? L’acceptation et la cordialité ne peuvent-elles même plus être envisagées ?
Ce que j’ai toujours refusé et dénoncé en tant que féministe, je ne vais pas l’infliger aux garçons et aux hommes que j’aime dans ma vie. Je ne les traite pas de sous-êtres, je ne me considère pas comme une sous-être ; je nous proclame dans nos entités êtriques. Et je ne cesse d’espérer que nous vivions ensemble en nous découvrant et en nous appréciant dans une mosaïque de la diversité humaine.
Je refuse que des hommes m’amènent à déclarer : Dommage, j’ai réellement cru qu’ils étaient nos égaux.
Entre avantage et exclusion
Quelles sont les raisons pour lesquelles il y a des écoles de filles ? Des écoles de garçons ? Des écoles religieuses ? Qu’est-ce qui fait notre échec à favoriser la vie ensemble dès le plus jeune âge ? Qu’est-ce qui nous empêche d’établir le plus tôt possible un traitement équitable pour toutes les spécificités ?
Quels sont les conditionnements sociaux, les facteurs politiques, les enjeux financiers qui traversent la justification d’un privilège ou d’une discrimination ? Comment discerner et favoriser les volontés de protection, les intentions bénéfiques, les raisons justes, les actions épanouissantes ?
Quand une décision est-elle bénéfique à des gens dont le vécu réclame une attention spéciale et quand un choix est-il au contraire néfaste à ces mêmes personnes ? Quelles peuvent être les bases des principes et des actes ?
C’est toute une vie qui peut être consacrée à la remise en question des intentions et des règlements, des volontés et des conclusions.
Quand aide-t-on ? Quand nuit-on ? Lorsqu’une femme demande à unE chauffeurE d’autobus de la STM de la laisser descendre plus à proximité de chez-elle, on peut considérer qu’il y a là ségrégation certes mais on peut aussi admettre que la majorité des victimes de crimes à caractère sexuel sont des femmes. D’autres parts, des personnes déficientes intellectuellement ont été placées dans des écoles où elles ont été ridiculisées, plus maltraitées que stimulées.
On mêle souvent les critères et on en arrive à des équivalences confuses : couleur de peau et capacités cognitives, sexe et rendement intellectuel ...Dans un monde où on se justifie si facilement d’avoir frappé, d’avoir tué, n’est-il pas préférable de favoriser les ententes plutôt que les séparations ?
On ne réfléchira jamais assez sur ce qui nous divise, sur ce qui nous unit. On constate la guerre des sexes, des guerres de gangs, des guerres de religions, des guerres de peuples. Comment encourager l’harmonie et non la compétition, comment établir l’accord et pas la confrontation ? Aussi, on ne se posera jamais trop souvent la question : Voulons-nous réellement vivre ensemble dans le même monde et qu’allons-nous faire pour cela ?
Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 octobre 2006