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jeudi 14 décembre 2006

Le rapport du Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage banalise la prostitution

par Richard Poulin, sociologue






Écrits d'Élaine Audet



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    « Les membres du Parti libéral, du Nouveau Parti démocratique et du Bloc Québécois sont d’avis que les activités sexuelles entre adultes consentants qui ne nuisent pas à autrui, qu’il y ait échange d’argent ou non, ne devraient pas être interdites par l’État. » Rapport du Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage, p. 107

Le rapport du Sous-comité de l’examen des lois sur le racolage a été déposé à la Chambre des communes. Il constate l’absence de consensus sur la question de la prostitution au Canada, soulignant l’existence de profondes divergences en ce qui concerne « la nature de la prostitution, ses causes et ses effets ainsi que les mesures à prendre pour régler le problème » (p. 6). Il constate également l’absence de connaissances sur l’ampleur de cette industrie au Canada au point tel que deux des sept recommandations du rapport sont dédiées à cet aspect. Le rapport est loin d’être unanime. Les représentants du Parti conservateur ont d’importantes divergences avec les trois autres partis. Certains propos ont l’aval des représentants libéraux et néo-démocrates, d’autres reçoivent l’appui des bloquistes. Malgré l’existence de profondes divergentes, le rapport accepte, sinon justifie l’acte marchand vénal sous différents prétextes : sécurité des personnes, santé publique, consentement, etc. Il ravale à un simple choix individuel ce qui est de l’ordre d’un vaste système mondial et national qui profite aux proxénètes, aux trafiquants et aux clients-prostitueurs et trace un trait d’égalité entre les relations sexuelles « qu’il y ait échange d’argent ou non ». Dire après cela que ce rapport banalise la prostitution apparaît être une lapalissade.

Le rapport soutient que la prostitution des mineur-es est inacceptable et que les lois actuelles doivent s’appliquer avec rigueur. Pour ce qui est de la prostitution adulte, le ton change. Il s’agit 1° d’évaluer s’il y a exploitation ou non et 2° s’il y a consentement ou non. Les deux points sont reliés, puisque s’il y a consentement, l’exploitation disparaît. Les représentants des partis d’opposition ont même su interpréter les conventions internationales dans ce sens. Ce qui est une erreur manifeste. Par exemple, l’article 6 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, ratifié par le Canada en 1982, demande que les États prennent toutes les mesures appropriées pour « supprimer le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ». Or, ce texte reprend les termes mêmes de la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui (1949) qui vise le proxénétisme, notamment celui des régimes juridiques réglementaristes qui avaient légalisé cette activité (comme c’est le cas aujourd’hui en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suisse, en Grèce, en Hongrie, en Australie et en Nouvelle-Zélande). Le comité interprète les conventions en soutenant qu’elles « condamnent l’exploitation des femmes à des fins de prostitution plutôt que la prostitution en soi » et qu’elles ciblent « la violence liée à la prostitution ». En conséquence, le proxénétisme n’est plus condamné pour ce qu’il est. À trop vouloir s’opposer à la seule prostitution « forcée », le comité en arrive à forcer la note de ses (més)interprétations.

Le comité définit tellement étroitement le proxénétisme - « celui qui exerce un pouvoir de coercition, et non [...] l’ensemble plus vaste des activités qu’englobe la définition d’un entremetteur dans le Code criminel » (p. 28) - qu’en fait nombre de proxénètes sont transmutés en « employeurs ». Et cette miraculeuse transformation assurerait une plus grande sécurité aux personnes prostituées ! On pourrait pourtant croire l’inverse puisque la légitimation de cette activité confère aux proxénètes un pouvoir plus grand qu’auparavant. Quoi qu’il en soit, ce n’est plus vivre de la prostitution d’autrui (et donc d’exploiter cette prostitution) qui pose problème aux représentant-es des partis d’opposition, c’est l’usage de la coercition (qui reste toujours à prouver par la personne prostituée qui ne porte quasiment jamais plainte pour des raisons faciles à comprendre).

Le comité a reçu des témoins experts qui se contredisent. Certain-es minimisent tragiquement le rôle du crime organisé dans la prostitution, ce que démentent les actualités récentes sur les gangs de rue ainsi que la mise en lumière depuis quelques années du vaste système international de la traite d’humains, dont plus de 90 % sont voués à la prostitution. Une anecdote devrait montrer l’inanité de ce dénie : au Saguenay, la Sûreté du Québec a mis en ligne un faux site d’une agence d’escorte. Une semaine plus tard, elle recevait un coup de téléphone menaçant qui lui proposait, en échange d’une partie des revenus de l’agence, une « protection ».
Ce sont ces derniers experts qui ont la cote et qui sont cités à foison avec l’approbation de la majorité du Comité. Ce n’est pas le lieu ici de contester leurs études, tant du point de vue méthodologique que théorique ou pratique. Il nous suffit de souligner que toutes adoptent un point de vue « libéral », dans le sens du libéralisme philosophique, où tout est permis à la condition qu’il y ait consentement de la personne et sans que cela ne porte tort à autrui. Pourtant notre État interdit la vente et l’achat d’organes, consentement ou pas, pour des raisons éthiques évidentes. Mais la vente et l’achat du corps et du sexe des personnes, avant tout des jeunes femmes, ne pose aucun problème à ces « libéraux ».

Les constats et l’analyse du comité sont à la fois parcellaires (ce qu’il reconnaît lui-même) et idéologiquement fondés non pas sur le choix individuel entre adultes consentants comme il le soutient, mais sur l’acceptation si ce n’est la promotion de l’inégalité entre les femmes et les hommes, sous couvert de choix individuels, ce qui va à l’encontre non seulement des conventions internationales ratifiées par le Canada, mais également à l’encontre des chartes des droits, qu’elle soit canadienne ou québécoise. La question du choix individuel ne sert, en l’occurrence, qu’à justifier la prostitution qui affecte très majoritairement les femmes tant à l’échelle nationale qu’au niveau mondial. Le comité, qui dit s’opposer à la traite des personnes, se refuse pourtant à lutter contre la principale cause de la traite : la prostitution.

S’il y a un consensus assez large au Canada, c’est bien celui relatif à la décriminalisation des personnes prostituées. Mais la majorité du comité va beaucoup plus loin : elle banalise le proxénétisme et l’accès aux corps et sexes des personnes (surtout des femmes), tout en assurant l’impunité aux clients-prostitueurs (quasiment que des hommes).

Professeur de sociologie (Université d’Ottawa), auteur de Abolir la prostitution (Montréal, Sisyphe, 2006), de La mondialisation des industries du sexe (Ottawa, L’Interligne, 2004, Paris, Imago, 2005) et de Prostituzione, globalizzazione incarnata (Milano, Jaca Book, 2006).

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 novembre 2006



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Richard Poulin, sociologue


Sociologue, l’auteur est professeur titulaire à l’université d’Ottawa et associé à l’Institut d’études et de recherches féministes de l’UQÀM, auteur de plusieurs ouvrages sur la prostitution et la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle dont : Enfances dévastées, l’enfer de la prostitution (Ottawa, L’Interligne, 2007), Abolir la prostitution. Manifeste (éditions Sisyphe, Montréal 2006), co-auteur avec Yanick Dulong de Les meurtres en série et de masse, dynamique sociale et politique (éditions Sisyphe, 2009), La mondialisation des industries du sexe (Ottawa, L’Interligne 2004 et Paris, Imago, 2005), et il a coordonné le numéro d’Alternatives Sud, Prostitution, la mondialisation incarnée (Paris, Cetri et Syllepse, vol. XII, n° 3, 2005). Voir plus d’information sur les publications de l’auteur sur le site du Département de sociologie, Université d’Ottawa.



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