C’est la criminalisation de l’achat du sexe - et non la légalisation de sa vente - qui protègera les femmes prostituées.
Il s’est écoulé exactement un an depuis la publication de Paying the Price, l’analyse faite par le Home Office des conditions actuelles de la prostitution. Mais les femmes qui vendent du sexe et les organisations qui leur apportent du soutien attendent encore des mesures concrètes du gouvernement.
Une des recommandations à émerger de cet examen était la mise sur pied de projets visant à aider les femmes à sortir de l’industrie du sexe. Une autre était de s’en prendre à la demande - celle des « clients » qui entretiennent la prostitution. Pendant que le gouvernement tergiversait, cinq femmes travaillant en prostitution de rue ont été assassinées à Ipswich.
Les adeptes de la légalisation soutiennent que les femmes seraient plus en sécurité à travailler dans des saunas et des salons de massage. Ils et elles réclament également des zones dites de tolérance, où les femmes pourraient travailler sans crainte d’être arrêtées. À les entendre, cela voudrait dire que les femmes prendraient moins de risques. Mais il n’existe pas le moindre élément de preuve crédible d’une meilleure sécurité pour les femmes si nous faisions de l’État un proxénète, ce à quoi équivaut la légalisation.
Katharine Raymond, ex-conseillère juridique au Home Office, a allégué récemment que des plans de légalisation de la prostitution avaient été supprimés en raison d’une crainte au ministère que la presse de droite ne s’empare du dossier. C’est faux. J’ai moi aussi travaillé de concert avec le groupe d’examen et j’ai ai tiré la ferme impression que les propositions de légalisation ont été rejetées en raison de nouveaux éléments de preuve, venus de pays comme les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Australie, qui démontrent que la légalisation s’est avérée désastreuse là-bas.
Dans ces pays, la légalisation des bordels et la tolérance de la prostitution de rue s’est soldée par une hausse de la traite, l’absence de réduction de la violence anti-femmes, une hausse de la demande et une augmentation du nombre des bordels illégaux ; la légalisation n’a pas brisé les liens reliant le crime organisé et l’industrie du sexe. Elle a normalisé la prostitution dans l’esprit des citoyens de sorte que les enfants grandissent en y voyant simplement une industrie de services comme une autre.
Il est évident que les femmes et les hommes livrés à la prostitution ne devraient pas être traités comme des criminels. Ce sont les victimes de pimps, de clients et de la brutalité liée à la vente du sexe. Mais nous aurions tort de nous en tenir à cette réforme. Faisons plutôt comme les Suédois et criminalisons l’achat de services sexuels. Le gouvernement suédois ne s’est pas contenté de décriminaliser la vente du sexe ; il a dégagé d’abondantes ressources pour aider les femmes à quitter la prostitution. Et il a complété cette réforme radicale par une campagne d’éducation publique pour réfuter les mythes et les mensonges concernant la prostitution - par exemple, la notion qu’il s’agit d’un choix de carrière ou d’un échange égalitaire entre acheteur et vendeuse.
Les intervenants en toxicomanie d’Ipswich nous disent que bon nombre des femmes qui font le trottoir subissent les pressions de « pimps et de partenaires ». Légaliser les bordels ou « tolérer » la prostitution de rue équivaut à légaliser de fait le proxénétisme. Les supporters de telles mesures citent souvent le fait qu’aucune femme n’ait jamais été tuée dans une zone de tolérance, que ce soit au pays ou à l’étranger. Mais si un homme souhaite faire du mal à une femme qui fait de la prostitution de rue, il prend soin de la conduire à l’extérieur de la zone.
En 1999, j’ai participé à la mise sur pied au Royaume-Uni du tout premier programme de rééducation des clients de la prostitution de rue, à Leeds. De
concert avec le service de police de West Yorkshire, nous avons formulé un projet pilote visant à amener les policiers à contrer non les femmes mais les hommes responsables de la demande. La police offrait aux hommes appréhendés le choix entre comparaître en Cour et voir leur nom publié ou assister à un cours d’une journée sur les réalités de la prostitution.
Les hommes qui ont assisté à ce cours ont-ils changé d’attitude ? J’en doute. Mais si les hommes grandissent en recevant le message clair que la
prostitution constitue une violence faite aux femmes et en étant avertis que l’achat de sexe leur vaudra une comparution en Cour, il se peut que nous fassions des progrès vers une suppression de la demande pour des services sexuels. Ces mesures, combinées à un soutien réel pour aider des femmes à quitter l’industrie, pourraient contribuer à mettre fin à la prostitution et au meurtre des femmes qui y sont piégées. Imaginez cette perspective.
Version orginale : « Not a service like any other », le 16 janvier, The Guardian.
Traduction : Martin Dufresne
Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 janvier 2007