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mercredi 21 novembre 2007 Protéger les enfants de la violence des médias
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Le 19 novembre 2007 marquera un moment important de l’histoire du Québec et de l’humanité. Une coalition internationale, regroupant 783 organisations présentes dans 128 pays, nous invite à marquer cette date au calendrier pour souligner la Journée mondiale pour la prévention des abus envers les enfants. Le thème retenu cette année est audacieux : Comment protéger les enfants de la violence des médias. Le terme “médias” fait référence à la télévision, le cinéma, la vidéo, la radio, la photographie, la publicité, les journaux et les magazines, la musique enregistrée, les jeux d’ordinateur, l’Internet et les mobiles. C’est la première fois qu’une ONG ose considérer la téléviolence pour ce qu’elle est réellement : une forme sophistiquée d’abus contre les enfants (1). La coalition regroupée autour de la Fondation Sommet Mondial des Femmes (World Women Summit Foundation, WWSF) s’est fixé comme objectif d’attirer l’attention sur les abus dont les enfants sont victimes et de mobiliser les gouvernements et les sociétés pour les protéger. Chez nos voisins du sud, l’Association des psychologues fait partie des organismes qui ont joint cette coalition (2). La téléviolence, une forme d’abus ? Puisque la téléviolence est à l’ordre du jour du 19 novembre 2007, on peut se demander en quoi elle constitue un abus. Il faut d’abord comprendre que c’est à des fins commerciales qu’on l’utilise, avec succès hélas, pour capter l’attention des enfants. Les utilisateurs de divertissements violents savent que la violence attire les petits humains et ils en utilisent de plus en plus à la télévision. Au lendemain du dépôt de 1,5 millions de signatures devant le Premier Ministre du Canada en 1993, les télédiffuseurs québécois avaient promis de s’autoréglementer. Au cours des années suivant cet engagement, deux chercheurs de l’Université Laval ont comptabilisé le nombre d’actes de violence physique présentés dans les émissions de fiction de la SRC, de TVA et de TQS. Ils ont constaté qu’entre 1993 et 2001, les doses diffusées avaient été augmentées de 450%. En 9 ans, on est passé de 10 à 52 actes d’agression à l’heure. Il saute aux yeux que l’autoréglementation n’a été rien d’autre qu’une tactique pour gagner du temps et contrer toute tentative des décideurs publics de réglementer l’usage de la violence dans les émissions pour enfants (3). C’est parce que notre espèce est douée d’empathie que la violence nous fascine. Lorsqu’un chevreuil est attaqué par des coyotes, ses semblables s’enfuient. Nous, humains, nous sentons coupables d’abandonner l’un de nos semblables en fuyant. C’est parce que nous éprouvons de la compassion que nos sociétés pourchassent les abuseurs, les pédophiles, les agresseurs, et que nos sociétés adoptent des lois pour protéger les plus faibles, les plus naïfs. Quand un enfant assiste à un abus commis par des acteurs ou par des personnages de dessins animés, en plus de ne pas pouvoir distinguer la fiction de la réalité, il ne peut pas intervenir, il est réduit à l’impuissance. Des études ont démontré que plus un enfant regarde la télé, plus il devient agressif. C’est un peu comme si l’impuissance d’agir durant le visionnement inspirait une frustration qui facilite le passage à l’acte après le visionnement. Pire, une étude étalée sur 17 années a même démontré que le temps passé devant le petit écran est le meilleur indice de prédiction du comportement criminel à l’âge adulte. Le facteur « exposition à la télé » influe sur l’enfant plus fortement que le revenu pécuniaire de ses parents ou même que l’implication de ces derniers dans son éducation (4). Pour le Conseil supérieur de l’éducation du Québec, l’exposition répétée à la téléviolence a effectivement contribué à l’augmentation du nombre d’enfants au comportement troublé dans les écoles primaires du Québec (5). Le même facteur n’est probablement pas étranger à la hausse du taux de crimes violents des jeunes Québécois-es de 12 à 17 ans qui atteint maintenant plus du double de celui des adultes (6). Le terme « abus » est aussi justifié du fait que l’enfant captivé par la téléviolence ne commence à distinguer la fiction de la réalité qu’à partir de 7 ans, processus complexe qui devrait normalement être complété à l’âge de 13 ans. Cela a été démontré devant la Cour suprême du Canada et l’analyse retenue par le tribunal est rapportée dans le jugement « Irwin Toys vs Québec » rendu en 1989. Le plaignant prétendait que la Loi québécoise de protection du consommateur avait brimé sa liberté d’expression en l’empêchant d’annoncer ses produits aux enfants. Les juges ont rejeté les prétentions du producteur de jouets et la lecture du jugement est un véritable cours d’initiation à la psychologie 101 (7). Ce qui rend le recours à la téléviolence encore plus répugnant, c’est que ce sont des docteurs en psychologie qui ont vendu leurs connaissances - acquises pour soigner et guérir - à des agences de marketing qui les ont ensuite utilisées pour manipuler des enfants dans des annonces publicitaires ou dans des émissions pour enfants. En 1999, 60 universitaires états-uniens ont publié une lettre réclamant que soient bannis de leur ordre professionnel ceux qui vendent leurs connaissances en psychologie à des agences de marketing (8). Au cours des 15 dernières années, l’utilisation de la violence dans les jeux vidéo a permis d’abuser les enfants avec encore plus d’impact que la télé et le cinéma. Au lieu de simplement regarder, l’enfant peut maintenant commettre les crimes lui-même. Selon le Dr. Michael Rich, porte-parole de l’Académie des pédiatres des Etats-Unis, le jeu vidéo est un l’outil idéal pour apprendre la violence aux enfants (9). Ceux qui craignent que les critiques contre les producteurs de jeux vidéo nuisent à cette jeune industrie devraient savoir que la vente de jeux vidéo rapporte plus que la télé et le cinéma réunis. Or, 80% des jeux vidéo les plus utilisés par des enfants contiennent beaucoup de violence et 40% des jeux classés M (18 ans et plus) servent à amuser des enfants de 17 ans et moins. Les jeux vidéo du type FPS (First Person Shooter) conditionnent le jeune à agir par réflexe ; il faut appuyer sur le bouton « sans réfléchir » vous expliqueront des enfants de 9-10 ans. Selon le lieutenant-colonel Dave Grossman qui les a utilisés pour entraîner de jeunes recrues de l’armée des États-Unis, « FPS videogames give kids and teens the skill, the will and the thrill to kill » (10). Lorsque nous croyons voir un enfant s’amuser à répéter un acte criminel sur sa console de jeu, en fait, c’est le concepteur du jeu qui s’amuse avec le cerveau du joueur en forçant la création de synapses entre deux points de son cerveau : « infliger de la douleur » et « plaisir ». L’enfant gagne des points en pourchassant des piétons avec son auto, en écrasant des femmes enceintes, en tuant des prostituées à coups de bâton de baseball, en torturant des prisonniers, en faisant feu sur des policiers. L’effet principal de ces jeux est double : il y a d’abord le risque de voir l’enfant imiter ce qu’il voit à l’écran ; mais il y a pire, c’est la désensibilisation de l’enfant à la violence qui l’entoure. Et le lundi matin, à l’école, on retrouve des petits anges en train de se raconter leurs exploits criminels. De nos jours, lorsque des enfants se fréquentent, c’est pour s’adonner à des jeux vidéo ou regarder « Massacre à la tronçonneuse » en avalant du maïs. Le temps consacré au petit écran (télé, console de jeu, ordinateur) par plusieurs petits Québécois peut facilement atteindre 35-30 heures par semaine, plus encore s’il l’appareil est dans sa chambre. Durant la même semaine, le parent nord-américain converse avec son enfant durant 34 minutes par semaine. (11) Lorsque des médias utilisent la violence pour abuser les enfants, on nous présente parfois des « experts » qui n’hésitent pas à accuser les parents de négligence, détournant ainsi notre attention des abuseurs. Ces « experts » prétendent s’opposer à la censure. C’est un choix éthique indéfendable. En traitant la question de la sorte, ils font fi des efforts incessants et pernicieux faits par les médias pour attirer les enfants et les fidéliser, même si cela doit les transformer en accros. Même un pédocriminel qui aurait utilisé des bonbons pour attirer des enfants n’oserait pas rejeter la responsabilité de ses abus sur les parents qui n’ont pas protégé son enfant. Le 19 novembre 2007 offre une belle occasion de rappeler aux parents que la télé est une gardienne qui abuse de son pouvoir. Il faut se réjouir que la Coalition internationale propose à ses membres des revendications qui s’inspirent de celles proposées au Québec par PACIJOU en 1990, et reprises par la CSDM et la Fédération des commissions scolaires du Québec en 2003 (12). Notamment, interdire l’usage de la violence en tant que moyen normal de résoudre les conflits dans les émissions pour enfants ; interdire la diffusion de films violents avant 22 heures ; interdire la vente aux enfants de musique et de jeux vidéo violents destinés aux adultes. À ceux qui trouveront que l’action d’interdire est une décision trop drastique, il faut rappeler que lorsqu’on découvre un aliment dangereux pour la santé, les épiciers le retirent des étalages. Lorsque la peinture qui recouvre un jouet contient du plomb, on le retire des étagères. Lorsqu’une montagne de pneus prend feu, on évacue les résident-es de leur domicile, par la force si nécessaire. De toute évidence, seules des lois plus rigoureuses pourront protéger les enfants de ceux qui recourent à la téléviolence pour les abuser. Notes 1. Appel de la WWSF pour la commémoration du 19 novembre 2007. Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 novembre 2007 |