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samedi 6 mars 2010 Québec - Un féminisme de plus en plus gangrené par le relativisme
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Je voulais revenir sur ce sujet, ce 8 mars 2010. Mais à quoi bon ? Je répéterais ce que j’ai écrit il y a deux ans. Seuls les exemples changeraient, ils seraient beaucoup plus nombreux, et leurs conséquences, plus sérieuses. Certain-es parlent maintenant de tolérer dans des institutions publiques la burqa et le niqab, deux symboles de négation des femmes, de leur corps et de leur liberté, au nom de la "liberté de religion" (sic). Sommes-nous toujours dans ce Québec qu’on a pu un jour qualifier d’avant-gardiste en matière d’égalité hommes/femmes ? Le féminisme québécois recule toujours un peu plus devant l’intégrisme politique qui se revêt du manteau de la religion pour se faire mieux accepter. Une partie du féminisme québécois n’adhère pas à l’aplatventrisme devant les revendications de nature religieuse, mais elle se tait pour toutes sortes de motifs, dont celui de ne pas montrer que "les femmes sont divisées". Comme si elles devaient être unanimes ! Certaines féministes sont carrément censurées sur la question de l’étendard politico-intégriste par excellence - le voile islamique - dans des réseaux féministes. Ce fut mon cas en février dans la liste féministe NetFemmes (je reviendrai sur ce sujet en détail plus tard). Une autre partie du mouvement féministe, la mieux organisée - dans laquelle on retrouve la Fédération des femmes du Québec (qui, à mon avis, ne représente plus l’ensemble des femmes du Québec, mais sa direction et une petite clique qui exerce le pouvoir au sein de ses instances et dans les réseaux dont elle est membre) - s’agenouille devant l’idéologie politico-religieuse intégriste au nom d’une vision tordue de la liberté de choix et de la tolérance. L’égalité des femmes s’efface devant l’espèce de concours à savoir qui se montrerait le plus condescendant (ou accommodant), paraîtrait le plus "ouvert", devant la tentative des religions de contrôler la sphère publique. Celles et ceux qui dénoncent les attaques contre l’égalité des femmes faites au nom du religieux se font traiter de xénophobes, islamophobes, antisémites ou racistes (glissement du religieux à l’ethnie), ce qui réjouit les intégristes. Il n’y a que les critiques contre la religion catholique que tolère la petite gauche réactionnaire qui n’a de progressiste que le nom. Je suggère de relire le texte suivant à la lumière des événements que nous avons vécus au Québec au cours des deux années qui nous séparent du rapport Bouchard-Taylor (mai 2008). Micheline Carrier
Ce texte a été écrit en mars 2008. Aux insoumises de ce monde.
Tel des otages atteints du syndrome de Stockholm (1), des féministes ont commencé depuis quelque temps à trouver des vertus à l’oppression et aux oppresseurs. Des silences aussi bien que des prises de position illustrent cette forme d’accommodement. Les exemples les plus courants sont ceux de la prostitution et des symboles religieux, par exemple le port du foulard islamique. Parce que quelques-unes l’ont affirmé, on s’est fait accroire que la plupart des femmes prostituées et des femmes portant le foulard islamique ont le choix. C’est commode, on n’a pas à remettre en question les codes patriarcaux profanes ou religieux qui incitent à faire un tel "choix", ni surtout à interpeller ceux qui en tirent profit : pères, frères, conjoints, patrons, collègues, amis, voisins. Au Québec, on marche sur des chardons ardents si l’on s’avise de critiquer les valeurs sexistes et les coutumes misogynes de certains groupes ethno-religieux. Critiquer le sexisme des Québécois de souche, d’accord. Mais critiquer publiquement le sexisme des Québécois dont les coutumes et la religion écartent les femmes des lieux publics fréquentés par des hommes, leur imposent de se cacher ou de se raser les cheveux, les placent en retrait dans les lieux de culte ou leur interdisent certaines fonctions publiques, ce serait du racisme. Dénoncer le Vatican, mais pas les imams, les rabbins et les intégristes religieux bien que les uns et les autres voient les femmes comme des êtres à soumettre. On dit agir ainsi au nom de la "tolérance" et du "respect". L’égalité des femmes et des hommes ne concernerait-elle donc pas tous les groupes ethno-culturels qui composent la société québécoise ? Pour une féministe, c’est aussi un exercice périlleux de critiquer des positions ou des non-positions d’autres féministes. Plusieurs ont choisi de se taire de peur d’apporter de l’eau au moulin des adversaires, toujours à l’affût des divisions, ou de se faire reprocher leur "manque de solidarité". Quand des récalcitrantes insistent trop, on impose un moratoire ou la censure, comme cela s’est produit pour les débats sur la prostitution et sur l’extrémisme religieux dans des listes de discussions féministes. Tant de luttes menées par des femmes pour le droit de prendre la parole... La société entière est gangrenée par un relativisme multiforme, et le féminisme n’y échappe pas. Tous les systèmes de valeurs s’équivaudraient et, si l’on n’adhère pas à ce credo, c’est qu’on est une fieffée occidentale blanche, colonialiste et peut-être même xénophobe. On tente parfois de se convaincre que porter le voile islamique (hijab, foulard, burqa) ne signifie pas autre chose que de porter un quelconque vêtement, comme on s’est fait croire que la prostitution est simplement un "travail comme un autre" et un mode de vie marginal. C’est un choix, et de quel droit discute-t-on le choix d’autrui ? Certaines "éprouvent" et "pensent" ce que toutes les femmes musulmanes sont censées éprouver et penser face aux critiques du foulard islamique. Elles se sentent "humiliées", "exclues", "rejetées", "jugées"... par procuration. Mais on a la solidarité sélective. Cette belle empathie s’étend-elle autant aux femmes musulmanes qui, au Canada comme dans le monde entier, refusent un symbole religieux qui s’accompagne le plus souvent de la perte de leurs droits fondamentaux, ces femmes qui subissent des menaces en raison de leur insoumission ? Tout le monde sait que, chez les musulmans, seules les femmes sont encouragées à "faire le choix" de porter un signe distinctif qui les stigmatise, mais on n’aurait pas le droit de s’interroger publiquement sur le sens et les conséquences de cette "distinction". Il me semble qu’une telle attitude n’a rien de féministe. Il y a plus d’indifférence ou de condescendance que de respect et de tolérance dans le fait d’accepter que des femmes canadiennes, quelle que soit leur origine, - en l’occurrence il s’agit de Canadiennes musulmanes - soient marquées publiquement comme des êtres mineurs et dangereux pour l’autre sexe, qu’elles soient utilisées ("instrumentalisées") comme porte-étendard idéologique et marginalisées par leur propre communauté. Pour démontrer ô combien elles sont tolérantes et solidaires, certaines ont même suggéré de manifester en faveur du droit de porter ce symbole imposé aux femmes musulmanes. Burqa "sanctifiée" et féminisme égaré Des féministes de l’université Wilfrid-Laurier "ont exprimé à l’unanimité leur frustration devant l’obsession actuelle autour du port du voile islamique et l’islamophobie grandissante", rapporte Roksana Bahramitash, directrice à la recherche à la Chaire de recherche du Canada en islam, pluralisme et globalisation de l’Université de Montréal. (2) Car, bien entendu, le fait de critiquer le port du foulard islamique serait forcément faire preuve d’islamophobie... Quant à "l’obsession autour du voile islamique", elle découle du fait que ce symbole de la soumission des femmes contredit carrément tous les beaux discours qu’on tient sur l’égalité des sexes dans notre société. Selon celles qui le refusent, le port de ce foulard est souvent le prélude de l’érosion de droits sociaux et politiques. En outre, qu’y a-t-il d’"obsessif" à craindre les intégristes religieux - et non pas l’ensemble des musulmans - qui se servent de ce symbole pour imposer leurs messages et leurs valeurs à une société qui choisit la laïcité ? Et Roksana Bahramitash de proposer un défilé de solidarité pour le port du voile islamique dans les rues de Montréal, à l’occasion de la Journée internationale des femmes. On manifeste déjà pour le droit de choisir "librement" d’être opprimé-es sexuellement (pour la prostitution, sa décriminalisation et celle du proxénétisme), pourquoi ne pas défiler aussi pour le droit de choisir l’oppression religieuse ? Oserai-je demander qui tire avantage de cette belle "ouverture" d’esprit ? Parmi celles qui défileraient dans les rues de Montréal ou de Toronto pour soutenir les porteuses du foulard ou hijab, combien ont déjà manifesté ou signé une pétition contre le harcèlement et les tortures infligés aux femmes qui refusent de le porter dans d’autres pays (et même ici) ? Ces femmes, qui luttent contre l’extrémisme religieux au prix de leur vie, appellent régulièrement à l’aide les féministes occidentales (3), qui sont trop occupées à démontrer qu’elles ne sont pas racistes. J’aurais honte, quant à moi, de participer à une telle mascarade dans les rues. Ce serait trahir toutes ces femmes qui résistent à l’oppression politique et religieuse avec un courage dont je me sentirais incapable. Toutes celles qui sont mortes et qui mourront pour défendre leur liberté. Pas au Moyen Âge, mais dans ce siècle et en cette année même. Plus de 40 femmes tuées pour "violation des règles islamiques", en Irak seulement, au cours de l’année 2007. De plus, a-t-on déjà oublié les années sanglantes de l’Algérie quand des femmes ont été égorgées pour ne pas avoir fait le choix de porter le foulard ? Toutes ces femmes qui, au Québec et au Canada même, se taisent car elles ne sentent aucun soutien dans le non-interventionnisme de la plus grande partie du mouvement féministe. Peut-être pourrions-nous nous mettre à l’écoute également du message de Persepolis, ce dessin animé qui raconte en 90 minutes comment les Iraniennes sont revenues au Moyen Âge en moins de 20 ans. Farzana Hassan, présidente du Muslim Canadian Congress (à ne pas confondre avec le Canadian Islamic Congress), note que même la burqa est aujourd’hui "sanctifiée" tant par les forces conservatrices islamistes que par la gauche occidentale qui l’endosse au nom du multiculturalisme. Mais rarement, dit-elle, les antécédents historiques de la burqa sont-ils évoqués au cours des débats. (4) Bien plus, ajouterais-je : il se construit une mythologie romantique et fantasmatique autour du voile, du hijab ou de la burqa, comme il s’en est construit une autour de la prostitution. Et des féministes participent allègrement à la construction et à la propagation des mythes. En octobre dernier, des membres d’une liste de discussion féministe pancanadienne évaluaient la possibilité de porter une burqa rose par "solidarité avec nos soeurs musulmanes", à la suite d’une invitation du Canadian Islamic Congress qui suggérait une Journée nationale de la "burqa rose" ("National Pink Hijab Day") pour recueillir des fonds destinés à la recherche sur le cancer du sein. Certaines disaient voir dans la burqa le choix de la "modestie" (un mot proscrit pour les Québécoises et Canadiennes de souche, mais réhabilité pour justifier l’oppression religieuse islamiste) en réaction aux modes occidentales... C’est le discours même des conservateurs et des intégristes. Il y a quelques mois, par exemple, un article du quotidien The Gazette de Montréal affirmait que les femmes voilées étaient de bien meilleures féministes que toutes ces femmes « qui se promènent pratiquement nues dans les rues. » (5) « Comme si, entre la robe de sœur et le bikini, il n’y avait pas de demi-mesure, commente une amie. La Vierge ou la putain ! Un retour au point de départ. C’est à cela aussi que le voile nous ramène. » Comment des personnes bien informées peuvent-elles manquer de discernement au point de soutenir la misogynie et la violence que représente le port de la burqa, imposé ou choisi ? Ne perçoivent-elles pas le cynisme d’une initiative qui cherche à donner de la légitimité à l’enfermement des femmes musulmanes dans un vêtement qui les rend littéralement invisibles et qui est la négation même du corps féminin - de la sexualité féminine considérée comme la source du "mal" -, en récupérant une cause populaire (la recherche sur le cancer du sein) qui touche intimement et dramatiquement de nombreuses femmes dans leur corps et dans leur sexualité ? Comment peuvent-elles même songer à servir de caution à cette activité, à se laisser manipuler par des gens qui méprisent les femmes au point de vouloir les faire disparaître de leur vue ? Tarek Fatah, membre fondateur du Muslim Canadian Congress, a suggéré aux féministes de réserver leur empathie aux femmes qui se battent pour leur liberté et celle d’autrui au risque de leur vie. Il fait partie des musulman-es qui ont le courage d’affirmer publiquement leurs convictions en dépit des menaces (ce sont les opinions de ces femmes et de ces hommes qui fournissent les principales références de cet article). Les propos de Tarek Fatah, qui ne sont ni son premier ni son dernier appel aux féministes canadiennes, méritent réflexion :
« Des pratiques qui incitent et forcent des femmes à se mettre en retrait dans les lieux de prière, poursuit Tarek Fatah, qui les confinent à des sous-sols obscurs ou les isolent dans des endroits murés ne devraient jamais obtenir l’appui de quel que groupe de lutte pour l’égalité que ce soit, encore moins d’un groupe de femmes. Quand Raheel Raza a proposé la première prière musulmane animée par une femme à Toronto, elle a été menacée et traitée d’apostate, pourtant peu de féministes se sont levées pour défendre les droits des femmes musulmanes à diriger une prière musulmane. Maintenant, on parle avec sympathie et empathie des mêmes groupes qui condamnent les femmes musulmanes à la régression. (...). Les femmes du Pakistan, de l’Arabie Saoudite, d’Iran et d’Indonésie se battent contre les conservateurs fondamentalistes qui ont obtenu l’appui de la gauche libérale au Canada ! Les féministes canadiennes devraient s’inspirer de la féministe égyptienne Nawal Saadawi et de la féministe pakistanaise Asma Jahangir et non de la mascarade des "hijabs roses"... », conclut Tarek Fatah. (6) On n’a pas entendu de tels porte-parole musulmans à la Commission Bouchard-Taylor. S’il y en avait eus, le co-président Gérard Bouchard, qui a affiché sa naïveté, feinte ou réelle, devant les critiques adressées au port du foulard islamique en tant que véhicule idéologique, aurait été mieux instruit d’un phénomène que connaît quiconque suit l’actualité depuis quelques années, et que doit connaître a fortiori un sociologue et historien. La condescendance peut être du racisme Une attitude condescendante à l’égard des symboles religieux imposés aux femmes musulmanes (comme envers tout symbole religieux dans l’espace public) ne peut en rien aider ces dernières à affirmer leurs droits. Certaines diront peut-être qu’il revient aux femmes musulmanes elles-mêmes de mener leurs propres luttes, un argument qui relève du je-m’en-foutisme, non de la solidarité et du respect de la liberté d’autrui. À tout le moins ne leur rendons pas la tâche plus difficile en banalisant les signes de leur oppression. Quelle serait aujourd’hui, par exemple, la situation des femmes victimes de viol et de violence conjugale si le mouvement féministe ne les avait pas soutenues dans leur combat pour la reconnaissance de leur situation et le respect de leurs droits ? Le véritable racisme ne réside-t-il pas dans le fait d’accepter pour des femmes d’autres cultures ce qu’on a combattu pour soi-même pendant des décennies, c’est-à-dire l’oppression religieuse et politique ? C’est ce que laissent entendre deux intellectuelles ontariennes musulmanes, Haideh Moghissi et Shahrzad Mojab : « Tergiverser devant des pratiques culturelles nuisibles, comme le font des gens de la gauche et des féministes, c’est tolérer pour les autres ce qui est intolérable pour "nous". Cette attitude encourage le contrôle patriarcal des femmes qui n’ont pas eu la chance d’être nées blanches et occidentales. » (7) Dans Internet, une Québécoise musulmane a posé le problème de cette façon : « [...] si l’on est d’accord sur l’universalité des droits des femmes, alors je ne comprends pas cette frilosité à l’attaquer (le voile) au nom d’un relativisme culturel ou de pluralité de points de vue. » Les déclarations de principe ne sont pas toujours suivies d’actions conséquentes. Comme la liberté de choix, l’universalité a connu au fil du temps bien des accommodements. – La deuxième partie de cet article peut être lue ci-dessous ou à la page : "Un féminisme non interventionnisme face à l’extrémisme religieux". Notes 1. Le syndrome de Stockholm désigne la propension des otages partageant longtemps la vie de leurs geôliers à adopter un peu ou tous les points de vue de ceux-ci. DEUXIÈME PARTIE : "Un féminisme non interventionniste face à l’extrémisme religieux" Aux résistantes de tous les horizons.
Avant la récente vague de fondamentalisme religieux dans le monde, très peu de Québécoises musulmanes portaient un foulard islamique dans les lieux publics. Il aurait été étonnant que la montée de l’islamisme politique dans certains pays musulmans n’exerce aucune influence sur la diaspora. Combien de femmes et d’adolescentes porteraient le foulard si elles ne subissaient pas les pressions de leur milieu ? Des extrémistes religieux, qui sont loin de représenter la communauté musulsane du Québec et du Canada mais n’en jouissent pas moins d’une grande influence dans les domaines privé et public, encouragent à se servir du foulard islamique comme symbole identitaire. Ils se fabriquent ainsi un prétexte pour taxer de racisme les éventuels critiques : « Quand vous critiquez le fait que je porte le voile ou le hijab, vous m’attaquez en tant que musulmane, donc vous êtes raciste. » Celles qui ne le portent pas sont-elles moins musulmanes ? Des gens s’exclament : « On ne les oblige tout de même pas à le porter, ce voile ! » Certes, pas toutes.
« Mais à titre collectif, ma foi, il est temps d’affûter ses arguments et d’oser s’attaquer à l’essentiel, c’est-à-dire les idées. Le voile n’est pas un simple habit : c’est un étendard idéologique. Derrière le voile se cache non pas une violence physique (la plupart des voilées d’ici ne sont pas sujettes à des violences physiques, bien au contraire), mais une violence symbolique. » Il existe bien des manières d’influencer la liberté d’autrui. Menacer et manipuler la vérité sont parmi les plus fréquemment employées. L’automne dernier, le site du Centre communautaire musulman de Montréal - ce Centre où s’entraînaient les petites filles de 8 a 12 ans (l’âge des grands choix “libres“, n’est-ce pas ?) qui ont fait les manchettes au Québec parce qu’“elles voulaient“ porter le hijab lors de compétitions de Tae Kwan Do (1) - a publié un article menaçant les femmes musulmanes qui ne portent pas le foulard islamique : « Ne pas porter le hijab peut entraîner “des cas de divorce, d’adultère, de viol et d’enfants illégitimes“, disait l’avertissement pour le moins ahurissant. On y disait aussi que celle qui enlève son voile voit sa “foi détruite“, adopte un “comportement indécent“ et sera punie en “enfer“. On y traitait aussi la femme occidentale de “prostituée non payée“ ». (2) Combien de discours semblables avait entendus dans des mosquées, ou lus sur des sites, le père ontarien qui a tué sa fille de 16 ans, Aqsa Parvez, rebelle aux règles islamiques (dont le port du hijab) ? Parce qu’elle souhaitait s’intégrer à la société canadienne et à son milieu scolaire, cette adolescente avait antérieurement quitté sa famille qui voulait l’en empêcher. On a essayé de faire croire que ce meurtre n’était qu’un crime familial comme il y en a tant au pays, sans connotation religieuse ni politique. Les groupes féministes, une fois encore, même ceux qui militent contre la violence envers les femmes, se sont montrés plutôt discrets sur ce crime et sa signification. Il faut peut-être se demander dans quelle mesure l’autocensure engendrée par le relativisme culturel restreint les luttes des femmes. Quoiqu’on essaie parfois de le faire croire, le discours sur le foulard islamique n’a rien à voir avec la liberté de religion. Porter ou non ce foulard relève de croyances, et les croyances ne sont pas à l’abri des critiques. « Tolérer ne veut pas dire se taire ». (3) Quand des hommes, au nom d’une religion créée par eux et qu’ils se disent les seuls à pouvoir interpréter, imposent ce symbole de soumission aux femmes, et à elles seules, c’est faire l’autruche d’agir comme si cet acte n’avait aucune portée particulière. Des féministes devraient être capables de dénoncer ce sexisme sans craindre être accusées d’intolérance. Des organisations féministes peuvent prétendre défendre les droits de “toutes les femmes“ dans le respect de la diversité, en s’abstenant de critiquer des symboles politico-religieux réservés aux seules femmes musulmanes. Il me semble que cette attitude n’aide en rien celles qui y résistent ou voudraient y résister. En acceptant la différence des droits au nom de traditions culturelles ou religieuses, ces organisations collaborent d’une certaine façon à la marginalisation et à l’instrumentalisation de ces femmes à des fins idéologiques. Un silence troublant Des musulman-es progressistes admettent que des traditions archaïques et discriminatoires pèsent lourdement sur les femmes et les adolescentes de leur communauté, mais ce n’est pas dans les médias du Québec que ces progressistes s’expriment habituellement. Certain-es disent connaître plusieurs adolescentes qui doivent se battre, comme Aqsa Parvez, pour leur liberté. Les mariages forcés ne sont pas rares au sein de la communauté musulmane canadienne, selon une femme qui a refusé un mariage qu’on voulait lui imposer, il y a 20 ans, et qui en a payé le prix, dont la mise à l’écart de sa communauté (facteur qui influe sur le “choix“). Un professeur à la retraite déclare connaître « au moins 9 familles dont les filles ont dû se débattre comme Aqsa avec une double vie, arrivant au collège vêtue des traditionnels hijab et vêtements amples, avant de se changer dans les toilettes et en émerger en jeans serrés, avec la chevelure dénouée. Lorsque trois des pères ont découvert le pot aux roses, leurs filles furent rapidement mariées à des hommes du Pakistan qu’elles n’avaient jamais rencontrés : les cérémonies religieuses de mariage se déroulèrent au téléphone ! » (4). Leur communauté évite d’en parler afin ne pas accroître les sentiments islamophobes... Si on ajoute à ce silence le non-interventionnisme du reste de la société, les extrémistes islamistes ont la voie libre tandis que les femmes qui voudraient leur échapper se retrouvent seules. Ces musulman-es progressistes déplorent que trop peu d’entre eux dénoncent ces extrémistes. Ce silence relatif est troublant car il indique la force réelle de l’intégrisme qui réussit par la peur à imposer ses règles du jeu. Les intégristes religieux savent aussi tirer profit du relativisme culturel et religieux. Des femmes et des hommes musulmans ont quitté des fonctions en vue au sein de leur communauté à la suite de menaces de mort lancées contre eux et leur famille. « Pour des raisons de sécurité », une intellectuelle musulmane canadienne nous a demandé de retirer son nom d’un communiqué annonçant sur Sisyphe une conférence à laquelle elle avait participé quelques mois plus tôt. Le fait que des individus ou des groupes se sentent à l’aise d’intimider autrui et même de menacer leur vie, dans un pays qui se prétend à la fine pointe de la défense des droits fondamentaux, donne la mesure de la complaisance dont ils se savent gratifiés. Le syndrome de l’accommodement : tout le monde est féministe ! Une sorte de démission face à la complexité et à la difficulté des luttes à mener incite des femmes et des groupes à essayer d’accommoder le féminisme à toutes les sauces. Le féminisme est presque devenu une sorte d’auberge espagnole. On voit du féminisme dans n’importe quoi et n’importe qui peut se dire féministe. On devrait la ou le croire du moment qu’elle ou il le dit. Qui sommes-nous pour en douter ? Dans les années 1970, Playboy affirmait aussi servir la cause féministe en favorisant la libération sexuelle des femmes... Un tel brouillage sert parfois à masquer les hésitations et les craintes face aux religions ou aux groupes extrémistes. Ce “syndrome de l’accommodement“ se développe dans des circonstances où l’on imagine l’adversaire invincible. On préfère se replier, se taire et collaborer au lieu de l’affronter. Quelques femmes ainsi que la Fédération des femmes du Québec (FFQ) ont déclaré devant la Commission Bouchard-Taylor qu’on peut être féministe et porter le voile islamique. C’est peut-être le cas pour certaines et, sans doute, la FFQ ne voulait-elle exclure personne. Mais sur quelles bases une telle affirmation s’appuie-t-elle ? Les Québécoises musulmanes qui portent le voile et ceux qui les incitent à le porter sont-elles/ils favorables à la mixité dans les institutions et les lieux publics ? À la liberté sexuelle des femmes ? Au droit à la contraception et à l’avortement ? Aux droits des lesbiennes et des homosexuels ? À l’égalité des conjoints et au divorce ? À la liberté d’une femme musulmane de choisir son conjoint, sa carrière, ses engagements politiques, sociaux ou religieux ? Peuvent-elles s’opposer à la polygamie et au mariage arrangé ? Reconnaissent-elles dans les faits l’égalité sociale, juridique, politique et économique des femmes et des hommes ? Bref, sont-elles et sont-ils favorables à la liberté et à l’égalité des femmes ? Si oui, comment concilient-elles cette profession de foi féministe et l’adhésion à des codes religieux et culturels qui nient tout cela ? Si la communauté musulmane traite hommes et femmes également - le principe d’égalité est défendu par les féministes de toutes tendances -, quel est l’équivalent du voile pour les hommes ? Quelle forme de marquage infériorisant leur impose-t-on, à eux, prétendûment au nom de la religion ? On s’insurge contre des femmes qui voient un symbole de soumission dans le foulard islamique ou la burqa. À la lumière du relativisme qui tend à tout niveler, on leur reproche de juger.
À un homme qui la mettait “paternellement“ en garde contre le risque de “diaboliser“ les femmes musulmanes portant le voile, elle répond :
La revanche du patriarcat Un mot ne fait pas une analyse. Et le terme même patriarcat est rejeté dans certains milieux, par exemple ceux qui se disent postféministes, tandis que dans d’autres milieux, on fait un usage très sélectif de l’analyse patriarcale. La majorité des féministes évoquent volontiers la culture patriarcale pour expliquer et dénoncer la violence en milieu conjugal et le viol, mais elles hésitent à appliquer la même analyse à la prostitution, une institution patriarcale parmi les plus anciennes et qui équivaut aux religions en termes d’oppression des femmes. Une rhétorique ambiguë, qui fait appel à la liberté individuelle, s’élabore pour masquer la peur de se compromettre sur cette question au coeur de laquelle se situe la responsabilité de beaucoup d’hommes. Plus sérieux encore pour l’avenir des luttes féministes est la concurrence qui semble exister entre le combat contre le racisme et le combat contre le sexisme et la misogynie. Il semble qu’on se croie parfois obligé de choisir entre les deux. La misogynie et le sexisme traversent pourtant, et depuis toujours, toutes les cultures, toutes les religions, tous les systèmes de pensée et de droit, mais leurs attaques contre les femmes continuent d’être perçues - même par des femmes - comme moins importantes que le racisme, et les luttes pour les éliminer paraissent moins légitimes que celles qui visent l’élimination du racisme. Les femmes sont toujours prêtes au renoncement quand il s’agit de servir d’autres causes que la leur... Cette perception de la hiérarchie des luttes contre le racisme et le sexisme, ainsi qu’une estime de soi vacillante, jouent un rôle certain dans l’attitude non-interventionniste de la majorité des féministes québécoises et canadiennes face à l’extrémisme islamiste. Elles se croient obligées de démontrer ainsi leur rejet du racisme. (5) « Ainsi, plusieurs décennies après la refonte des droits de la personne provoquée par l’émancipation sociale des femmes, commente la chroniqueure Rosie DiManno, les féministes les plus aguerries et les plus combatives marchent sur des œufs et hésitent à lancer la pierre. Le dieu du multiculturalisme, réincarné en un avatar autorisant une interprétation radicale des impératifs religieux et culturels, transcende l’égalité des sexes. » (6) Pris entre le relativisme culturel, le néolibéralisme et les théories révisionnistes du postmodernisme, le féminisme québécois (majoritairement libéral) ne semble pas conscient de la gravité de la menace que représente l’extrémisme religieux pour les droits et l’égalité des femmes. Il semble renoncer à combattre le système patriarcal sur ce front. Avec, d’un côté, l’esclavage sexuel (prostitution et traite des femmes et des enfants) propulsé et banalisé par la mondialisation et, de l’autre, l’intégrisme religieux protégé par le relativisme, le patriarcat prend sa revanche sur le féminisme des dernières décennies... avec la complicité de féministes ! Notes 1. “Des musulmanes refusent d’enlever leur hijab pour un tournoi de tae kwon do“, Nouvelles musulmanes, décembre 2006. Si le lien n’existe plus, c’est que le site l’a désactivé pour une raison qui regarde son éditeur : http://www.info690.com Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 mars 2008 Revu en mars 2010 Voir également la rubrique Femmes du monde. Une section sur les femmes musulmanes et une autre sur le foulard islamique. |