La mainmise des intégristes islamiques sur une société peut se juger à la répression totale et absolue des droits et libertés des femmes. En Iran, les mollahs au pouvoir imposent depuis 25 ans aux femmes et aux filles des règles et des punitions humiliantes et sadiques. Ils les réduisent en esclavage dans un système d’apartheid sexuel qui entraîne pour les femmes la ségrégation, le port forcé du voile islamique, un statut de citoyennes de deuxième zone et des châtiments comme le fouet et la lapidation.
Suivant en cela un courant mondial, les intégristes ont trouvé une autre façon de déshumaniser les femmes et les filles : les acheter et les vendre à des fins de prostitution. Il est impossible de connaître avec précision le nombre des victimes, mais d’après une source officielle à Téhéran, le nombre d’adolescentes prostituées aurait fait un bond de 635 pour 100. Cette statistique stupéfiante donne une idée de la vitesse à laquelle cette forme de violence s’est répandue. Il y aurait à Téhéran quelque 84 000 femmes et jeunes filles prostituées ; beaucoup font le trottoir et les autres peuplent les 250 bordels de la ville. Le commerce des femmes a aussi une dimension internationale : des milliers d’Iraniennes mineures et adultes ont été vendues comme esclaves sexuelles à l’étranger.
Selon le chef d’Interpol à Téhéran, le trafic d’esclaves sexuelles est aujourd’hui une des activités les plus lucratives en Iran. Or, ce trafic criminel se fait au vu et au su des intégristes qui dirigent le pays, et avec leur participation. De haut fonctionnaires se livrent eux-mêmes à la vente, à l’achat et à l’exploitation sexuelle de femmes et de jeunes filles.
Beaucoup de ces jeunes filles sont originaires de régions rurales pauvres. La toxicomanie a atteint des proportions épidémiques en Iran, et certains parents vendent leurs enfants pour se payer de la drogue. Un fort taux de chômage (28 pour 100 chez les 15 à 29 ans et 43 pour 100 chez les jeunes femmes de 15 à 20 ans) incite les jeunes en quête de travail à accepter des offres d’emploi douteuses. Les trafiquants d’esclaves savent toujours profiter des situations où des femmes et des enfants sont vulnérables. Ainsi, après le récent tremblement de terre à Bam, des fillettes devenues orphelines ont été enlevées et transportées vers un marché d’esclaves connu de Téhéran, lieu de rencontre de trafiquants iraniens et étrangers.
Les pays arabes du Golfe persique sont des destinations privilégiées pour le trafic d’esclaves. Selon le directeur du système judiciaire provincial de Téhéran, les trafiquants cibleraient les adolescentes de 13 à 17 ans, mais d’après certaines sources, des fillettes de 8 ou 10 ans auraient aussi été envoyées à des pays arabes. Un réseau a été mis à jour après qu’une adolescente de 18 ans se fut échappée du sous-sol d’un immeuble où plusieurs jeunes filles étaient gardées captives en attendant d’être envoyées au Qatar, au Koweït et aux Émirats arabes unis. Le grand nombre de femmes et d’adolescentes iraniennes expulsées des pays du Golfe persique témoigne de l’ampleur de ce trafic. Lorsqu’elles sont rapatriées en Iran, les intégristes islamiques rejettent sur elles la faute des crimes dont elles ont été victimes et les condamnent souvent à la prison ou à des châtiments corporels. Elles sont soumises à un examen physique visant à déterminer si elles se sont livrées à des « activités immorales » et, selon les résultats, elles peuvent se voir interdire de sortir du pays.
La police a découvert plusieurs réseaux de prostitution et de trafic d’esclaves qui opéraient à Téhéran mais qui avaient aussi vendu des filles à des clients en France, en Grande-Bretagne et en Turquie. Un réseau basé en Turquie achetait des femmes et des adolescentes iraniennes qu’on avait fait entrer clandestinement au pays et, après les avoir munies de faux passeports, qu’on transportait vers des pays d’Europe et du Golfe persique. Ainsi, une adolescente de 16 ans a été emmenée en Turquie avant d’être vendue à un Européen de 58 ans pour 20 000 $.
Selon la police de la province de Khorasan, au nord-est de l’Iran, des filles de 12 à 20 ans seraient vendues comme esclaves sexuelles à des Pakistanais. Ces hommes les épouseraient pour ensuite les vendre à des bordels appelés « Kharabat » au Pakistan. On a découvert un réseau qui contactait les familles pauvres des alentours de Mashad et offrait de marier leurs filles. Les jeunes femmes étaient ensuite emmenées au Pakistan via l’Afghanistan pour y être vendues à des bordels.
Dans la province frontalière de Sistan Baluchestan, au sud-est du pays, des milliers de jeunes Iraniennes auraient été vendues à des hommes afghans. Leur destination finale est inconnue.
Le grand nombre d’adolescentes en fugue contribue également à l’augmentation de la prostitution et du trafic d’esclaves sexuelles en Iran. Ces jeunes femmes s’enfuient de chez elles pour échapper aux contraintes intégristes qu’on leur impose, aux mauvais traitements et à la toxicomanie de leurs parents. Malheureusement, ces jeunes fugueuses en quête de liberté se heurtent à de nouvelles violences et à l’exploitation : 90 pour 100 d’entre elles aboutissent dans le milieu de la prostitution. En raison du grand nombre d’adolescentes en fugue, on dénombre, seulement à Téhéran, quelque 25 000 enfants de la rue, dont la plupart sont des filles. Les jeunes de la rue, les fugueuses et les lycéennes vulnérables se retrouvent dans les parcs de la ville où elles sont des proies faciles pour les proxénètes. Ainsi, on a démasqué une femme qui vendait de jeunes Iraniennes à des hommes des pays du Golfe persique. Elle traquait les jeunes fugueuses depuis quatre ans et avait vendu sa propre fille pour 11 000 dollars US.
Comme l’Iran est gouverné par un régime totalitaire, les autorités sont au courant de la plupart des activités organisées. La mise à jour de réseaux d’esclavage sexuel dans ce pays a révélé l’implication de beaucoup de mollahs et de haut fonctionnaires dans l’exploitation sexuelle et le trafic de femmes et de jeunes filles. Selon certaines femmes, les juges auraient exigé qu’elles aient des rapports sexuels avec eux pour autoriser leur divorce. Des femmes arrêtées pour prostitution ont déclaré qu’elles avaient dû se soumettre à des rapports sexuels avec le policier ayant procédé à leur arrestation. On a signalé des cas où la police avait repéré des jeunes femmes à des fins sexuelles pour des mollahs riches et puissants.
Dans les villes, on a créé des refuges pour venir en aide aux jeunes en fugue. Les fonctionnaires qui les gèrent sont souvent corrompus et se servent des jeunes filles hébergées dans ces refuges pour alimenter des réseaux de prostitution. À Karaj, par exemple, l’ancien dirigeant du Tribunal révolutionnaire et sept autres haut fonctionnaires ont été arrêtés en relation avec un réseau de prostitution qui opérait avec des adolescentes de 12 à 18 ans provenant d’un refuge du nom de Centre d’orientation islamique.
Les cas de corruption de ce genre sont légion. Un juge de Karaj a été incriminé dans un réseau qui repérait des jeunes filles pour les vendre à l’étranger. Par ailleurs, en démantelant un réseau de prostitution à Qom, centre de la formation religieuse en Iran, on a constaté que certaines des personnes mises en arrestation travaillaient pour des organismes gouvernementaux, entre autres le ministère de la Justice.
Les intégristes au pouvoir n’ont pas tous la même position officielle sur le commerce sexuel : certains s’efforcent de le nier et de le dissimuler, tandis que d’autres préfèrent le reconnaître et le faciliter. En 2002, un journaliste de la BBC a été expulsé du pays pour avoir pris des clichés de femmes prostituées. Les fonctionnaires ont expliqué dans les termes suivants les raisons de leur décision : « Nous vous expulsons parce que vous avez photographié des prostituées. Ce n’est pas un reflet authentique de la vie dans notre république islamique. Il n’y a pas de prostituées en Iran. » Pourtant, plus tôt au cours de cette même année, des fonctionnaires de la Direction des programmes sociaux du Ministère de l’Intérieur avaient suggéré de légaliser la prostitution afin de l’encadrer et d’endiguer la propagation du VIH. Ils avaient proposé de créer des bordels sous le nom de « maisons de la moralité » et de faciliter la prostitution en recourant à la tradition religieuse du mariage temporaire, qui permet à un couple de se marier pour une brève période, parfois même une heure. L’idéologie et les méthodes des intégristes islamiques sont très souples lorsqu’il s’agit de dominer et d’exploiter les femmes.
A priori, on pourrait croire qu’une industrie du sexe florissante dans une théocratie où des religieux font fonction de proxénètes est une contradiction dans un pays fondé et dirigé par des intégristes islamiques. En fait, rien n’est plus faux. Premièrement, l’exploitation et la répression des femmes sont étroitement liées. L’une et l’autre existent là où les femmes, individuellement et collectivement, sont privées de liberté et de droits. Deuxièmement, les intégristes islamiques en Iran ne sont pas que des musulmans conservateurs. L’intégrisme islamique est un courant politique fondé sur une idéologie dans laquelle les femmes sont considérées comme des êtres intrinsèquement inférieurs sur le plan intellectuel et moral. Les intégristes détestent le corps et l’esprit des femmes. La vente de filles et de femmes à des fins de prostitution n’est qu’une mesure déshumanisante de plus à leur endroit, le complément de l’obligation qui leur est faite de se cacher les cheveux et le corps sous le tchador.
Dans une dictature religieuse comme l’Iran, on ne peut invoquer la loi pour défendre les droits des jeunes filles et des femmes. Celles-ci n’ont aucune garantie de liberté ou de droits et ne peuvent espérer être respectées ou traitées dignement par les intégristes islamiques. Seule la fin du régime iranien pourra les libérer de toutes les formes d’esclavage dont elles sont victimes.
L’auteure tient à remercier les militants qui luttent pour les droits de la personne et la démocratie en Iran de lui avoir transmis les renseignements qui lui ont permis d’écrire cet article. Si vous avez de l’information au sujet de la prostitution et de l’esclavage sexuel en Iran, veuillez communiquer avec elle : voir cette adresse.
Donna M. Hughes est professeure et titulaire de la Chaire Carlson en études féministes à l’Université du Rhode Island.
Version originale anglaise.
L’auteure a accordé à Sisyphe l’autorisation de traduire et de diffuser ce texte en français. Droits réservés pour la traduction française : Sisyphe.
Traduction : Marie Savoie
Mis en ligne sur Sisyphe, le 14 janvier 2009