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vendredi 20 février 2009

La longue marche vers l’égalité pour les gais et les lesbiennes du Québec

par Ann Robinson, professeure à la retraite






Écrits d'Élaine Audet



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Professeure de droit à la retraite, l’auteure résume dans cet article la recherche qu’elle a effectuée à la fin des années 1990 dans le cadre de la demande de permis de mariage du couple montréalais Hendricks/LeBoeuf, Le mariage pour les gais et lesbiennes : Futur inéluctable, 20 janvier 2000. Ce rapport de recherche a été disponible dès 2002 sur le site internet de la revue Fugues. Elle a fait les mises à jour qui s’imposaient dans cet article.


    Je dédie cet article à mon ami et collègue, Robert Demers, décédé prématurément à la fin des années 1980. Il a sans aucun doute été le premier juriste, professeur dans une faculté de droit francophone québécoise à effectuer une recherche sur les avancées des droits des gais et lesbiennes au Québec, et à en publier les résultats : « De la lex scantinia aux récents amendements du Code criminel : homosexualité et droit dans une perspective historique ».*

Des premières lois pénalisant l’homosexualité masculine adoptées au début du troisième siècle de notre ère sous le règne de Constantin le Grand (1), et interdisant les mariages homosexuels, à la reconnaissance de l’orientation sexuelle comme motif de discrimination dans les diverses chartes, codes et lois des droits et libertés de la personne tant fédérale que provinciales, la route a été longue et semée d’embûches pour ces hommes qui n’avaient commis d’autres crimes que d’aimer un autre homme (2). Peine de mort, bûcher, assassinat, castration, exil, excommunication, voilà autant de châtiments que l’Église et l’État ont réservés à ceux que l’on nommait principalement sodomites, pédérastes ou invertis (3). « L’histoire de l’homosexualité s’est presque toujours confondue avec celle de sa répression. » (4) Je ne retracerai pas ici cette histoire juridique sanglante. D’autres l’ont fait avant moi et de façon magistrale (5). Je présenterai plutôt les avancées législatives et judiciaires, tant canadiennes que québécoises, des quarante dernières années. Documenter cette difficile marche des gais et lesbiennes québécois vers l’égalité à travers le système juridique bicéphale (6) canadien ne peut se faire sans analyser à la fois quelques arrêts clés de la Cour suprême en parallèle avec les diverses lois adoptées ces dernières décennies par des parlementaires parfois récalcitrants (7).

L’orientation sexuelle comme motif de discrimination

On s’accorde généralement pour reconnaître que ce sont principalement les efforts des associations gaies et lesbiennes qui ont mené à l’amélioration du statut juridique des personnes homosexuelles (8). Ainsi, dès la fin des années 1960, tant en Europe qu’en Amérique, dans la foulée de la révolte des étudiants à Paris au printemps 1968, et de la dépénalisation de l’homosexualité (9), des mouvements de libération gaie sont nés. Les États-Unis ont marqué le pas par la création en 1969 du Mouvement américain de libération gaie à la suite des émeutes de Stonewall (10). L’Angleterre a suivi en 1970 en créant le Front de libération gaie à Londres. De plus en plus d’homosexuels sont sortis du placard, d’abord auprès de leur famille, puis avec les collègues et amis, et enfin dans la société en général (11). On assiste alors à la naissance de la fierté gaie et à l’organisation de grandes manifestations annuelles à New York, Paris, Londres, Amsterdam, Bruxelles, Toronto, Montréal et même récemment, dans quelques grandes villes de l’ex-URSS (12). À l’occasion de ces événements, les diverses associations de gais et lesbiennes se sont mises à dénoncer toutes les formes de discrimination vécues par leurs membres.

Au Canada, c’est le Québec qui a d’abord amendé sa Charte des droits et libertés en 1977 pour y insérer, dans l’article 10, l’orientation sexuelle comme motif de discrimination illicite (13), devenant ainsi la première juridiction en Amérique du Nord à imposer cette interdiction. Le Canada anglais suivra plus de dix ans plus tard : le Manitoba et le Yukon en 1987, l’Ontario en 1990, la Nouvelle-Écosse en 1991, la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick en 1992, la Saskatchewan en 1993, Terre-Neuve en 1997 et l’Île-du-Prince-Édouard en 1998. Quant à l’Alberta, c’est la Cour suprême du Canada qui, rendant jugement en 1998 dans l’affaire Vriend c. Alberta (14), a forcé la législature provinciale à intégrer dans sa loi de protection les droits de la personne, l’orientation sexuelle comme motif de discrimination illicite.

Au gouvernement fédéral, l’orientation sexuelle n’apparaissait pas comme motif de discrimination illicite dans l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, au moment de sa promulgation en 1982 (15). Cette question a été résolue par la Cour suprême en 1995, dans l’arrêt Egan. Dans ce jugement les neuf juges de la cour ont affirmé unanimement que l’orientation sexuelle est « une caractéristique profondément personnelle qui est soit immuable, soit susceptible de n’être modifiée qu’à un prix personnel inacceptable et qui, partant, entre dans le champ de protection de l’article 15 parce qu’elle est analogue aux motifs énumérés » (16).

En conséquence, le gouvernement fédéral a senti l’obligation, en 1996, d’amender sa Loi canadienne des droits de la personne pour y inclure l’interdiction d’exercer toute forme de discrimination sur la base de l’orientation sexuelle (17). L’adoption de ce projet de loi a provoqué au Parlement d’Ottawa, un débat houleux et parfois disgracieux (18). Plusieurs députés ont prétendu qu’on s’attaquait à des valeurs fondamentales canadiennes, et que reconnaître l’orientation sexuelle comme motif de discrimination pouvait mettre en péril la famille traditionnelle hétérosexuelle (19). L’amendement a été adopté de justesse et malgré l’acharnement des députés réformistes et de quelques libéraux. Tous les arguments ont été invoqués, dont le rapport entre l’homosexualité et la pédophilie, la sauvegarde de la famille et des valeurs traditionnelles de la société, certains députés réformistes ont même crié leur hargne, leur haine et leur mépris des homosexuels (20), comme si accorder aux uns, c’est enlever aux autres !

La conjugalité lesbienne et homosexuelle

Le 3 juin 1985, Brian Mossop, traducteur à l’emploi du Secrétariat d’État du gouvernement fédéral à Toronto, a dû s’absenter de son travail pour assister aux funérailles du père de son amant. Les deux hommes se sont rencontrés en 1974 et vivent ensemble depuis 1976, partageant tout. Ils ont acheté et entretiennent à deux une maison, ils s’entraident mutuellement dans la vie quotidienne et leurs amis et parents les considèrent comme des conjoints. Le lendemain des funérailles, Brian Mossop a demandé le congé de deuil prévu à sa convention collective pour le décès d’un membre de sa proche famille. Cette demande a été rejetée au motif que la convention collective ne reconnaissait de droits qu’à la conjugalité hétérosexuelle. Ainsi, M. Mossop s’est vu forcé de déposer un grief à la fois contre son syndicat et contre son employeur. Ce grief a été rejeté sous prétexte que la décision était conforme à la lettre de la convention collective. Et c’est alors qu’a débuté la saga judiciaire qui a conduit Brian Mossop jusqu’à la Cour suprême du Canada presque dix ans plus tard.

Au lieu d’en appeler de la sentence arbitrale, M. Mossop a choisi de déposer une plainte pour discrimination contre son syndicat et son employeur à la Commission canadienne des droits de la personne, en invoquant certaines dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne pouvant l’aider à faire la preuve d’un traitement discriminatoire en cours d’emploi (21). Et puisqu’à cette époque, l’orientation sexuelle n’était pas encore considérée comme un motif de discrimination dans cette loi, M. Mossop a basé son argumentation sur le motif de la « situation de famille », énoncée dans l’article 3 de cette loi (22). Le Tribunal canadien des droits de la personne a donné raison à M. Mossop (23).

Il n’était pas au bout de ses peines puisque le procureur général du Canada a porté la décision en appel devant la Cour fédérale, laquelle a annulé la décision du Tribunal au motif que ce dernier a commis une erreur en droit en voulant inclure dans l’expression « situation de famille » une relation homosexuelle (24). Cette décision de la Cour fédérale a été maintenue en 1993 par la Cour suprême du Canada, malgré une dissidence fort bien documentée et argumentée de la part de la juge Claire L’Heureux-Dubé (25). Ce jugement tant attendu dans la communauté homosexuelle canadienne a eu l’effet d’une douche froide. Les militants pour la reconnaissance de la conjugalité homosexuelle ont eu l’impression d’être renvoyés de Calife à Pilate, du législatif au judiciaire et vice versa (26).

Puis, il y eut l’affaire Egan (27). En 1986, James Egan et John Norris Nesbit vivent une relation de couple depuis 38 ans. À 65 ans, James Egan commence à percevoir la pension de sécurité de vieillesse et un supplément de revenu garanti, en application de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (28). Cette loi prévoit à l’époque le versement d’une allocation au conjoint du pensionné si ce conjoint a entre 60 et 65 ans et que le revenu du couple n’atteint pas un seuil prescrit. À 60 ans, Nesbit se prévaut de cette disposition invoquant le fait qu’il est le conjoint de James Egan. Les fonctionnaires rejettent sa demande au motif qu’il n’est pas un conjoint au sens de la loi, puisqu’il vit dans une union homosexuelle.

Egan et Nesbit intentent une action en Cour fédérale et demandent un jugement déclaratoire décrétant que la définition de conjoint inscrite dans la loi est discriminatoire puisqu’elle fait référence à l’hétérosexualité des conjoints, allant ainsi à l’encontre de l’article 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Ils demandent par conséquent un élargissement de cette notion de conjoint aux conjoints homosexuels. Ils ont perdu tant en première instance (29), qu’en appel (30).

En rendant un jugement unanime en 1995, les neuf juges de la Cour suprême ont établis pour la première fois que l’orientation sexuelle est un motif de discrimination analogue à ceux déjà prévus dans la Charte. Mais alors qu’une majorité de cinq juges (31) considère que la définition de « conjoint » prévue dans l’article 2 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, va à l’encontre de la Charte, une autre majorité de cinq juges (32) conclut que cette atteinte est justifiée dans le cadre d’une société libre et démocratique, conformément à l’article 1 de cette même Charte. Après neuf ans de lutte judiciaire, James Egan et John Norris Nesbit, s’ils n’ont pas obtenu justice, auront au moins la satisfaction et l’honneur de passer à l’histoire comme le couple qui a réussi à forcer le gouvernement fédéral à considérer l’orientation sexuelle comme un motif de discrimination analogue à ceux déjà énumérés dans la Charte canadienne.

En mai 1999, arrive un revirement de situation. L’affaire M. c. H. (33) défraie les manchettes canadiennes. M. et H., lesbiennes ontariennes, ont vécu ensemble comme conjointes de fait de 1982 à 1992. Durant ces dix années de vie commune, elles ont bâti une entreprise de publicité, laquelle a constitué jusqu’à la fin des années 1980, leur revenu principal. Cependant, la preuve a démontré que la contribution de H. à cette entreprise a été supérieure à celle de M. À l’automne 1992, l’entreprise va de plus en plus mal, H. doit prendre un emploi à l’extérieur. M. quitte la maison du couple et demande une ordonnance au tribunal pour le partage des biens. Elle demande également à H. de lui verser une pension alimentaire conformément aux dispositions de la loi ontarienne sur le droit de la famille (34), contestant du même coup, la définition strictement hétérosexuelle du mot « conjoint » contenu dans cette loi (35), en invoquant l’article 15(1) de la Charte canadienne.

La juge de première instance a donné raison à M. en statuant que les mots « l’homme et la femme » devaient être retranchés de la définition du terme « conjoint » de la loi, et remplacés par les mots « deux personnes » (36). H. est allée en appel de ce jugement et, à ce moment, le procureur général de l’Ontario est intervenu au dossier. La Cour d’appel a confirmé le jugement de première instance, mais en a suspendu l’application pour un an, le temps de permettre au législateur ontarien de modifier sa loi en conséquence (37). Acceptant d’entendre le procureur général de l’Ontario, huit juges de la Cour suprême du Canada ont reconnu que la définition de « conjoint » prévue dans la loi ontarienne était discriminatoire, contraire à l’article 15(1) de la Charte, et ne pouvait se justifier en vertu de l’article 1 de cette dernière, tout en restreignant le délai de suspension de leur jugement à six mois. (38) Le gouvernement ontarien n’a donc eu d’autre choix que de modifier sa loi sur la famille (39).

Le Québec, quant à lui, pourtant avant-gardiste en 1977 en incluant l’orientation sexuelle comme motif de discrimination dans sa Charte, s’est laissé longuement « tirer l’oreille » avant de concrétiser cette prescription dans sa législation. Il aura fallu la tenue d’audiences publiques (40), la publication du rapport de cette consultation (41), et un lobby systématique de la part des militants gais et lesbiennes pour que la législature québécoise accepte d’abroger, en juin 1996, l’article 137 de sa Charte, qui jusque-là permettait spécifiquement la discrimination basée sur l’orientation sexuelle dans certains cas, tels les régimes d’assurance et de retraite. En conséquence, les conjoints de même sexe du Québec profitent maintenant des bénéfices des régimes d’assurance ou de retraite de leur conjoint au même titre que les conjoints hétérosexuels.

Il faudra attendre trois autres années pour que le gouvernement québécois s’assure que cette nouvelle règle de non discrimination soit transcrite spécifiquement dans ses propres lois statutaires. Ici aussi, la Cour supérieure a dû rappeler à l’ordre le pouvoir législatif. En 1999, cette dernière (42) a déclaré invalides les dispositions de l’article 91 de la Loi sur le régime des rentes du Québec (43), puisque celle-ci retenait la notion de « vie maritale » pour définir le conjoint du cotisant décédé, ce qui excluait de facto les conjoints de même sexe. Le gouvernement du Québec a conséquemment présenté et adopté, en juin 1999, la Loi modifiant diverses dispositions législatives concernant les conjoints de fait (44), qui faisait disparaître dans ses lois statutaires, toute forme de discrimination quant à la conjugalité homosexuelle et lesbienne. Partant de là, les lois et les règlements du Québec ont élargi la définition de l’expression « conjoint de fait » pour y reconnaître toutes les unions de fait sans égard au sexe des personnes.

Pendant ce temps à Ottawa, le 8 juin 1999, le Reform Party, en réaction à la décision de la Cour suprême dans l’affaire M. c. H., présente à la Chambre des communes une proposition visant à évacuer définitivement la question du mariage entre deux personnes de même sexe. « Que, de l’avis de la Chambre, il est nécessaire, parallèlement au débat public entourant les récentes décisions judiciaires, de confirmer que le mariage est et doit demeurer exclusivement l’union d’un homme et d’une femme, et que le Parlement prendra toutes les mesures voulues dans les limites de sa compétence pour préserver au Canada cette définition du mariage » (45). Cette proposition est adoptée par les parlementaires toujours présents à la Chambre à la fin de la journée. La ministre de la Justice de l’époque, l’honorable Anne McLellan du Parti libéral, choisira les mots les plus fermes pour affirmer la position des parlementaires. « Le mariage revêt une valeur et une importance fondamentales pour les Canadiens. […] J’appuie la motion pour maintenir la définition juridique claire du mariage au Canada qui est exclusivement l’union d’un homme et d’une femme. » (46)

Malgré cette proposition, la situation évolue inexorablement. Le parlement canadien n’a pas le choix de se conformer lui aussi au jugement de la Cour suprême dans l’affaire M. c. H. Ainsi, en juin 1999, il adopte une loi qui modifie la définition du terme conjoint dans une soixantaine de lois fédérales pour s’assurer que les conjoints de même sexe bénéficient des droits accordés aux couples hétérosexuels vivant en union de fait (47). Voilà, la table était enfin mise pour que les gais et les lesbiennes puissent enfin « effeuiller la marguerite ».

Le mariage pour les gais et les lesbiennes (48)
Le premier avril 2004, c’est avec un grande satisfaction et un immense plaisir que j’ai agi comme témoin au Palais de justice de Montréal lors du premier mariage civil entre conjoints de même sexe célébré au Québec. Les époux, Michael Hendricks et René LeBoeuf, engagés dans une relation conjugale depuis 1975, manifestaient depuis le milieu des années 1990 (49) le désir de se marier civilement dans notre province. Leur souhait a été comblé, ils ont finalement convolé en justes noces au Palais de Justice de Montréal, devant une foule de militants, de sympathisants et de journalistes.

Au Canada, le mariage est de juridiction fédérale, alors que sa célébration et ses effets patrimoniaux sont de juridiction provinciale (50). Ainsi, seul le gouvernement fédéral peut légiférer sur les éléments essentiels à la validité du mariage. L’absence de consentement, la bigamie, l’inceste et l’immaturité psychologique, sont toujours considérés au Canada comme des empêchements au mariage. Les cours d’appels de trois provinces canadiennes ont par ailleurs rejeté à tour de rôle, pour des motifs de discrimination, l’identité de sexe comme empêchement au mariage (51) pour les conjoints de même sexe, conformément à l’article 15(1) de la Charte canadienne.

Alors que Michael Hendricks et René LeBoeuf réclamaient depuis 1998 l’accès au mariage civil devant les tribunaux, Paul Bégin ministre de la Justice du Québec, présente en décembre 2001 un avant-projet de loi sur l’union civile. L’Assemblée législative du Québec en adoptant cette loi en 2002 (52) est allée aussi loin que lui permettaient ses compétences législatives. À cette occasion, le ministre a déclaré que si son gouvernement en avait eu le pouvoir, il aurait proposé tout simplement l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe (53).

Le législateur québécois a opté pour un nouvel état conjugal accessible tant aux couples hétérosexuels qu’aux couples de même sexe qui désirent s’engager publiquement et solennellement à se porter mutuellement respect, fidélité, secours et assistance et à faire vie commune. Autant à l’égard de la célébration qu’en regard des effets patrimoniaux, et dans les limites législatives du Québec, l’union civile est pratiquement identique au mariage. Mais puisque rien ne garantit aux couples québécois unis civilement que leur union sera reconnue au même titre qu’un mariage en dehors du Québec, le lobby des gais et des lesbiennes, tout en se déclarant satisfait des avancées de la loi québécoise, a continué à réclamer l’accès au mariage devant les tribunaux du Québec (54).

Un premier jugement favorable de la Cour supérieure du Québec (55) a été rendu le 6 septembre 2002. La juge Louise Lemelin y déclare que la définition hétérosexuelle du mariage prévue dans les lois fédérales (56) et provinciale (57) à l’effet que le mariage ne peut être célébré qu’entre un homme et une femme, est discriminatoire à l’égard des couples de même sexe et va ainsi à l’encontre de la Charte canadienne. Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel en mars 2004 (58), alors que les cours d’appel de la Colombie-Britannique et de l’Ontario avaient déjà rendus des jugements similaires durant l’année 2003. Mais avant que la Cour d’appel du Québec ne se prononce, le Procureur général du Canada s’était désisté du dossier le 14 juillet 2003, alors que le Procureur général du Québec n’avait pas formulé d’appel contre le jugement de la juge Lemelin (59).

Quelques jours plus tard, le 17 juillet 2003, le gouvernement canadien demande à la Cour suprême du Canada de se prononcer sur un avant-projet de loi qui reconnaît la possibilité d’un mariage entre deux personnes de même sexe (60). Cette démarche vise à faire préciser la compétence exclusive du gouvernement fédéral en matière de mariage et sa capacité à l’ouvrir aux couples de même sexe en respectant la Charte canadienne des droits et libertés. Le gouvernement demande également à la Cour suprême de confirmer que l’article 2 de l’avant projet de loi protège adéquatement les autorités religieuses de l’obligation de marier deux personnes de même sexe si cela va à l’encontre de leurs croyances religieuses. À cause d’un changement à la direction du parti politique au pouvoir, le gouvernement canadien revient à la charge en janvier 2004 en demandant en plus à la Cour suprême si l’exigence de réserver le mariage aux couples hétérosexuels pouvait être conforme à la Charte canadienne, et dans la négative, il l’invite à préciser à quel égard et dans quelle mesure.

Pendant ce temps, des couples de même sexe se marient en toute légalité en Ontario et en Colombie-Britannique. Au Québec, le mariage devient enfin accessible en mars 2004 aux couples de même sexe par le truchement d’un jugement de la Cour d’appel qui annule elle aussi, la définition traditionnelle du mariage dans le dossier Hendricks/LeBoeuf (61). Et le 9 décembre 2004, la Cour suprême publie son avis sur le projet de loi. Avis très laconique dans lequel il faut retenir entre autres que les juges de la Cour ont décrété que le mot « mariage » figurant dans la constitution canadienne, ne devait pas exclure le mariage entre personnes de même sexe. La voie était donc toute tracée pour le gouvernement Martin, le temps n’étant à la valse-hésitation. C’est ainsi que deux mois plus tard, le 1er février 2005, le ministre libéral de la Justice présenta enfin un projet de loi sur le mariage civil (62). Après plusieurs mois de débats, il reçoit une sanction royale le 20 juillet 2005 (63).

La communauté gaie et lesbienne canadienne respire enfin plus librement. Avec fierté, elle peut se vanter de vivre dans le quatrième pays au monde (64) où l’on célèbre des mariages de couples de même sexe. Mais l’élection d’un gouvernement minoritaire conservateur dirigé par un ancien membre d’un des parties les plus à droite de l’histoire du Canada, met abruptement fin aux réjouissances. Pendant la campagne électorale, Stephen Harper, le chef du Parti conservateur a promis à ses électeurs de revenir sur la question du mariage pour les couples de même sexe. C’est ainsi que, le 7 décembre 2006, il présente en Chambre la motion à l’effet : « Que cette Chambre demande au gouvernement de déposer une loi visant à rétablir la définition traditionnelle du mariage sans toucher les unions civiles et tout en respectant les mariages existants entre personnes de même sexe. » Cette motion est rejetée par 175 votes contre 123. Cette fois-ci, il semble bien que ce soit la bonne ! OUF !

Une chimère devenue réalité

Ce matin, je suis sortie pour faire mon jogging quotidien et dans le sentier qui longe le fleuve à Cap Rouge, subitement j’ai pensé à lui, Robert. J’ai pensé à son engouement pour le jogging, à sa hantise de courir le marathon de l’Île d’Orléans. À sa mort, on a dit de lui qu’il était loyal et franc, attachant, flamboyant et sensible (65). Pour moi, Robert s’est avéré généreux, intentionné, non jugeant et surtout accueillant pendant des années difficiles. Puis, la vie nous a séparés, j’ai entrepris une nouvelle conjugalité, et un mandat syndical m’a forcée à déménager temporairement à Montréal avec ma famille. Robert a poursuivi sa carrière à la faculté. Il est décédé quelques mois après mon retour à Québec.

Cher Robert, qui aurait pu croire, au moment de ta recherche sur l’homosexualité et le droit au début des années 1980, que les gais et les lesbiennes du Canada auraient un jour un statut en tout point égal aux hétérosexuels canadiens, que des couples de même sexe auraient accès au mariage civil, qu’on leur confierait des enfants à l’adoption ou que des lesbiennes recevraient l’insémination artificielle dans une officine médicale et non à la sauvette comme cela a longtemps été le cas. Mais, je sais par contre Robert, que tu n’as pas été surpris d’apprendre de l’au-delà, mon récent mariage avec mon amoureuse, toi qui a toujours affirmé haut et fort, que j’étais une marieuse inconditionnelle !

* (1984) 25 C.de D.777-800.
En souvenir de tous ces moments fabuleux passés ensemble à refaire le monde, à s’entraîner, à danser comme lors d’un certain bal de finissants. Mais surtout pour toutes ces fins de semaine où tu m’as recueillie alors que, divorçant, je concédais maison et enfants à leur père.

Références : Vous trouverez toutes les références dans le document word ci-dessous.

* Ann Robinson publiera un premier roman en mars prochain : information.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 26 janvier 2009



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Ann Robinson, professeure à la retraite

Ann Robinson est professeure (depuis peu à la retraite) à la Faculté de droit de l’Université Laval (Sainte-Foy, Québec). Ses champs d’intérêt sont la critique féministe du droit, l’égalité pour les lesbiennes et gais, la conjugalité et la parentalité pour les gais et lesbiennes.

Seule ou en collaboration, elle a mené des recherches subventionnées dans différents domaines, notamment, le droit de la famille, le harcèlement sexuel en milieu universitaire, la violence faite aux femmes en milieu de travail, les familles lesbiennes québécoises, la discrimination faite aux lesbiennes et le droit au mariage pour les gais et lesbiennes.

Ann Robinson a publié des articles dans des revues et des ouvrages collectifs. Voici quelques titres : en collaboration avec Madeleine Côté, « La notion de famille repensée : Portrait de quelques familles lesbiennes de la région de Québec », Tessera, Créations lesbiennes/Lesbian Creations, vol. 29, été 2001 ; « Mariage et parentalité pour les couples de même sexe », Tessera, Ethics and Law/Éthique et droit, vol. 28, printemps 2001, 46-56 ; « Homoparentalité et pluriparentalité I- D’une filiation juridique à une parentalité solidaire » (39 pages), dans Parentalité gaie et lesbienne : famille en marge ?, Actes de colloque, Association canadienne pour la santé mentale filiale de Montréal, p.73 à 86 ; « Violence masculine faite aux femmes, intentionnalité et droit criminel », dans Violence et intentionnalité, Actes du colloque tenu à Québec le 12 mai 1998 dans le cadre du 66e colloque de l’ACFAS, sous la direction de Michèle Clément et Dominique Damant, CRI VIFF, Collection Réflexion, n°9, mai 1999, p. 5-34 ;

Elle est aussi l’auteure de « Du sexisme à l’hétérosexisme et à la lesbophobie », dans D’autres violences à dire, Actes du colloque tenu à Trois-Rivières le 13 mai 1997 dans le cadre du 65e congrès de l’ACFAS, sous la direction de Michèle Clément, Sylvie Gravel et Dominique Damant, CRI VIFF, Collection Réflexions, n°8, décembre 1998, p. 87-110 ; « Lesbiennes, conjointes et mères : Les exclues du droit civil québécois », dans Droits à reconnaître : Les lesbiennes face à la discrimination, sous la direction de Irène Demczuk, Éditions du Remue ménage, Montréal, 1998, 48 p. ; « Le mouvement des femmes et le droit privé québécois », dans Science, conscience et action, sous la direction de Huguette Dagenais, Éditions du Remue ménage, Montréal, 1996, 36 p. Ses premiers textes littéraires, dont "Carnet de voyage", ont été publiés dans Tessera, Créations lesbiennes/Lesbian Creations, vol. 30, été 2001.



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