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mercredi 18 mars 2009

Effet Polytechnique chez les féministes d’État

par Nathalie Bissonnette, rédactrice en chef adjointe de la Gazette des femmes






Écrits d'Élaine Audet



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Vingt ans après Polytechnique, des féministes d’État se réunissent pour la première fois, pour en parler et analyser les effets de ce drame sur le mouvement féministe. La loi du silence, qui aurait vraisemblablement entouré les événements du 6 décembre 1989, a-t-elle eu raison de leur détermination ? Synthèse des propos échangés.

Québec, 25 février 2009. Les employées du Conseil du statut de la femme et du Secrétariat à la condition féminine assistent à une projection privée du film Polytechnique pour ensuite échanger sur la question. Démarrer la discussion est ardu. Une personne osera, puis deux, puis trois. Le silence qui pesait à la fin de la présentation du film a lentement fait place à l’expression des émotions. Puis à la discussion. Même vingt ans plus tard, il n’était pas trop tard pour dire ce qui n’avait pas été dit.

Les premiers élans d’expression ont porté sur les lieux et les actions qui avaient été, ce jour-là, le théâtre de ce drame dans la vie de chacune. Commencer par se souvenir. Et ensuite, toucher le noyau des émotions enfouies, occultées et que l’on croyait oubliées. Résilience aidant, la vie a bien des tours dans son sac pour aider à surmonter les obstacles et continuer sa route. Puis doucement, encouragées par le tact et la délicatesse de
l’animatrice et journaliste Ariane Émond, les langues se sont laissées délier.

Les émotions étaient palpables et nuancées. De la colère à la peine en passant par la culpabilité. Les opinions, également partagées, variaient selon l’âge des unes et le degré d’intensité du militantisme des autres. Les plus jeunes d’entre elles oseront parler de souffrance humaine. Les plus âgées resteront convaincues que le mot le plus juste pour décrire le motif de cette affreuse tragédie est antiféministe. Ce geste n’a pas été commis par un tireur fou. Démesuré et signe d’une détresse humaine, certes, mais antiféministe. Un fossé semble à première vue séparer les générations présentes. Fausse impression.

Elles sont des femmes et sur cette base, elles s’écoutent, comprennent et se respectent tout au long de l’échange. La peine des unes, la colère de certaines et le détachement de quelques autres trouvent tout de même le chemin d’une entente : maintenir le cap sur l’égalité entre les femmes et les hommes.

Les féministes de la première heure, celles qui ont initié des batailles menant à la reconnaissance des droits des femmes et scandé haut et fort leur libération, se sentent en partie responsables de cette tragédie. Seraient-elles allées trop loin ? Au point que des jeunes femmes – et non des féministes – aient dû payer de leur vie la mise à l’index de divergences houleuses et la dénonciation d’injustices à voix haute ? Elles y songent. Mais pas au point de se taire. Plus maintenant. Vingt ans de silence, c’est bien assez ! La mort violente et trop hâtive de ces jeunes femmes exige d’elles la poursuite de cette quête. Pour rendre hommage à celles qui envisageaient la perspective d’une carrière professionnelle stimulante sur un chemin encore peu fréquenté, celui des métiers non traditionnels.

Deux décennies pour arriver à conclure que l’auteur de cet horrible drame avait accompli sa mission : réussir à faire taire les féministes avec la peur comme muselière. Bien qu’un certain déclin du mouvement féministe avait pu être observé au milieu de cette décennie, disent certaines, il a trouvé, ce jour-là, son point de non-retour. Le mouvement féministe a accusé un recul important en plus de voir son image se ternir peu à peu. Ses membres
sont alors considérées comme des femmes qui n’aiment pas les hommes et qui souhaitent, en plus, leur voler tous leurs droits. Un discours qui deviendra fondement du masculinisme, ce mouvement à la rescousse des hommes soi-disant blessés par les féministes.

Et si l’on achevait la phrase de l’une des jeunes femmes qui s’est écroulée sous les balles du tueur ? « C’est pas vrai, on n’est pas des féministes, on s’est jamais... » … battues contre les hommes. On s’est battues pour prendre notre place ! Être l’égale de l’homme ! Être considérée comme une personne à part entière. Exercer le métier qui nous plaît ! Choisir d’aimer un homme et de donner la vie ! Mais pourquoi est-il nécessaire de préciser ? Cela n’a-t-il pas toujours été clair ? Il semble que non. « Il faut réhabiliter la féministe », avance une jeune femme. Faire savoir ce qu’elle est et ce qu’elle veut.

Existe-t-il un terreau fertile pour qu’une telle tragédie se produise à nouveau ? Personne ne le souhaite, cela va de soi. Mais certaines participantes estiment que les propos de certains animateurs de radio – celle que l’on qualifie de « radio poubelle » – constituent le germe potentiel de la haine et de la violence à l’endroit des femmes. Raison de plus pour demeurer vigilantes afin de dénoncer toute prise de parole, notamment sur la place publique, contenant des propos discriminatoires ou violents à l’égard des femmes.

Le film de Denis Villeneuve aura donc permis cela : la reprise de la parole dans une perspective curative. Et, souhaitons-le, pas seulement chez une poignée de féministes, mais aussi chez une majorité de Québécoises et de Québécois. Et comme le réalisateur le suggère en guise de conclusion, l’espoir ne réside-t-il pas dans cette volonté de continuer à vivre et à aimer, malgré les blessures et les difficultés, ainsi que l’évoquent les dernières paroles de son héroïne, Valérie, aux tout premiers instants de sa grossesse : « Si j’ai un fils, j’veux lui apprendre l’amour. Si j’ai une fille, j’veux lui apprendre que le monde lui appartient. »

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 mars 2009



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Nathalie Bissonnette, rédactrice en chef adjointe de la Gazette des femmes



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  • Effet Polytechnique chez les féministes d’État
    (1/3) 17 mars 2009 , par

  • Qu’attendons-nous pour aller trop loin ?
    (2/3) 17 mars 2009 , par

  • Effet Polytechnique chez les féministes d’État
    (3/3) 16 mars 2009 , par





  • Effet Polytechnique chez les féministes d’État
    17 mars 2009 , par   [retour au début des forums]

    Je partage entièrement le point de vue de Micheline Dumont. Nous ne sommes pas allées trop loin ! Se poser la question, douter de la légitimité de nos luttes, c’est tomber dans le panneau des masculinistes, qui souhaitent nous rendre coupables, honteuses, gênées d’être féministes. Et ils ont réussi car beaucoup de femmes, de jeunes femmes n’osent pas, n’osent plus se dire féministes.

    À titre d’ancienne féministe d’État, ayant travaillé au Conseil du statut de la femmes de 1977 à 1988, j’ai parcouru le Québec, j’ai rencontré des femmes de toutes les conditions, de tous les milieux. Toutes ces histoires de vie qu’elle m’ont racontées.......que je n’aurais jamais pu imaginer. Par exemple, une femme m’a confié avoir reçu une raclée de son mari pour avoir oser reprendre son nom de jeune fille. Une autre m’a dit : « Vous savez, je savais ce que je devais faire durant la nuit pour que le lendemain, il accepte d’acheter une bicyclette à la plus jeune. » Et aujourd’hui, des jeunes filles sont forcées de faire une fellation à leur chum.......Aujourd’hui comme hier, encore de très, très, très bonnes raisons pour continuer et de n’éprouver aucune culpabilité.

    Je pense que nous ne sommes pas allées assez loin. Beaucoup trop patientes, trop gentilles, trop compréhensives, trop fines, pas un mot plus haut que l’autre. Surtout, pas de colère ! Et puis il ne faut pas oublier les hommes qui ont été aussi des victimes de se massacre. Bien sûr qu’on ne les oublie pas. Ne sommes-nous pas les reines de la compassion, les spécialistes de la consolation, de les expertes de la tendresse !!!

    Louise Desmarais

    16 mars 2009

    Qu’attendons-nous pour aller trop loin ?
    17 mars 2009 , par   [retour au début des forums]

    Qu’attendons- nous pour aller trop loin ?

    En 1992, Francine Burnonville publiait Les femmes sont-elles allées trop loin ? Elle avoue toutefois que ce n’était pas son titre : il a été imposé par l’éditeur.

    Aller trop loin. Les mots fatidiques qui reviennent à la surface à chaque fois qu’il est question du féminisme. Les femmes ne doivent pas aller trop loin. À quel endroit se trouve ce « trop loin » ? À ma connaissance, personne ne l’a jamais précisé.

    Le dernier article de Sisyphe, dû à Nathalie Bissonnette, rédactrice en chef adjointe de la Gazette des femmes, aborde la réaction des soi-disant « féministes d’état » à la projection du film Polytechnique.

    L’animatrice a dû user de « tact et de délicatesse ». Les « féministes de la première heure (.) se sentent en partie responsable de cette tragédie ».

    J’ai 73 ans, j’ai toujours été féministe, longtemps sans le savoir. Je l’affirme ouvertement depuis 35 ans. Et le 6 décembre 1989, je ne me suis pas sentie coupable une miette. Par contre, j’étais profondément persuadée que l’antiféminisme latent de la société se trouvait à l’origine de la tragédie. Suis-je une féministe de la première heure ? Je n’en sais rien. Je suis une féministe devenue radicale, pour aller à la racine des problèmes. Je remercie Pol Pelletier d’avoir exprimé par l’art et l’émotion la radicalité qui m’anime.

    Je ne dirai jamais que les féministes sont allées trop loin parce qu’elles ne sont pas encore arrivées nulle part. C’est toujours elles qu’on vise. Dans cette marche vers la soi-disant égalité, ce sont presque toujours les femmes qui ont fait les changements égalitaires. À tel point que la majorité des femmes qui sont maintenant dans des « occupations » naguère masculines ont adopté le point de vue masculin sur le féminisme.

    Quand les femmes voulaient étudier, on disait qu’elles voulaient briser la famille. Quand elles voulaient voter, on disait qu’elles voulaient briser la société. Quand elles réclamaient « à travail égal, salaire égal », les économistes disaient qu’elles voulaient anéantir l’indispensable dépendance économique des femmes.

    « Se basant sur le principe qu’ils déclarent immuable que la femme doit dépendre économiquement l’homme, ils prétendent que l’égalité des salaires serait une véritable iniquité ». (Joan Scott, Gender and the Politics of History », citant un traité de théorie économique du XIXe siècle). Quand elles ont dénoncé la violence, le viol, le harcèlement, on a dit qu’elles exagéraient, qu’elles victimisaient les femmes. Qui osera dire qu’elles sont allées trop loin ?

    Depuis 25 ans, les sites masculinistes sont remplis de propos haineux et infâmants sur les féministes. Lorsqu’une féministe établit scientifiquement la fausseté des affirmations masculinistes, ils la traînent devant les tribunaux. Quand avez-vous entendu que les masculinistes sont allés trop loin ?

    Personne ne prend de gants blancs avec les féministes, mais il faut faire attention de ne pas blesser l’ego masculin. Ca va faire !

    Micheline Dumont

    Historienne

    16 mars 2009

    • Qu’attendons-nous pour aller trop loin ?
      19 mars 2009 , par
        [retour au début des forums]
      Une réaction prévisible

      Une réaction prévisible...

      Il fallait s’y attendre ou plutôt ne pas en espérer davantage de la part des organisations masculines .La sortie du film Polytechnique, à l’aube du vingtième anniversaire du massacre du 6 décembre 1989 aura donné lieu à tout un battage médiatique autour de la condition de vie pénible que les habitantes du féminista font subit aux Québécois. Comme si nous,toutes perfides créatures, n’avions eu assez de vingt ans pour comprendre que le fait d’avoir perdu le droit absolu et exclusif de la main haute est source d’une très grande frustration pour les messieurs les plus extrémistes.

      Pourtant hommes et femmes, à la lumière du drame qui nous préoccupe, semblent s’entendre sur les fait que la détresse masculine est bien réelle et ce que n’est certainement pas une faveur que Marc Lépine leur a fait en les sommant de quitter la classe.

      Sarto Blais était un de ceux là et nous connaissons aujourd’hui les conséquences funestes qu’ont eues cet octroi. Il s’est suicidé et ses parents aussi. J’en arrive alors à la conclusion que les masculinistes, en détournant l’attention de manière aussi maladroite qu’inappropriée, prétendent agir en son nom et au nom de la dignité masculine qui on le sait, n’a pas l’habitude de vives écorchures. Pourtant...

      Ce qu’ils ne préfèrent pas voir, c’est que le film qu’on nous propose n’est pas le procès de la violence masculine, mais bien le portrait d’un drame au sein duquel, des femmes ont été victimes de la haine pathologique d’un homme. Si les féministes peuvent faire mentir l’Histoire, il en va tout autrement pour les faits.

      Une évidence qui semble également leur échapper, c’est qu’il n’y a ni satisfaction ni gloire à être consacrée martyre par l’histoire. Pour ces 14 femmes qui sont tombées, des centaines d’autres ont étés confrontées à leur propre mise à mort symbolique et parmi les innombrables victimes indirectes, on compte des pères, des époux des frères et des amis. À travers le lot de tous ces gens qui ont du apprendre à refaire leur vie et même à pardonner,je sais qu’inévitablement je trouverai quelqu’un qui rêve du jour où le 8 mars deviendra une journée comme toutes les autres.

      Je n’en veux pas aux hommes de bonne volonté de revendiquer de meilleures conditions de vie nécessaires à leur mieux-être. J’en veux aux éléments plus radicaux qui, bien plus par égocentrisme et orgueil mal placé que par empathie pour les familles endeuillées, ne vivent que pour le jour où le 6 décembre 1989 et tout ce qu’il signifie, sombrera dans les abîmes du silence. À grands renforts de statistiques qu’ils font fluctuer à leur guise, ils détruisent une harmonie et un précaire équilibres qu’hommes et femmes sensés tentent de solidifier à chaque jour. Et ce, autant face aux écueils socioéconomiques qui menaçent leur société qu’à travers la commémoration d’un événement qui n’aurait jamais du être.

      [Répondre à ce message]

    Effet Polytechnique chez les féministes d’État
    16 mars 2009 , par   [retour au début des forums]

    Bonjour,

    Je suis de ces vieilles féministes, de celles qui ont initié et mené des batailles. Je trouve triste que certaines de vous nourrissiez de la culpabilité à l’égard d’un crime commis par un homme misogyne et se demandent si elles ne sont pas allées trop loin. Ce doute laisse croire que ceux qui nous tiennent ce discours depuis des décennies ont fini par en convaincre quelques-unes. Il me semble sain toutefois que vous exprimiez ce doute, faire semblant ne servirait à rien.

    Personnellement, je n’ai pas une telle culpabilité, j’éprouve encore de la colère et de la peine. Hélas, le film de Villeneuve - un bon film en soi - n’a pas eu un effet curatif pour moi. Il a plutôt ravivé peine et colère jusqu’à troubler mon sommeil pendant plusieurs jours. Le film qui pourra me guérir un peu est encore à venir, et ce film reconnaîtra explicitement que les femmes et les féministes ont vécu un traumatisme terrible parce qu’elles étaient directement visées. Ce film nommera la douleur des femmes et des féministes. Le refus d’une grande partie de la société québécoise de reconnaître les motivations misogynes du meurtrier représente une cause de souffrance pour plusieurs. Dénier aux féministes le droit d’exprimer leur peine et leur colère n’arrange pas les choses.

    Il est vrai que cet événement tragique a marqué un arrêt et même un recul dans le mouvement des femmes. Mais il n’en tient qu’à nous de refuser de nous taire, de refuser de nous laisser intimider par les fausses accusations. Nous devrions pouvoir nous affirmer et poursuivre nos luttes en dépit des gens qui nous accusent d’être "contre les hommes", ou ceci ou cela. De telles accusations étaient lancées contre des femmes bien avant les meurtres à Polytechnique, elles le sont depuis que les femmes revendiquent leurs droits - et bien avant notre siècle - depuis qu’elles ont entrepris de se soustraire à la tutelle patriarcale. Ceux qui les lancent savent que plusieurs femmes y sont sensibles et sont prêtes à se replier plutôt de passer pour des femmes anti-hommes.

    Ne nous sommes pas allées trop loin, nous ne sommes pas encore allées assez loin. Et si l’on soulève sans cesse cette question, c’est que certains voudraient bien que nous arrêtions notre marche pour l’égalité. C’est une forme d’intimidation pour nous faire sentir coupables et, apparemment, ça fonctionne. Or, c’est à eux de s’adapter au changement qu’impose la recherche d’égalité, ce n’est pas aux femmes de se sentir responsables de leur adaptation. (Vous souvenez-vous que, dans le film de Villeneuve, l’étudiante blessée est sur un brancard, elle va peut-être mourir, on ne le sait pas alors, et c’est elle qui essaie de rassurer le gars, de le déculpabiliser... C’est sans cesse ainsi dans la vie : les femmes se soucient beaucoup de rassurer les hommes, mais ces derniers ne leur rendent pas toujours la pareille.)

    En outre, il ne suffit pas de rechercher l’égalité avec les hommes, qui n’est même pas encore atteinte dans les faits, il faut transformer aussi nos rapports avec le monde, changer le monde. C’est utopique peut-être, mais l’égalité de droit pour les femmes était aussi considérée comme une utopie, il y a encore quelques décennies. Elle est maintenant inscrite dans nos chartes, en attendant qu’elle se traduise concrètement dans tous les domaines de la vie et que les femmes
    n’aient plus à se battre.

    Bon courage à toutes et ne doutez pas que votre travail soit utile. Il faut des féministes partout, au sein de l’appareil d’État peut-être plus qu’ailleurs.

    Micheline Carrier


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