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dimanche 9 août 2009 Iran – Toutes ces personnes dont la mémoire maintient en vie
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Cela fait exactement deux jours que je suis à l’extérieur de ces hauts murs qui s’enroulent en couches successives. Il y a deux jours, j’étais encore assise dans le long couloir de l’étage inférieur du 209 (section de la prison d’Evin), enveloppée dans le voile fourni par la prison et les yeux bandés, dans l’attente de quelqu’un qui me ferait franchir la porte et, après 12 jours, me dirait : "Enlevez le bandeau de vos yeux !" Et cela, c’était la liberté dont la face bleue était cachée pendant tous ces jours. Les jours durant lesquels je marchais dans ma cellule en pensant à la mer (1). Comme tous les enfants de la terre, la fillette n’a pas choisi sa mère. Tous ces jours, matin, midi et soir, je me disais : j’ai choisi mon travail, mais elle n’a pas choisi une mère activiste, avocate des droits des femmes qui court du matin au soir et, la nuit venue, s’endort devant son ordinateur. Elle n’a pas choisi d’avoir une mère qui se trouve pour une deuxième fois dans le secteur 209, un endroit où tu n’as pas choisi d’aller et que tu ne peux décider de quitter. Un lieu suspendu et ce sentiment paralysant d’impuissance totale. Être prisonnière de la section 209 est une histoire où la douleur ressentie prend une tout autre dimension si on est mère, une douleur difficile à expliquer et changeante en fonction des états d’âme. Une minute, je me demande si ce n’était pas justement pour Darya (2) que j’avais rejoint l’association de défense des droits des femmes. N’était-ce pas dans l’espoir d’un monde meilleur pour elle ? Que se passe-t-il aujourd’hui ? Ne savais-je pas dès le premier jour que je marchais sur les sentiers du Fort Sangbaran (3). L’instant d’après, quand les murs de la cellule individuelle commencent à peser sur moi, quand la lumière aveuglante de l’ampoule toujours allumée et la chaleur étouffante du mois de juillet de Téhéran, sans aucun moyen de se rafraîchir, me rappellent que je n’ai pas dormi depuis des jours, une colère sourde devant tant d’injustices remplit tout mon être et je me demande : Pourquoi ma fille devrait-elle être la cible de toutes ces injustices ? Mais ces remords de conscience maternels s’apaisent ponctuellement quand je me retrouve dans une cellule de groupe avec Parvaneh qui, après 15 ans de problèmes et d’agression, avec des dents et le nez cassés, a divorcé de son mari/cousin en étant forcée d’abandonner ses deux filles de 9 et de 13 ans chez un père qui a de l’argent, une maison et du travail, et de retourner vivre dans sa famille avec six autres personnes. Parvaneh a été arrêtée dans la rue sous le même chef d’accusation que moi : activités contre la sécurité du pays par l’incitation au trouble et la désobéissance à la police. Elle n’avait pas vu ses filles depuis des lunes, non en raison de son emprisonnement mais parce que leur père ayant leur garde les avait amenées dans une autre ville auprès de sa mère. Des jours durant, dans la chaleur étouffante à l’intérieur des cellules où, du climatiseur, on ne profitait que du bruit monotone et douloureux de l’air circulant dans les canalisations conduisant l’air frais dans les locaux des gardiens de prison, je songeais à Darya et à toutes les mères et les filles qui sont privées d’être ensemble. En même temps, la mémoire et la pensée d’autres personnes me maintenaient en vie. Comme disait Nima Youchij (4), celles, proches et accessibles, et d’autres, lointaines et hors de portée. Mes proches toutes proches, quelque part dans une cellule adjacente ou dans celles des couloirs de derrière, sont allongées à même la moquette ou sur des couvertures militaires et, sans papier ou plume, usent leurs ongles sur les murs pour garder le décompte de leurs jours de détention : Shiva Nazar-Ahari, ma cliente, pour qui le mutisme du Tribunal de la Révolution ne me permettait pas de faire grande chose, même quand j’étais libre et à l’extérieur. Jila Bani-Yagoub, la journaliste, pour qui boire de l’eau à même le robinet du lavabo est très nuisible à ses problèmes gastriques. Mahsa Amr-Abadi, que je ne connais pas, mais dont j’ai appris qu’elle était enceinte et qu’elle subissait les effets de l’absence de toute information, tant à propos de l’extérieur et que de notre propre situation, ce qui constitue la règle pour tous les aspects de la vie de la section 209. Et bien d’autres personnes que je connais ou dont j’ai lu les noms dans les journaux. La pensée de mes êtres chers qui sont loin de moi, mais qui partagent mes peines à l’extérieur de ces murs et connaissent des moments de détresse me tient en vie. Ma famille, qui endure toutes les peines et qui fait la navette entre Evin et le Tribunal de la Révolution ; mes avocats qui, contrairement à bien d’autres uniquement en quête de clients riches, ne ménagent pas leur peine et ne se découragent pas en entendant les réponses évasives des autorités ; mes ami-es en Iran et ailleurs dans le monde qui, par la diffusion de l’information, ont fait partager ma peine, la leur et celle de tous les prisonniers avec le reste du monde. Cette association, fondée sur l’union et la solidarité entre les personnes, dont la sollicitude et la générosité m’ont protégée telle une armure pendant les moments difficiles, une association responsable de ma libération. Il y a très exactement deux jours que les portes de la section 209 se sont refermées derrière moi, que j’ai rendu le bandeau sur mes yeux et le voile réglementaire de la prison d’Evin, un endroit où personne ne m’attendait. Mais beaucoup attendaient, soit un fils, soit une fille, soit un conjoint ou une personne qui devait être libérée. Un endroit où tout le monde te demande si tu n’as pas vu leur être cher. J’ai dû expliquer à plusieurs reprises le règlement pour les bandeaux, le silence et l’absence de toute information. Quand je descendais les escaliers, je le savais bien, je devais la vue de ces escaliers, l’ombre qui s’étendait sous le pont piétonnier d’en face d’Evin et le taxi qui me ramenait chez moi, à bien des personnes. Ceux et celles dont la pensée éclaire mon présent et mon futur. Ceux et celles qui ne m’avaient pas oubliée et qui empêchaient et qui empêchent la mémoire des autres prisonnières et prisonniers politiques de sombrer dans l’oubli et le néant. 1er Août 2009, une heure et demie de l’après-midi. Traduit pour Sisyphe par Kathy Shadpour Notes Mis en ligne sur Sisyphe, le 3 août 2009 |