Que le cardinal Marc Ouellet soit contre l’avortement, c’est son droit le plus absolu mais qu’il parte en croisade pour recriminaliser celui-ci et imposer les valeurs de son Église aux femmes devrait nous inquiéter au plus haut point. Que l’islamiste Tariq Ramadan préfère la charia au droit civil n’a rien de bien étonnant mais qu’il vienne à Montréal pour inviter les musulmans à ne pas respecter les lois du pays lorsqu’elles contredisent leur religion, cela devrait nous inquiéter au plus haut point.
On reconnaît l’intégrisme religieux à sa capacité d’instrumentaliser la religion pour se rapprocher du politique et imposer ses valeurs à l’ensemble de la société. Voulant que les lois divines aient préséance sur les lois des hommes. On le présente habituellement comme un courant politique radical, minoritaire et marginal se développant à la périphérie de toute religion. Comme si l’intégrisme religieux était l’excroissance malsaine d’une religion, un élément fortuit et déplorable. Une espèce de tumeur dont la religion pourrait se débarrasser.
Une telle vision des choses permet de croire que la religion est bonne et que seul l’intégrisme religieux est mauvais. Qu’il faut donc respecter les religions mais combattre de toutes nos forces l’intégrisme. Cette distinction est d’ailleurs reprise dans la posture laïque qui éloigne la religion du politique mais la tolère dans la sphère privée en espérant qu’elle y demeure bien occupée à soigner les âmes.
C’est bien mal connaître les religions que de penser qu’elles se contenteront de la prière et croire qu’elles sont aussi inoffensives que les moutons. Les religions ont toujours eu des visées théocratiques et totalitaires et elles ont toujours combattu la démocratie, l’universalisme des droits de l’homme, la liberté de conscience et l’égalité des sexes. C’est d’ailleurs en combattant les religions que ces valeurs ont pu devenir notre héritage le plus précieux.
Intégrisme et religion
L’intégrisme religieux n’est pas la banlieue d’une religion, il en est plutôt le centre-ville. Il prend sa source dans la Torah, la Bible et le Coran, ces écrits que les religions propagent sur la planète depuis des millénaires et dans lesquels on affirme l’inégalité entre le croyant et les infidèles que l’on exhorte à tuer, l’inégalité entre les hommes et les femmes que le récit de la Genèse condamne à l’esclavage et à la soumission dès le début du monde, de même que la condamnation des homosexuel-les.
Ces textes considérés comme sacrés sont les assises des pires discriminations et ils sont une atteinte directe aux droits les plus fondamentaux. Ils sont le cœur et le ferment de tout intégrisme, en plus de formater l’esprit des croyants à devenir une proie facile pour ces militants politiques.
Lorsqu’à ses conférences Tariq Ramadan fait prier toute une salle, il faut comprendre que c’est le même Coran que tout le monde récite. Et ce n’est certes pas Flaubert ou Bug’s Bunny qui ont inspiré la Conférence des évêques catholiques du Canada lorsqu’ils se sont opposés au mariage gai mais bien le Lévitique de la Bible. Ceux qui ont fait sauter les tours jumelles à New-York n’ont fait qu’agir selon les prescriptions du Coran et ceux qui, aux États-Unis, assassinent des médecins pratiquant l’avortement trouvent leur justification dans le « Tu ne tueras point ! » de la Bible. Pourrait-on imaginer un intégriste sans Bible ou sans Coran ? J’en doute fort.
Dans le fond, la question que l’on devrait se poser, c’est : « comment les croyants font-ils pour s’accommoder de ces textes si haineux et si misogynes et ne pas devenir eux-mêmes des intégristes ? » Ceci demeure, il faut l’avouer, un bien grand mystère…
La misogynie de toutes les religions
On aura beau les interpréter ou les remettre dans le contexte autant que l’on voudra, la Bible et le Coran justifient la domination patriarcale et défendent un point de vue qui n’est pas compatible avec l’égalité des sexes. Et quand l’Église devient l’État, la liberté disparaît. La liberté des femmes d’abord, qu’on renvoie à la maison en contrôlant leur corps et leur sexualité comme le souhaitent les conservateurs chrétiens. Chez les musulmans, en les voulant vierges et excisées pour ensuite les faire disparaître sous le niqab ou la burqa, soumises à la loi du père, puis du mari.
Quand l’Église devient l’État, la liberté sexuelle est niée. La chasteté et la virginité des femmes sont glorifiées. Et dans certains pays musulmans, les femmes adultères sont fouettées ou lapidées alors qu’on emprisonne et qu’on pend les homosexuels.
Quand l’Église devient l’État, la liberté de conscience disparaît, l’apostasie est interdite et la liberté d’expression est réprimée par l’interdit du blasphème. Ces pratiques perdurent encore dans l’islam et même en Irlande où l’on vient de restaurer une loi sur le blasphème.
Quand l’Église devient l’État, les guerres de religions deviennent l’expression familière du vivre-ensemble, la liberté d’expression est muselée et les fatwas des imams condamnent à mort des écrivains, des artistes et des intellectuels, la démocratie disparaît et les lois divines servent de fondement à la justice des hommes. Les intégristes religieux s’emparent du pouvoir, la population est prise en otage et les droits humains sont bafoués.
Voilà autant d’atteintes à la liberté chaque fois qu’une religion se rapproche du politique parce qu’elles détestent la vie et que la liberté les effraie.
La séparation de l’État et de la religion
Lorsqu’au XVII ième siècle, John Locke propose dans sa Lettre sur la tolérance de séparer le religieux du politique, c’est parce qu’il avait compris à quel point toute religion porte en elle le germe de l’intolérance et de l’intégrisme, et que la fusion de ces deux univers produit un mélange explosif.
En séparant le religieux du politique pour le confiner à la sphère privée, la laïcité demeure encore la meilleure stratégie pour contrer l’intégrisme et préserver la sécularisation de nos sociétés. Mais il faut aussi reconnaître que cette stratégie a une bien grande faiblesse en laissant intacte la religion et la propagation de ses textes qui alimentent et fécondent l’intégrisme et ne sont rien de moins que des bombes à retardement.
Par sa tolérance exemplaire, qu’aucune religion ne peut égaler, la laïcité nous a habitué-es à respecter toutes les religions en leur donnant la bénédiction sans confession. Avec pour conséquences que nous avons baissé la garde vis-à-vis celles-ci. Autant dire que la laïcité garde bien au chaud le loup dans la bergerie. C’est pourquoi nous devons nous attendre à ce qu’elle subisse sans cesse les assauts des religions. Bien sûr, avec des périodes d’accalmie mais aussi avec des périodes plus troubles comme celles que nous vivons depuis quelques temps.
Je suis fermement convaincue que nous devons continuer à mener le combat laïc mais il faut rompre avec une vision statique de la laïcité qui pourrait nous laisser croire que nous en aurons bientôt fini avec le religieux dans l’espace public. Qu’une Charte, oh combien nécessaire, suffira pour que l’on puisse enfin dormir tranquille. Rien n’est moins sûr. Il y aura toujours des tensions entre le politique et le religieux. Et j’ai bien peur qu’il faille plusieurs autres colloques comme celui-ci. On les fera, c’est tout.
Il faut également rompre avec une vision de la laïcité qui laisse croire qu’il suffit de combattre l’intégrisme pour que nos droits soient protégés. Cela est nécessaire, et c’est même la première chose à faire, mais cela ne suffira pas.
Il faudrait aussi s’atteler à une tâche éducative et mieux faire connaître ces textes fondateurs qui conditionnent la vie de milliers d’individus, les faire connaître à nos jeunes surtout qui n’ont pas vécu l’emprise sociale du religieux, pas plus que les grandes batailles féministes, pour qu’ils comprennent ce qu’ils recèlent de dangereux et combien ils servent tous les intégrismes. Qu’ils abordent ces textes non pas à travers des incantations, des rites et leur folklore, comme dans l’actuel cours d’éthique et de culture religieuse, mais avec un solide esprit critique afin qu’ils soient moins vulnérables au discours tout en sucre des supers croyants, moins vulnérables aux demandes d’accommodement.
Il faut également dans notre esprit, séculariser, désacraliser ces livres qui ne sont pas tombés du ciel et les considérer pour ce qu’ils sont, soit un pan de notre littérature antique en même temps qu’une prodigieuse machine idéologique à dénigrer le sexe et à opprimer les femmes.
Il faut contrer l’intégrisme, le disqualifier de nos institutions publiques, notamment par l’adoption d’une Charte mais aussi réapprendre à se méfier de toutes les religions. Parce que les religions ne disparaîtront pas demain, ni après demain, pour la simple et bonne raison qu’elles nous disent que nous ne mourrons pas et que c’est bien évidemment ce que chacun de nous veut entendre. Et qu’il existe un autre monde avec des vierges pour ces messieurs, où l’alcool coule à flots. De la Budweiser au paradis ! Voilà une recette qui fait des miracles. N’y manque que les chars ! Tout le reste n’est que politique.
L’urgence de défendre la laïcité
Au début du XXième siècle, 50% des habitants de la planète étaient catholiques, protestants, musulmans ou hindous. Au début du XXIième siècle, ce pourcentage atteint 64% et il pourrait approcher les 70% d’ici 15 ans. Ces chiffres sont effarants et montrent que l’histoire ne va pas en ligne droite avec le progrès devant et l’obscurantisme derrière.
Au Québec, comme dans toutes les autres démocraties, la laïcité, la liberté et l’égalité sont aujourd’hui menacées par cette montée de la ferveur religieuse, une ferveur réactionnaire et antiféministe qui se raidit et se radicalise au point où si nous ne réagissons pas maintenant, Dieu pourrait bien gagner la partie.
Rien que cela devrait nous convaincre de l’urgente nécessité à défendre la laïcité. En 2008, le Québec a franchi un pas de plus en complétant la déconfessionnalisation de son système scolaire. Nous devons maintenant aller de l’avant et poursuivre ce travail. D’où la nécessité de se donner une Charte de la laïcité que l’on attend toujours Monsieur Charest, de celle aussi d’interdire le port de du niqab ou de la burqa non pas seulement dans nos institutions et services publics comme le propose l’actuel projet de loi 94, mais de l’interdire partout au Québec.
Comme le disait la très regrettée Hélène Pedneault, il nous faut retrouver notre capacité de s’indigner, celle aussi de se solidariser et d’unir à nouveau toutes les féministes du Québec, femmes et hommes épris de liberté, pour s’opposer massivement à la croisade des islamistes, tout comme à celle d’un monseigneur Ouellet, qui défendent les mêmes valeurs rétrogrades et qui trouve des échos jusqu’au Parlement.
Parce qu’il faut envoyer un message clair à tous ces intégristes qui s’attaquent aux femmes et menacent nos droits. Et même si cette gentille laïcité flatte et chouchoute le loup dans la bergerie, il ne faut surtout pas s’endormir, ne serait-ce que pour voir venir la bête… Tout cela prendra le temps qu’il faudra, mille ans s’il le faut ! Mais soyez assuré-es, que nous allons gagner !
Mis en ligne sur Sisyphe, le 5 juin 2010