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samedi 19 février 2011 Une nation et son crucifix
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Avec la décision du maire de Saguenay, Jean Tremblay, d’en appeler du jugement du Tribunal des droits de la personne lui ordonnant de mettre fin à la récitation de la prière lors des assemblées publiques du conseil municipal ainsi que de devoir retirer tout symbole religieux de la salle du conseil, un bras de fer vient de s’engager entre lui et le Mouvement laïque québécois (MLQ). Mais plus importante encore est sa décision de lancer une campagne de souscription à l’échelle du Québec pour financer cet appel, espérant ainsi y impliquer l’ensemble des Québécois et relancer le débat des accommodements raisonnables non pas sur le terrain de la laïcité, mais plutôt sur celui de l’identité, un thème que le MLQ a toujours craint comme la peste. Si depuis ce jugement, les canons du MLQ étaient pointés en direction du Parlement, le château fort du crucifix, il leur faudra maintenant attendre avant d’allumer la mèche parce que, pour l’instant, c’est tout le Québec qui risque de s’enflammer. Pour devinez quoi ? Le crucifix du Parlement ! Comment expliquer qu’il soit si difficile de retirer ce symbole religieux de l’enceinte du Parlement ? Et pourquoi diable ce crucifix de Duplessis qui était tombé dans l’oubli revient-il nous hanter ? Comment expliquer que l’on se soit découvert un attachement soudain pour un symbole qui, il n’y a pas si longtemps, encore croupissait dans la boule à mites et laissait tout le monde indifférent ? La laïcité ouverte selon Bouchard-Taylor Il faut se rappeler que le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale, de même que l’abandon par les conseils municipaux de la récitation de la prière aux assemblées publiques et l’autorisation du kirpan et autres signes religieux pour la plupart des agents de l’État figuraient parmi les recommandations des commissaires au chapitre de la laïcité. Retirer le crucifix de nos institutions et y permettre le voile, la kippa, la croix, le turban et le kirpan, c’est la laïcité ouverte selon Bouchard-Taylor. Une laïcité multiculturelle qui renferme tous les ingrédients pour transformer celle-ci en une question identitaire explosive. Avoir à sortir de chez soi et y laisser entrer les autres. Être chassés de Rome alors que c’est nous, les Romains ! « Quand dans notre province, nous sommes incapables de faire une prière, je ne vois pas pourquoi on accepterait le kirpan. » Ce commentaire glané sur le Web traduit fort justement un sentiment que partagent bien des Québécois depuis la commission Bouchard-Taylor. C’est un cri du coeur qui, dans une grande simplicité, exprime le refus de cette laïcité ouverte et l’attachement d’un peuple à sa mémoire et à son identité. Pour l’étouffer, on a qualifié ce sentiment de crispation identitaire, de doute de soi et de peur de l’Autre, de racisme et de xénophobie. La litanie d’injures que les journaux anglophones ne manquent pas de rappeler chaque fois qu’il est question de religion au Québec. Il n’en fallait pas plus pour que notre crucifix prenne du galon, et de religieux quasi insignifiant qu’il était, il se transforme soudainement en symbole national. C’est d’ailleurs le message que nos député-es ont envoyé à tout le Québec le jour même du dépôt du rapport Bouchard-Taylor, en s’empressant de voter dans la plus grande unanimité pour le maintien du crucifix au Salon bleu de l’Assemblée nationale. Au diable la laïcité ouverte, après tout, nous sommes les Romains ! C’est vous dire comme les Jean Tremblay étaient nombreux dans cette salle. Emblème politique Depuis Bouchard-Taylor, ce crucifix qui trône au-dessus du siège du président de l’Assemblée a pris de l’enflure pour devenir l’emblème politique d’une nation qui a toujours refusé le multiculturalisme « canadian », refusant d’être ravalée au rang d’une quelconque minorité. Bien davantage qu’un symbole religieux, sa sémantique s’inscrit dans le prolongement de Meech, de 1982 et du rapatriement unilatéral de la Constitution en ce qu’elle exprime le refus manifeste d’être considérée comme une minorité culturelle à l’intérieur du Canada et un groupe ethnoculturel majoritaire dans sa province, tel qu’il est écrit dans le rapport Bouchard-Taylor. Parce que nulle part dans ce rapport, les Québécois ne sont reconnus comme une nation. C’est ce refus du mépris de soi par tous les Bouchard-Taylor de ce monde qui se cristallise dans ce maudit crucifix auquel aucun parti politique n’ose toucher, à part bien évidemment Québec solidaire, qui défend une laïcité multiculturelle B-T, conforté par l’appui du grand défenseur des accommodements religieux, notre bien-aimé Julius Grey. Jean Tremblay : une création de Bouchard-Taylor On se trompe en pensant que le problème, c’est le maire de Saguenay, sa personnalité, son entêtement, ses lubies, sa cravate, etc. Le maire de Saguenay, pas si fou qu’on le pense, ne fait que « surfer » sur une vague de fond qui agite le Québec depuis plusieurs années. Un vaste mécontentement dû à des jugements imposés par une Cour suprême qui carbure au multiculturalisme et que le rapport Bouchard-Taylor a renforcé par sa défense de la laïcité ouverte. Le véritable problème n’est pas Jean Tremblay, mais bien notre dépendance à l’égard de ces jugements de la Cour suprême, tout comme notre grande naïveté à réclamer l’application du rapport Bouchard-Taylor, un rapport qui met tout en oeuvre pour imposer le multireligieux et reconfessionnaliser notre espace civique, convertissant nos institutions en véritables passoires pour les religions. Que faire de ce crucifix ostentatoire ? Il faut l’enlever et ne rien mettre d’autre à la place. Pour être cohérent avec les principes laïques qui supposent la séparation du politique et du religieux et la neutralité de l’État. Refuser la laïcité ouverte et compléter la laïcisation que nous avons commencée en interdisant tous les signes religieux. En clair, cela veut dire pas de croix, pas de kirpan, pas de turban, pas de kippa et pas de voile dans nos institutions publiques. Défendre une laïcité universaliste, authentique et exigeante, qui accorde à tous les mêmes droits et n’accorde à aucun un quelconque privilège. Aurons-nous ce courage une fois au moins dans notre vie ? Bien davantage que notre patrimoine et notre passé, ce crucifix par sa charge politique est devenu notre présent le plus sensible. Ne le laissons pas devenir le symbole d’un refuge, celui d’une nation qui tarde à se mettre au monde... Publié dans Le Devoir, 19 février 2011. Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 février 2011. |