Toujours prêt à refaire surface, le débat sur la prostitution est venu récemment à la une de l’actualité à l’occasion du projet d’installer un « eros center » à Liège. Nous ne soutenons pas ce projet. Nous considérons l’achat de « services sexuels » comme l’expression d’une domination sexuelle et économique. Selon nous, la prostitution ne doit donc pas être promue voire encouragée par les pouvoirs publics, et ne peut pas être considérée comme « un métier comme un autre ». Il ne s’agit certainement pas de pénaliser les prostituées elles-mêmes. Mais la banalisation, et même la légalisation, des activités proxénètes – c’est-à-dire celles qui tirent bénéfice de la prostitution d’autrui – nous semble inadmissible. À partir de ces principes de base,
nous ferons dans les dernières pages de ce texte des propositions détaillées d’action. Mais auparavant, quelques réflexions et remises en contexte.
Un projet en voie de réalisation
Le projet liégeois avance à grands pas. Non loin de la gare des Guillemins, la Ville compte en effet y consacrer un terrain dont elle est propriétaire ; le centre sera géré par une asbl, ISATIS, créée à cet effet, et dans le conseil d’administration de laquelle siégeront différentes personnalités du monde universitaire, médical et associatif, ainsi que des représentants des partis politiques locaux. « On a souhaité qu’un représentant de chaque parti y soit présent », déclare à La Libre Belgique Michèle Villain, présidente d’ISATIS. Ces représentants politiques siègent cependant à titre privé, « évitant ainsi à la Ville d’être accusée de proxénétisme ». Il n’empêche que c’est la Ville qui est à l’initiative du projet, et qu’elle sera bien présente dans son fonctionnement.
Il faut rappeler qu’en 2009, la Ville avait fermé d’autorité l’ensemble des salons de prostitution du « Quartier Nord Cathédrale ». Les prostituées ainsi chassées avaient migré vers d’autres communes voisines. Si elles sont en séjour légal et si elles prennent le statut d’indépendantes, elles pourront réintégrer le Centre ISATIS. Pour ne pas tomber à son tour sous le coup de la loi et encourir l’accusation de proxénétisme, cette association ne devrait en principe effectuer aucun bénéfice… bien que la procureure du Roi de Liège, Danièle Reynders, ait déjà donné sa bénédiction au projet qui permettrait selon elle « de sortir ces filles de l’exclusion ».
Le fait qu’une ville s’y implique autant met en évidence un des éléments essentiels du débat : celui de l’encadrement et donc du contrôle de la prostitution, de tout temps souhaité par les pouvoirs publics qui tentent ainsi lutter contre les nuisances qu’elle peut entraîner quand elle s’exerce dans la rue, et contre la délinquance qui l’accompagne parfois. L’ouverture d’une
antenne de police est d’ailleurs prévue à proximité du futur centre. Dans le même esprit, la « villa Tinto », quartier réservé à Anvers, ouvert en 2005 et géré quant à lui par le secteur privé marchand, regroupe l’activité prostitutionnelle la plus « officielle » de la ville sous l’oeil attentif de la police qui a été jusqu’à ouvrir un bureau dans ses murs. Dans ces conditions, il va de soi que seules les ressortissantes de l’Union européenne en ordre de séjour sont autorisées à y louer une chambre.
L’encadrement de la prostitution est souvent justifié aussi par des aspects sécuritaires, hygiéniques et sanitaires que toute autorité publique veut (doit) promouvoir. Cette préoccupation de santé publique a toujours accompagné les tentatives de canaliser et de contrôler la prostitution. Ce qui est relativement nouveau aujourd’hui, c’est qu’on ne se préoccupe plus seulement de la santé et de la sécurité des clients, mais aussi de celles des prostituées elles-mêmes. Dans les siècles précédents en effet, outre les aspects sécuritaires, il s’agissait surtout de protéger les clients des maladies sexuellement transmissibles.
Face à un projet comme celui de Liège, introduisant tant de normalité et de sécurité dans l’activité prostitutionnelle, on peut d’ailleurs se demander si certains clients, qui n’auraient pas osé s’aventurer dans les quartiers « chauds », ne se sentiront pas beaucoup plus à l’aise en étant ainsi protégés voire légitimés par les pouvoirs publics. (...)
La prostitution est-elle un métier comme un autre ? Quel (non-)avenir pour cette activité considérée par certains comme une forme de sexualité parmi d’autres et par d’autres comme un rapport de domination ? Où en est le débat aujourd’hui en Belgique ? Quelles sont les pistes d’actions envisageables ? La règlementation suédoise, un modèle transposable chez nous ?