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mercredi 13 avril 2011 Bertrand Cantat au TNM : mépris et manque de jugement
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Il y a une différence entre la réhabilitation de Cantat et le fait de reprendre là où il en était comme si rien ne s’était passé. Personne, je crois, ne remet en question son droit d’exercer librement son art, mais il en est autrement quand il considère naturel de s’exhiber en public avec un manque total de compassion envers toutes les personnes que ce meurtre d’une rare violence (20 fractures dans le visage) a affectées profondément. Il me semble qu’il devrait s’estimer à jamais reconnaissant d’être vivant. Il n’a purgé que la moitié de sa peine, quatre ans de prison pour avoir pris la vie d’une femme, alors qu’au Canada, on est condamné à perpétuité pour homicide involontaire. Quatre ans, est-ce là une peine suffisante pour un crime aussi brutal et irréversible ? Si la justice franco-lithuanienne a considéré que la dette de Cantat envers la société était payée, ne devrait-il pas, lui, reconnaître que ce qu’il a fait est absolument irréparable et qu’il doit assumer les conséquences de ses actes en se faisant discret et en tentant d’extirper les racines de la violence qu’il porte en lui. Il y a d’autres avenues dans son métier que la scène, il pourrait faire comme le pianiste Glenn Gould qui a choisi le travail en studio et l’écriture plutôt que le concert. La réhabilitation d’un meurtrier ne peut se faire, me semble-t-il, que par un profond cheminement intime et non servir de tremplin pour récupérer au plus vite son statut public de vedette, banalisant ainsi la gravité du crime qu’il a commis. Des ex-compagnes de Cantat dont la mère de ses enfants, Kristina Rady, ont déjà confié à des proches que le chanteur de Noir Désir les avaient battues (1). Qui prouve qu’il ne récidivera pas, comme notre Jean-Guy Tremblay et la plupart des batteurs de femmes ? Certains hommes sont incapables de vivre s’ils n’exercent pas un contrôle absolu sur leur compagne, que l’on appelle cela jalousie ou passion. Personne ne veut empêcher Bertrand Cantat de vivre, mais de là à lui proposer un rôle de conclusion dans des pièces sur la violence envers les femmes, il y a un abîme que Lorraine Pintal a franchi allègrement, au nom de son admiration aveugle pour le génie de Mouawad. Qui aura le dernier mot sur scène, les femmes révoltées de Sophocle ou la musique tonitruante de celui qui a montré qu’il sait faire taire à jamais toute réplique ? Un tel manque de jugement de la part de la direction du Théâtre du Nouveau-Monde est consternant et insultant pour toutes celles et ceux qui réprouvent la violence sexiste et tentent d’y mettre fin. Pendant ce temps, "le génie" Wajdi, responsable de cette décision, se tait et laisse Lorraine Pintal encaisser les coups. À nous de signifier ce que nous en pensons. Notes À titre d’information Au moment où le Théâtre du Nouveau Monde (Montréal) annonce la participation de Bertrand Cantat à titre de musicien dans des pièces de Sophocle - oui, de Sophocle - qu’adaptera Wadji Mouawad, peut-être est-il utile de rappeler les faits (voir cet article publié à la mort de Marie Trintignant, en août 2003, et les liens en référence à la fin).
– Sophie Durocher, L’indésirable, Canoë, 9 mai 2011
C’est toi, mon irremplaçable soeur, qui dois nous dire, s’il est juste de séparer morale et justice, en faisant prévaloir cette dernière. Ne penserais-tu pas plutôt que justice et morale sont indissociables ?
Ton père s’est tu ; non pas parce qu’il n’avait rien à dire, mais parce que dans cet espace en équilibre entre justice et morale, où il n’y avait pas de réponse mais des choix, rien ne pouvait être plus audible sinon le silence qui garde et sauvegarde les vérités et évite de rajouter la violence à la violence que ton père engendra lui-même sans le vouloir.
– Réaction de Manon Monastesse, directrice provinciale de la Fédération des ressources d’hébergement pour les femmes violentées et en difficulté, RDI, 15 avril 2011. Selon Wajdi Mouawad, ceux qui décident que le symbole est plus important que la justice et qui font en sorte que Bertrand Cantat ne monte pas sur scène sacrifient un peu l’idée de la justice.
"Le chemin que j’ai fait moi-même, je pensais que tout le monde allait le faire."
Avec les radios poubelles de droite, Tout le monde en parle a repris le beau sujet de discussion (Cantat, le tueur de femmes, sur une scène montréalaise chantant et se faisant applaudir dans le Cycle des femmes de Sophocle) sans le principal intéressé, soit Mouawad.
« Je pense qu’on est très pressé dans la vie et il faut comprendre que peut-être que cet homme-là [W. Mouawad] est très, très, très blessé présentement », a-t-elle expliqué, ajoutant lui avoir parlé la semaine dernière.
Marie-Thérèse Fortin croit en la « sincérité » de Wajdi Mouawad, mais affirme également avoir hâte d’entendre le metteur en scène expliquer sa démarche. Elle affirme pencher plus pour le camp du « oui », lorsqu’il est question de la présence de Bertrand Cantat sur une scène.
Un débat qui aura mis en lumière un véritable schisme entre journalistes « officiels » et observateurs-citoyens. Chez les « officiels », en effet, on regardait parfois l’affaire de haut. On a même perçu un certain mépris de la part de quelques chroniqueurs qui parlaient de « madamisation des débats »... Parmi eux, des gens qui se désolent souvent haut et fort qu’il n’y ait pas de débat, justement, au Québec.
Malheureusement, depuis que sa bombe a éclaté, Wajdi se tait, se terre et se cache. Confortablement planqué dans son silence, à l’abri du carnage qu’il a provoqué, il a regardé ses amis du TNM s’enfoncer toute la semaine dans la vase de la controverse sans leur prêter assistance. Il nous a vus, nous, ses éternels spectateurs, nous entre-déchirer sur la place publique et nous diviser en factions ennemies et hystériques au milieu du noir délire qu’il a créé. Il n’a rien fait.
– Serge – Conférence de presse de Lorraine Pintal annonçant que Bertrand Cantat ne viendra ni à Montréal ni à Ottawa, RDI, 8 avril 2011.. Wajdi Mouawad traverse donc le miroir et cette transgression le dépossède de son élan créateur. Si l’écriture est pour lui une catharsis, il ne peut pas se transformer dans sa création en travailleur social ou thérapeute de ses amis. Le théâtre n’est pas un centre de réinsertion sociale pour les criminels, sauf en tant que spectateurs.
Le thème du spectacle, en regroupant Les Trachiniennes, Antigone et Électre, paroles de femmes enflammées, rendait votre présence insolente et fut perçu comme un affront. Qui aurait été voir ce Cycle, amis ou ennemis, autrement que pour lorgner votre tronche dans le choeur, faisant oublier Sophocle à tous ?
Les mêmes qui reprennent le discours judéo-chrétien du pardon et de la compassion, qu’ils accommodent à toutes les circonstances, accusent les autres de moralisme.[,,,] Cantat surgirait au milieu de ces tragédies pour accompagner les chœurs de femmes avec sa musique… Peut-on mieux banaliser la violence faite aux femmes ?
– Dutrizac, Nadine Trintignant, mère de Marie : Elle se prononce sur l’affaire Cantat", 98,5, 8 avril 2011 Cette façon de réagir nous rapproche des mouvements rigoristes que l’on trouve dans une certaine droite religieuse américaine. Il participe de cette opinion de plus en plus répandue selon laquelle la justice des juges ne suffit plus. Il faudrait y ajouter la double peine, celle de la vindicte populaire. Bref, le goudron et les plumes.
Mais ce qui me gêne, c’est qu’on me demande, moi, membre du public, de leur pardonner leurs fautes parce que ce sont de grands artistes. Désolée : la force de leur œuvre, aussi grandiose soit-elle, n’excusera JAMAIS la bassesse de leurs actions.
L’acteur Jean-Louis Trintignant a décidé d’annuler sa participation au prochain Festival d’Avignon en raison de la programmation d’un spectacle avec Bertrand Cantat, condamné pour avoir porté des coups mortels à sa fille Marie, a-t-on appris auprès de son agent.
Mais ce qui est demandé au public, et imposé aux abonnés du TNM, c’est d’applaudir le Cantat qui sera sur scène, de surcroît dans un spectacle qui met en scène la force destructrice des hommes. C’est à juste titre source de malaise collectif. Car le sentiment au Québec, c’est de condamner avec force la violence faite aux femmes. Cela nous distingue, et il faut s’en féliciter, de bien d’autres sociétés.
De tous les crimes que puisse commettre un homme, aucun n’est plus réprouvé que le meurtre d’une conjointe - sur un pied d’égalité, peut-être, avec l’agression de mineurs. Pour stigmatiser ces hommes violents ou violeurs et protéger les victimes, l’État dépense chaque année des dizaines de millions de dollars. La marque est donc profonde. Comptable ou plombier, le coupable sera en général exclu à vie du cercle des humains. Bertrand Cantat ne pourra pas entrer au Canada si les conservateurs sont réélus, une prise de position qui est appuyée par le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe et Denis Coderre du Parti libéral du Canada . C’est aussi la position de Gérard Deltell de l’Action démocratique du Québec. Au Parti québécois, on adopte un point de vue différent. « M. Cantat a subi un procès, il a purgé une sentence dans un État de droit. On ne lui refera pas un procès ici ». Même position d’Amir Khadir de Québec Solidaire qui estime que c’est du « lynchage ». Quant à Jean-Marc Fournier du Parti libéral du Québec il a renvoyé l’affaire aux « autorités compétentes », c’est-à-dire le gouvernement fédéral.
La violence faite aux femmes a longtemps été mise de côté dans notre système judiciaire. Ce n’est que depuis les années 1980 qu’un mari peut se retrouver devant la justice pour le viol de son épouse. Pour elle on ne peut parler de réhabilitation, « on ne peut ramener un gars comme ça (sur scène). De l’engager c’est pas une bonne idée, c’est dérangeant... À moins qu’il fasse un spectacle pour justement sensibiliser les gens au problème de la violence », observe Mme Pelchat, présidente du Conseil du statut de la femme du Québec.
Antigone : « Si je dois célébrer quelqu’un, ce sera bien ma soeur morte, et non son assassin. Cette Cité est maudite si personne ne célèbre la mémoire des femmes tuées par des hommes. Or, qui porte leur deuil, qui ressent dans son corps la douleur des blessures dont elles sont mortes ? »
Et quand on est un personnage public, nos faits et gestes sont scrutés à la loupe, servent d’exemple et notre responsabilité sociale en est d’autant plus grande. Mais il y a un ravin entre boire de l’absinthe pour écrire des poèmes et boire de la vodka pour battre sa femme à mort.
D’ailleurs, si on se fie strictement aux informations affichées sur le site Web de Citoyenneté et Immigration Canada, il semble peu probable qu’une recommandation positive soit acheminée au ministre ; en effet, on indique qu’un délai de cinq à dix ans depuis la fin de la peine doit s’être écoulé pour qu’un condamné soit admissible à une « réadaptation présumée » et qu’autrement, un permis de séjour ne peut être délivré que pour « des raisons d’intérêt national ou de solides motifs humanitaires ».
– Anne-Marie Dussault, Entrevues avec Christiane Pelchat, Mélissa Blais et Michel Dunn, 24 heures en 60 minutes, RDI, 6 avril 2011.
– Maisonneuve en direct, Entrevue avec Lorraine Pintal, Alène Gaudreault, Manon Monastesse, Radio-Canada première chaîne, 5 avril 2011. Mis en ligne sur Sisyphe, 6 avril 2011 |