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mercredi 20 avril 2011 Réponse à Wajdi Mouawad - Lettre à Marie Trintignant
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Marie, ma sœur bien-aimée, c’est de toi dont il s’agit dans ce débat suscité par la présence sur scène de ton amant meurtrier dans trois pièces de Sophocle nommées Cycle des femmes. Trois tragédies consacrées à la loi criminelle et implacable des hommes. Tragédie d’Électre, qui arme le bras de son frère Oreste pour tuer leur mère. Peu importe pour ces "enfants du père" que Clytemnestre ait voulu se venger parce qu’Agamemnon a immolé Iphigénie, sa fille cadette, afin que les dieux accordent bons vents à ses voiliers de guerre ! Tragédie d’Antigone, qui refuse d’obéir à la loi arbitraire du roi Créon et de trahir son frère. Tragédie des Trachiniennes dans laquelle l’infidélité du héros Héraclès pousse au suicide son épouse Déjanire. C’est la justice faite par et pour les hommes que Sophocle, à travers les siècles, expose à notre jugement. C’est de toi, l’à-jamais disparue, dont il est question dans les cris et les sanglots d’aujourd’hui, non des larmes des quatre enfants que tu as mis au monde, non de la douleur infinie de celle et celui qui t’ont donné la vie, ni surtout de la peine présumée de celui qui te l’a enlevée en te frappant encore et encore pour effacer à jamais ta beauté, ton innocence et cette joie incandescente qui lui faisaient injure. C’est toi, mon irremplaçable soeur, qui dois nous dire, s’il est juste de séparer morale et justice, en faisant prévaloir cette dernière. Ne penserais-tu pas plutôt que justice et morale sont indissociables ? On a l’impression que c’est lui, l’assassin, qui est la victime. On parle de crime passionnel, comme si tu étais aussi coupable que lui de ta mort. Personne n’est là pour faire entendre ta voix, pour combler ton absence si cruelle. En libérant ton meurtrier, la justice a confié au sens moral de celui-ci le soin de s’effacer devant l’incommensurable douleur qu’il a créée. De ne pas faire ombrage par son œuvre et sa vie à ceux et celles qui veulent perpétuer ta mémoire autrement que par la musique et les mots de celui qui t’a enlevé non seulement la vie, mais tous les rêves que tu ne pourras jamais réaliser. Ne serait-ce te tuer une seconde fois, que de prétendre qu’il suffit de quelques années pour que celui qui, vingt fois t’a frappée et jetée dans un irréversible coma, ait droit de parole sans que ne nous assourdisse et nous aveugle le souvenir aigu de l’extrême violence qui t’a été faite par un jaloux furieux qui ne pouvait supporter de te voir et te savoir libre ? Lire aussi : Mis en ligne dans Sisyphe, le 13 avril 2011 – Wajdi Mouawad, "Aimée, ma petite chérie", Le Devoir, 16 avril 2011.
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