En ces temps de croisade
antiféministe, nous plaidons
coupables devant nos
inquisiteurs. Oui, coupables
d’avoir contribué aux
avancées des femmes et de la société
québécoise en général.
Nous, féministes,
avouons avoir rêvé d’une vie meilleure
où femmes et hommes partageraient
des valeurs égalitaires. Pis encore, nous
y avons travaillé avec acharnement et
passion. À la barre des témoins, des
milliers de femmes : intervenantes dans
les maisons d’hébergement, enseignantes,
chercheuses, syndicalistes, artistes, ingénieures,
militantes, politiciennes, mères
de famille. Autant de fourmis travaillantes
et patientes qui ont contribué à faire
du Québec une des sociétés les plus progressistes
au monde et pour qui démocratie
rime avec égalité, tant dans la vie
privée que dans la vie publique.
Oui, nous avons déposé une requête
devant la société québécoise pour réclamer
l’égalité des sexes. Chemin faisant,
nous avons parfois bousculé les hommes,
mais sans jamais cesser d’aimer ces pères,
ces frères, ces amis, ces fils, ces collègues
et ces amoureux, que nous côtoyons au
quotidien. C’est un système, que nous
avons remis en cause, et non pas le sexe
masculin. Oui, nous les avons sommés
de céder un peu de leurs privilèges, de
nous admettre dans le cercle sacré du
pouvoir, de tendre l’oreille et de changer
le cours des choses avec nous. En retour,
nous leur avons offert des compagnes
responsables, autonomes, capables d’assumer
avec eux la charge d’une famille,
les délestant ainsi du poids du rôle de
l’unique pourvoyeur. Et aussi des amoureuses
épanouies avec qui entamer une
relation riche et nourrissante, basée sur le
dialogue et le respect mutuel.
Oui, nous sommes coupables d’avoir
cherché à briser le carcan des stéréotypes.
Et de vouloir encore et toujours une
société diversifiée où les jeunes puissent
choisir un métier, une vie, en fonction
de leurs aspirations, et non de leur sexe.
Coupables aussi d’avoir incité les pères à
se rapprocher de leurs enfants et, par la
même occasion, d’avoir obtenu un congé
parental dont pourront bénéficier autant
ces derniers que les mères.
Nous avons commis le crime de participer
davantage à la vie citoyenne et au
marché du travail. Des preuves de notre
culpabilité ? L’augmentation fulgurante
du nombre de femmes sur le marché du
travail, ces trois dernières décennies, leur
entrée massive à l’université ; la première
femme astronaute, chauffeuse d’autobus,
rectrice d’une université. Oui, nous avons
franchi le parvis de la nef du pouvoir,
pour devenir députées et ministres, juges
et procureures. Devrions-nous être condamnées
au bûcher comme les sorcières
sous l’Inquisition ? Les fées avaient soif
et elles ont bu. Soif de justice et de
liberté. Et dans cette quête, nous sommes
persuadées plus que jamais que nous
pouvons tous, hommes et femmes, nous
abreuver à la même source. Nous nourrir
du même désir d’un monde meilleur.
Les féministes ont fait un vibrant
plaidoyer pour que la violence
ne soit plus une affaire privée,
mais un crime reconnu publiquement.
Nous nous sommes
faites les avocates de relations
sous le sceau de la tolérance
et du respect. En cela, le mouvement
des femmes a contribué
à ériger une société qui prône des
valeurs pacifistes et dénonce la violence
sous toutes ses formes.
Oui, nous avons résisté, protesté contre
l’ordre établi. Même des hommes ont
rejoint la résistance. Ils ont vu tout le
possible, toute la richesse d’une société
plus juste. Des hommes qui ont pu retirer
la chape du héros infaillible qui leur
pesait lourd sur les épaules. Des égaux
avec qui nous partageons notre vie. Des
partenaires sans qui nos propres avancées
auraient été encore plus difficiles, voire
impossibles, à réaliser. Aussi le Conseil
du statut de la femme a-t-il décidé de
rendre hommage à ces compagnons de
route au moment de fêter ses 30 ans, au
mois de mai (voir page 36). Je souhaite
que ce soit l’occasion de célébrer ensemble
les fruits du féminisme, cette révolution
pacifique pour laquelle le sang n’a
jamais eu à couler.
Alors, oui, nous sommes coupables et
fières de l’être ! La sentence ? Une condamnation
à vivre les unes avec les uns. À
continuer de bâtir, ensemble, une société
où femmes, hommes et enfants aient
la même valeur, les mêmes droits, les
mêmes chances.
Article paru dans La Gazette des femmes, mars-avril 2003, p. 5, Conseil du statut de la femme, Gouvernement du Québec.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 28 mars 2003
– Je remercie La Gazette des femmes d’avoir autorisé la présentation de ces documents sur Sisyphe. On peut les télécharger en format PDF ci-dessous.
– "Coupables... et fières de l’être", par Diane Lavallée, présidente du Conseil du statut de la femme
– Dossier "Procès du féminisme", par Ariane Émond, journaliste, La Gazette des femmes, mars-avril 2003, p.19 à 31.
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