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dimanche 18 septembre 2011

Le 11 septembre 2001, témoignages - "Pourquoi je hais El Qaida" (K.B.) - "Vous n’avez plus aucun droit" (Adama, étudiante)






Écrits d'Élaine Audet



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Professeure de Droit à l’Université Américaine de NY, l’auteure est aussi militante féministe et une juriste engagée contre l’intégrisme. Elle a développé une vaste connaissance de l’idéologie intégriste grâce aux travaux qu’elle a menés auprès de nombreuses ONG et à son engagement personnel. Sa double culture américano-algérienne lui permet d’aiguiser son analyse.

Pour commencer, il y a 2 975 raisons, de 90 pays différents. Une inoubliable composition d’humanité qui a disparu un mardi matin il y a dix ans. Mais ce n’est que le début.

Je hais El Qaida pour tous les êtres humains qu’il a tués – africains, américains, arabes, asiatiques, européens, agnostiques, athées, chrétiens, juifs, hindous, musulmans.

Je hais El Qaida parce qu’il a assassiné des milliers de musulmans, lors même qu’il prétend les représenter, y compris en bombardant des mosquées pendant le ramadan. Parce qu’il réduit un riche héritage à une série d’absurdes interdits. Il retourne les formules les plus sacrées, comme Allah Akbar – Dieu est grand – en menaces, en épithètes.

Je hais El Qaida pour le Califat de fin du monde qu’il veut instaurer. Je hais El Qaida parce ces dix dernières années il a encouragé la brutalité de ceux qui, à droite, construisent des chambres d’ “interrogatoire poussé” pour y célébrer des noyades simulées. Car maintenant presque tout le monde accepte qu’on torture un peu.

Mais je hais aussi El Qaida parce qu’il a inspiré, à gauche, les plus grandes stupidités. Proclamer qu’Ousama ben Laden n’était en fin de compte qu’une ‘victime désarmée’ dont il n’était pas prouvé qu’il ait fait quoi que ce soit de mal. Qu’Anouar El Awlaki n’était qu’un ‘religieux musulman’. Que les gens dans les tours le 11 septembre étaient ‘de petits Eichmanns’ qui ont mérité leur sort. Inanité.

Je hais El Qaida parce qu’il hait les femmes, les gays, les juifs, les chrétiens, les musulmans qui ne sont pas comme lui, c’est-à-dire la plupart des musulmans. Car il ne fait que haïr. Et il me fait haïr aussi.

Je hais El Qaida parce qu’il veut un crash des civilisations. Et on le lui accorde en brûlant des Corans, en marchant contre les mosquées, en Iraq.

Je hais El Qaida parce qu’il soutient les pires mouvements musulmans – El Shabab ( ‘la jeunesse’), les taliban ( les ‘étudiants’), Boko Haram ( ‘l’éducation occidentale est un péché’) – ces mêmes mouvements qu’il nous faut combattre pour la vraie jeunesse, les vrais étudiants, pour avoir une éducation digne de ce nom, pour avoir un avenir. Parce qu’on doit perdre son temps à parler d’eux alors qu’on devrait parler de la construction de cet avenir pour les jeunes générations qui arrivent dans une déliquescence économique et environnementale.

Je hais El Qaida parce que c’est le Printemps Démocratique qui devrait nous montrer le chemin en avant, et que le djihadisme devrait appartenir au passé.

Je hais El Qaida pour le jeune fiancé algérien saigné à mort dans les bras de sa mère à Cherchell après qu’un attentat suicide ait mis fin à son jeûne au mois d’août ; pour Mustapha Akkad et sa fille Rima ; pour Danny Pearl, Amenia Rasool, et le Père Mychal Judge, qui tous ont cessé d’exister parce qu’El Qaida existe.

Je hais El Qaida pour les bombes à Baghdad, à Alger, à Amman, à Dar Es Salam, dans toutes les villes où il a fait exploser comme New York. Parce qu’une myriade de théoriciens et théoriciennes de la conspiration l’absout de ses crimes, même quand il déclare les avoir commis.

Je hais El Qaida par ce qu’il n’y a aucune excuse à ce qu’il fait, et pourtant il y a des gens pour lui en trouver.

Je hais El Qaida parce que nous ne sommes pas assez nombreux à déclarer publiquement que nous le haïssons, mais ceux d’entre nous qui le font, avec les risques que cela comporte, sont cantonnés à l’invisibilité. Car un musulman qui jette une bombe fera les gros titres, mais un militant pacifiste d’ascendance musulmane n’aura virtuellement aucun écho.

Je hais El Qaida parce qu’il rend plus difficile à un homme comme mon père de monter dans un avion. Parce qu’il confirme chacun des points de vue racistes sur les musulmans. Et parce qu’il a provoqué de la part de l’administration Bush des réponses qui confirment chaque cliché anti-américain.

Et je hais El Qaida parce qu’un jour de septembre à couper le souffle, il a changé le monde en une explosion de cruauté.

Dix ans après, je suis prête à cesser de haïr El Qaida. Je suis prête à stopper El Qaida.

K.B.

Après 9/11 : “Vous n’avez plus aucun droit » - extrait

Témoignage posté le 11 septembre 2001
par Adama Bah, 23 ans, étudiante

Ma mère est venue avec moi aux États-Unis, en 1990, j’allais avoir 2 ans. Nous venions originairement de Koubia, Guinée, en Afrique de l’ouest. Mon père était déjà ici, vivant à Brooklyn. Ensuite sont venus mon frère, qui a 19 ans maintenant, et ma sœur, qui en a 17, et deux frères de plus qui ont 13 et 5 ans. J’ai 23 ans. Nous vivions dans un appartement à Manhattan.

J’ai été à l’école publique jusqu’à ma septième année scolaire. Alors mon père a voulu que je sois au courant de la religion, et il m’a envoyée en pension à l’école islamique de Buffalo, New York. Ce qui est bizarre maintenant quand on regarde en arrière, c’est que mes parents ne sont pas vraiment religieux, nous n’allions pas à la mosquée. Mais mon père avait entendu parler de cette école par quelqu’un qui la recommandait.

J’avais 13 ans, lors de l’attaque du 11 septembre 2001. Mon professeur a déclaré qu’il était possible qu’un musulman l’ait fait et qu’il pourrait y avoir de la haine contre les musulmans. J’ai ressenti l’effet de cet événement quand je suis revenue à New York pour le congé du Ramadan. Nous étions 6 copines de classe qui devions prendre l’avion pour rentrer. À cette époque, nous nous couvrions le visage. Je n’arrivais pas à croire les regards. Tout le monde était angoissé, montré du doigt. Nous avons eu un examen de dépistage extra, on a contrôlé nos bagages et on nous a poussées sur le côté. Je n’avais jamais subi de racisme personnellement jusque-là.

Mes parents ne savaient pas que je portais le niqab jusqu’à ce que j’arrive à la maison. Ma mère a ouvert la porte, m’a vue et a dit à mon père : « Tu dois lui dire d’enlever cela. »

Je suis revenue à l’école publique de New York pour ma neuvième année. J’ai quitté l’école islamique parce que je ne l’aimais pas. Je me souviens avoir dit à mon père : « On me contrôle trop, là. » J’ai porté le niqab pendant quelques mois. Je n’avais aucun problème humainement parlant, mais après un certain temps, je me suis dit : « Ceci n’est pas une mosquée. » Donc, au milieu de ma 9e, je l’ai enlevé.

Le matin du 24 mars 2005, ma famille et moi dormions à la maison. Quelqu’un a frappé à la porte, et des hommes s’y engouffrèrent. Certains avaient des vestons du FBI et d’autres étaient du département de la police et du DHS (Department of Homeland Security). Ma maman ne parle pas beaucoup l’anglais et ils criaient après elle : « Nous allons vous déporter avec toute votre famille ! » Je me disais : « De quoi parlent-ils ? » Je savais que mon père avait un problème de papiers, mais je ne pensais pas que c’était le cas pour ma maman.

Ensuite, j’ai vu mon père avec des menottes. C’était la chose la plus angoissante qu’on pouvait voir. Je n’avais jamais vu mon père aussi impuissant.

Une des femmes m’a mis des menottes. J’ai été prise de panique, je bégayais, « Qu’est-ce que j’ai fait ? Où allons-nous ? » J’ai 16 ans et des menottes.

Ils m’ont emmenée avec mon père et ils nous ont mis dans une Escalade (Cadillac). Je n’ai pas reconnu le bâtiment où on nous a amenés. Ils m’ont placée dans ma propre cellule. J’étais nerveuse, en panique et je pleurais. J’essayais d’imaginer ce qui se passait.

On m’a sortie de ma cellule pour m’interroger. Personne ne m’a dit qui ils étaient. Il y avait uniquement un homme et moi. Il m’a posé toutes ces questions sur mon statut de citoyenneté. Ensuite, après un moment, il a dit : « Vous savez que vous n’êtes pas ici légalement, n’est-ce pas ? » C’était comme si un des plus grands secrets au monde venait de m’être révélé. L’attitude du type ne changea pas quand il a réalisé que je ne savais pas ce qui se passait. Il était désagréable. 

Finalement, ils ont appelé mon père. Ils nous ont donné un document expliquant comment nous pouvions voir une autorité consulaire. Mon père sait lire l’anglais mais il me dit en Pular : « Dis-leur que tu me traduis dans ma langue. » Ensuite il a dit : « Quoique tu fasses, ne dis pas que tu peux retourner dans ton pays. Ils vont t’exciser là-bas. » Pour se marier en Guinée, une femme doit être excisée. Les frères de mon père feraient en sorte que je sois exicisée.

Puis, le type a dit à mon père : « Vous pouvez partir. » À moi, ils ont dit : « Nous devons prendre vos empreintes digitales ». Quand cela a été fini, ils ont pris une photo de moi. J’étais assise sur un banc à l’entrée principale quand cette jeune femme est entrée. Son nom était Tashnuba. Je l’avais déjà vue à la mosquée, mais je ne la connaissais pas. Je me suis mise à paniquer en pensant : « Mais qu’est-ce qu’elle fait ici ? »

J’ai finalement été emmenée dans une autre pièce. Les questions que ces agents fédéraux me posaient étaient des questions de terrorisme. Mon père avait signé un papier consentant à ce qu’ils me parlent parce que j’étais mineure. Nous ne savions pas qui nous étions censés avoir des avocats. Le FBI ne nous l’avait pas dit.

L’interrogateur masculin m’a dit que le groupe d’études religieuses dont faisait partie Tashnuba avait été mis sur pied par un type que recherchait le FBI. Je n’avais aucune idée si c’était vrai ou pas. Je ne faisais pas partie de ce groupe mais je savais qu’il était destiné à des femmes s’instruisant sur la religion. Il n’y avait rien sur le jihad ou quelque chose de semblable. Ils m’ont dit qu’ils avaient pris mon ordinateur et mon journal. Mais il n’y avait rien de suspect là-dedans, je n’étais donc pas inquiète.

Puis, ils m’interrogèrent sur Tashnuba. Je leur dis : « Je ne la connais pas ».

Ils ont dit : « Tashnuba vous a inscrit sur cette liste. Elle vous y a placée pour un suicide à la bombe ». J’ai dit : « Pourquoi ferait-elle cela ? ». Alors, ils m’ont dit que Tashnuba et moi allions partir. Ils nous mirent à toutes deux des menottes. Les menottes ont laissé des marques. Nous sommes retournées dans l’Escalade. Je suis très traumatisées quand je vois des Escalades aujourd’hui. Quand nous sommes arrivées à notre destination, ils nous ont placées chacune dans notre propre cellule. Tashnuba et moi, nous nous sommes regardées. Elle m’a dit : « M’as-tu mis sur une liste ? » J’ai dis « Non ! Ils m’ont dit que vous m’aviez mise sur une liste ». Nous avons réalisé toutes les deux qu’ils avaient essayé de monter un coup nous impliquant l’une contre l’autre.

Ils n’avaient pas arrêté ses parents, seulement elle. Plus tard, j’ai découvert pourquoi ils avaient pris mon père. Après avoir été signalée comme une personne disposée à commettre un suicide à la bombe (kamikaze), le FBI s’est mis à enquêter sur toute ma famille. C’est comme cela qu’ils ont découvert que mon père était ici sans papiers.

La FBI nous transporta en Pennsylvanie au-delà des frontières de l’État sans l’autorisation de mes parents. Nous sommes arrivés au centre de détention pour jeunes tard dans la nuit. La gardienne nous dit, à Tashnuba et à moi, que nous devipns être fouillée nues. J’étais en larmes. Ma propre mère ne me regarde pas nue. J’ai dit : « Que vous me fassiez cela doit être contraire à certaines lois. » La gardienne a répondu : « Non. Vous n’avez plus aucun droit ».

Elle a dit : « Levez vos seins ». J’ai levé mes seins. Elle a dit : « Ouvrez vos jambes ». J’ai ouvert les jambes. Elle a dit : « Mettez vos mains là dedans pour voir qu’il n’y a rien. J’ai dit : Il n’y a rien là ! Elle a dit : « Faites-le simplement ». Je l’ai fait.

Elle m’a donné un uniforme bleu et m’a dit de prendre une douche en cinq minutes et puis elle m’a laissée. Je me suis assise dans un coin de la douche en me tenant et j’ai pleuré. Je pensais : je ne peux pas croire ce qui vient de m’arriver. Quand je suis arrivée dans ma cellule, j’ai pu voir Tashnuba en train de prier dans un coin. Il y avait une couverture et on gelait. Nous sommes restées debout la nuit entière à parler de tout. Je ne sais pas comment nous nous sommes endormies, mais je me souviens qu’à un moment nous étions toutes les deux en train de pleurer. 

Personne ne m’a dit ce qui se passait. Je n’ai pas été présentée à un juge avant probablement quatre semaines, et ce fut par vidéo conférence. Un article est paru dans le New York Times sur les raisons pour lesquelles Tashnuba et moi étions là, que nous étions suspectées d’être prêtes au suicide à la bombe. Je n’ai jamais vu l’article en étant en prison. Après cela, nous avons subi d’autres fouilles nues, à peu près trois fois par jour, et les recherches devenaient plus strictes. Ils nous disaient d’écarter les fesses et ils faisaient des commentaires racistes. Si je répliquais, ils me mettraient en incarcération solitaire.

Pendant ces trois premières semaines, ma famille n’avait pas idée où j’étais. Ils ont dû faire des recherche pour le découvrir, et engager une avocate. L’avocate, Natasha, est venue me voir. Elle a dit : « Il y a des rumeurs à votre sujet que vous êtes prête au suicide à la bombe. » J’ai dit : « Etes vous sérieuse ? Si vous me connaissiez, vous vous mettriez à rire et diriez, merde non. » Elle a dit : « Ils ne vous inculpent de rien sauf d’avoir excédé la durée de votre visa ».

Ma mère est venue me visiter. Cela a été la plus moche visite de tout parce qu’elle ne voulait rien dire. Quand je lui ai demandé des nouvelles de mon père, elle a simplement dit : « Il va bien. » Elle savait qu’il était détenu au New Jersey.

Après un certain temps, mon avocate a téléphoné. Elle a dit qu’elle avait de bonnes nouvelles. « J’ai un moyen pour vous sortir de prison. Vous allez avoir un bracelet à la cheville. » J’ai dit : « Je porterai n’importe quoi ».

Le jour où j’étais censée être libérée du centre de détention, j’ai dit au revoir à Tashnuba. Je voulais lui faire savoir que ça irait ben, mais je n’ai pas pu l’étreindre sinon elle aurait été mise en incarcération solitaire. J’ai donc dit : « Puisse Allah être avec vous et soyez patiente. » Je ne lui ai plus parlé depuis. Dès qu’elle a été libérée, elle est retournée au BanglaDesh.

J’étais restée là six semaines et demie. Au moment où je suis sortie, j’avais 17 ans. Je pensais que tout reviendrait à la normale, mais au fond je savais que les choses ne seraient plus jamais normales.

J’ai porté le bracelet à la cheville pendant trois ans. On peut encore en voir les marques. Mon talon me fait toujours souffrir. Je devais aussi être sous couvre-feu, ce qui était 22h et ensuite 23h. Je n’ai jamais été inculpée d’autre chose que d’avoir dépassé mon visa. Je n’ai jamais été inculpée de quoi que ce soit en relation avec le terrorisme.

Mon père a été déporté vers 2006. Je ne l’ai pas vu pendant une longue période, après ma libération du centre juvénile. Il était à New Jersey. On ne m’a pas autorisée à y aller car c’était en dehors de la distance que je pouvais parcourir avec mon bracelet à la cheville. Ils ont fait une exception pour me laisser voyager en New Jersey juste avant sa déportation. J’ai pleuré tout le temps.

J’ai dû laisser tomber l’école pour travailler comme soutien de ma famille. J’occupais trois à quatre emplois, ce que je trouvais. Pendant des jours, il n’y avait pas à manger à la maison. Nous avons finalement rencontré un travailleur social qui nous a dit que nous pouvions obtenir une assistance publique. Personne ne vous parle de ces choses. Je ne voulais pas que mon frère et ma sœur travaillent. Je ne voulais pas qu’ils ratent ce que j’avais raté. J’ai l’impression que pour moi, maintenant, il est trop tard.

NDLR - En 2007, on a accordé à Adama l’asile politique pour le motif qu’elle serait contrainte à l’excision si elle était déportée en Guinée. Au tribunal, sa mère a témoigné de son expérience d’excision extrêmement pénible. Adama a porté le bracelet à la cheville jusqu’à ce qu’elle obtienne l’asile. 

Source : The Guardian, le 2 septembre 2011. Traduction : liste Femmes en noir à laquelle nous vous suggérons fortement de vous abonner.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 13 septembre 2011



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