|
lundi 6 février 2012 L’excision, une « affaire de femmes » ?
|
DANS LA MEME RUBRIQUE Ouganda - Esther Madadu, sage-femme et candidate au Prix Nobel de la Paix 2015 Les lycéennes de Chibok sont nos sœurs L’enlèvement de jeunes filles à Chibok, Nigeria - Déclaration de FEMNET Islamistes au Mali - Les Talibans de Tombouctou Au Mali, des femmes résistent aux islamistes en leur lançant des pierres Du viol en RDC à nos téléphones portables - La violence faite aux femmes, instrument de l’économie mondialisée Côte d’Ivoire - Attaquées par l’armée de Gbagbo, des femmes résistent et appellent à l’aide Viols en série dans la République démocratique du Congo Le Nigéria, royaume de la traite des enfants La guerre faite aux femmes au Congo Mères immigrantes africaines - S’opposer aux coutumes discriminatoires "V-Day" lance une campagne de sensibilisation pour mettre fin aux violences sexuelles contre les femmes au Congo Fémicide au Congo Hommage à Aimé Césaire, le maître des trois chemins Le chanteur mandingue Victor Démé sort son premier album et rend hommage aux femmes burkinabées Campagne des femmes congolaises contre les violences sexuelles en République démocratique du Congo Journal de voyage au Sénégal La stratégie du désespoir : quand les femmes repassent les seins de leurs filles La scolarisation des enfants massais : bilan de 2006 Sans les femmes, un autre monde n’est pas possible L’éducation des filles en Afrique Les Africaines dans le piège de la pauvreté et des maladies Comment un village africain dirigé par les femmes exclut la violence Hommage à une figure emblématique de la lutte contre le sida au Burundi L’acquittement de Zuma en Afrique du Sud La guerre contre les femmes rallumée au Maroc Femmes d’Afrique, un jour viendra Ellen Johnson Sirleaf, première présidente du Liberia et première femme chef d’État en Afrique Témoignage d’une adolescente qu’on veut forcer à se marier Tresses africaines, sciences et traditions : mon arrière-grand-mère était mathématicienne En huit ans, des dizaines de milliers de Congolaises violées et torturées par des militaires et des proches Code de la famille en Algérie : des femmes en colère Les fillettes massai ont besoin d’aide contre l’excision et le mariage forcé Rétrospective 2004 : le Code de la famille, entre charia et droits de l’homme Tanmia, portail de la communauté du développement au Maroc Le gavage, une pratique traditionnelle néfaste à la santé des fillettes et des femmes La réforme du Code civil au Maroc : progrès pour les femmes Ingénieuses femmes d’Afrique Des femmes au coeur de la création littéraire africaine L’essor des femmes d’Afrique subsaharienne Femmes africaines Horizon 2015 Comment aider les Africaines ? |
On parle beaucoup de l’excision, cette ablation partielle ou totale du clitoris, que subissent 300 millions de fillettes dans le monde, en grande partie dans des pays africains. On dit aussi souvent que c’est une « affaire de femmes », puisque celles-ci sont à la fois les victimes puis les organisatrices de cette pratique, et aussi les principales activistes pour son abolition. Exciser est effectivement un « métier » exercé par des femmes, et les recherches (1) montrent également à quel point l’opinion des mères excisées influence la décision d’exciser leurs filles. Parce que l’excision est « une affaire de femmes », il ne s’agirait pas de l’une des marques de la domination masculine ? Rappelons ce que Bourdieu nous expliquait de la domination masculine : « On ne peut penser cette forme particulière de domination qu’à condition de dépasser l’alternative de la contrainte (par des force) et du consentement (à des raisons), de la coercition mécanique et de la soumission volontaire, libre, délibérée voir calculée. » (2) Consentir à reproduire une domination, ce n’est pas être libre, encore moins être libérée de cette domination. À cet égard, l’apport de la recherche est crucial pour comprendre la complexité des rapports de genre, au-delà des idées reçues. Ainsi, le chercheur Bernard Dembele (3) confirme qu’au Burkina Faso les filles de mères excisées ont davantage de risques d’être excisées que les autres. Il nous apprend également que les pères tendent à sous-estimer leur rôle dans la décision d’excision, au profit de leurs épouses. Et pourtant : selon B. Dembele, les couples composés d’un homme favorable à l’excision et d’une femme opposée ont plus de chances d’exciser leur fille que lorsque c’est la femme qui est pour l’excision. L’excision est donc peut-être une affaire de femmes, mais dans un contexte de pouvoir de décision inégal au sein des couples, où c’est l’opinion du mari prévaut sur celle de l’épouse. La chercheuse Séverine Carillon (4) aboutit aux mêmes résultats dans sa recherche à Djibouti et interroge directement la posture effacée des hommes dans ce domaine. « Si donc les femmes détiennent le pouvoir de décider de l’excision de leurs propres filles, c’est parce que les hommes n’interviennent pas. La non implication ou l’implication partielle des hommes est donc volontaire et recherchée. » La chercheuse met en lumière la violence symbolique à l’œuvre dans l’excision. Les femmes, en reproduisant sur leurs filles la violence physique qu’elles ont-elles-mêmes subies, signifient par là qu’elles acceptent de participer d’elles-mêmes à leur propre mutilation et ainsi à leur soumission aux hommes. « Par conséquent, en excisant les fillettes, les femmes donnent implicitement la possibilité aux hommes de contrôler sexualité et fécondité des femmes. L’invisibilité des hommes apparait alors très lourde de sens » (S. Carillon) La domination masculine, intériorisée par les femmes, s’exprime avec la reproduction d’un acte symbolique de générations en générations, dans le silence coupable des hommes, conscients pourtant de leur capacité à faire cesser cette pratique. De la recherche à l’action Que penser de ces résultats de recherche ? Que seul un travail plus profond sur les normes de genre et la symbolique masculin/féminin peuvent susciter le changement. Que les lois seules ne suffisent pas. Et enfin, qu’un discours occidental sur l’excision comme violence ne peut être entendu par des femmes qui, presque nées excisées, portent en elles ce stigmate d’infériorité qu’il est très difficile de dépasser pour le combattre. Les seules femmes excisées que j’ai entendu dénoncer l’excision expliquent qu’elles ont découvert la violence dont elles ont été victimes lors de discussions avec des femmes non excisées. La première violence, celle de la perte du clitoris et donc d’une part immense du plaisir féminin, est celle qui les a fait prendre conscience et les a menées à l’activisme. Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas de même dans les campagnes nationales de sensibilisation sur l’excision ? Tout simplement parce que peu de gens osent parler de sexualité. L’excision n’est abordée que comme un problème de santé, sans mettre les mots sur les choses. Commençons par oser parler sexualité et rapports de genre. Notes 1. Citons par exemple : Education des femmes et pratique de l’excision dans 2 pays ouest africain (le Burkina Faso et le Mali), Olga TOUGMA, Binta DIEME, communication à la conférence Africaine sur la Population, Ouagadougou, décembre 2011. Les auteures montrent que dans les deux pays d’étude, l’excision de la mère est fortement corrélée avec la probabilité pour une fille d’être excisée et constitue même la variable la plus déterminante. Quelques liens : . La Fédération GAMS pour l’intégrité de toutes les femmes Visitez l’excellent blogue Un certain genre. Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 février 2012 |