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dimanche 15 avril 2012 Ciblez la demande de prostitution
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Avec sa décision dans la cause Canada v. Bedford, la Cour d’appel de l’Ontario a invalidé les lois interdisant les maisons de débauche, limité la loi qui interdit de vivre des fruits de la prostitution, mais confirmé la loi sur le racolage qui interdit la prostitution de rue. Si cette décision est confirmée en dernière analyse par la Cour suprême du Canada, ses implications pour les femmes illustrent clairement ce pourquoi le Parlement doit adopter des lois sur la prostitution qui soient fondées sur les droits à l’égalité. J’ai co-représenté une coalition de sept organisations représentant des femmes autochtones, francophones, anglophones de partout au pays, qui sont intervenues devant la Cour d’appel de l’Ontario. Elles ont soutenu que la prostitution est une pratique d’inégalité sur la base du sexe, de la race et de la classe sociale, et que les obligations nationales et internationales du Canada exigeaient la dépénalisation de personnes en prostitution et la pénalisation continue des acheteurs de sexe masculin et des gens qui tirent profit de la prostitution, indépendamment du lieu physique dans lequel ils opèrent. Au plan de sa politique intérieure, le Canada s’est engagé à assurer l’égalité réelle des femmes dans les articles 15 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés. Au plan international, le Canada a ratifié le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, ainsi que la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. Ces documents engagent le Canada à protéger les femmes – et notamment les femmes autochtones – contre la discrimination, la pauvreté et la violence, ainsi qu’à supprimer le trafic sexuel des femmes et des filles. Les lois qui ciblent la demande de prostitution peuvent constituer un outil important à ces fins. L’argument de la Cour d’appel qui trouve trop générale la loi interdisant les maisons de débauche diffère étrangement de son propre énoncé selon lequel « c’est un fait reconnu que la prostitution est intrinsèquement dangereuse dans pratiquement toutes les circonstances ». Cette conclusion semble offrir au Parlement canadien une base solide à partir de laquelle soutenir qu’il est en droit de prendre des mesures pour supprimer la demande de toute forme de prostitution dans les intérêts de la sécurité publique, y compris celles où les préjudices sont moins visibles. En confirmant la loi sur le racolage qui interdit la prostitution de rue, la majorité fait remarquer que les méfaits de la prostitution de rue ne peuvent être attribués au seul droit pénal, puisque bon nombre des femmes qui sont prostituées dans la rue y sont pour des raisons d’âge, de sexe, d’origine raciale ou de toxicomanie. On dit aux femmes de se déplacer à l’intérieur. Mais leur sexe, leur race, leur âge et leur dépendance ne changent pas lorsqu’elles changent de lieu. Alors, pourquoi serait-il tout d’un coup acceptable que des hommes achètent exactement la même femme dans un endroit différent ? Les requérantes dans l’affaire ont exprimé leur satisfaction de cette décision mitigée, qui criminalise les plus défavorisées des femmes et essaie de repousser leur exploitation hors de vue du public. Le mouvement des femmes sait de longue date qu’il existe une présomption, en droit ou dans la vie, quant à la nécessité de préserver l’accès sexuel des hommes aux femmes. La compassion sociale à l’égard des femmes dans la prostitution, qui est professée dans certains milieux, n’a manifestement pas encore délogé cette présomption. L’analyse de la Cour d’appel suggère deux voies très différentes que pourrait emprunter le Parlement pour aller de l’avant. Parce que toute son analyse de l’art. 7 de la Charte est fondée sur la prétention, si fragile soit-elle, que la prostitution est une activité légale, le Parlement pourrait tout simplement réagir en criminalisant celle-ci de but en blanc. Il semblerait, à en croire les motifs de la décision, que si cela devait se produire, les arguments du recours constitutionnel des requérantes perdraient tout mérite. Cela impliquerait que tous les préjudices causés aux femmes en prostitution se poursuivraient, mais qu’ils ne dérogeraient plus à l’article 7. Ce n’est pas une approche qui ferait quoi que ce soit pour améliorer la situation des femmes en situation de prostitution. La Cour d’appel n’a pas accepté l’argument du Procureur général de l’Ontario à l’effet que les lois actuelles du Canada en matière de prostitution en cours comptent parmi leurs objectifs la protection de l’égalité ou de la dignité des femmes, ou la dissuasion de la prostitution. Une réponse législative plus nuancée serait d’adopter un cadre juridique en matière de prostitution qui endosse explicitement ces fins, ce qui ajouterait beaucoup de poids aux objectifs du gouvernement dans toute analyse fondée sur les articles 7 ou 1 de la Charte. Un tel régime existe déjà en Suède, en Norvège en Islande et il est envisagé dans d’autres territoires. Il s’engage à décourager publiquement la demande de prostitution, à criminaliser le proxénétisme et l’achat de services sexuels, à décriminaliser leur vente, et à fournir du soutien aux femmes qui abandonnent la prostitution. Une telle approche est conforme aux articles 7 et 15 de la Charte, et bien sûr aux obligations internationales du Canada. Il est temps pour nos lois de combler l’écart qui les éloigne encore de ces engagements à l’égard des droits humains des femmes. Janine Benedet est professeure agrégée à la Faculté de droit de l’Université de la Colombie-Britannique et elle a été une des avocates de la Coalition des femmes pour l’abolition de la prostitution, dans Canada v. Bedford. – Texte d’opinion publié par Janine Benedet dans The Lawyers’ Weekly, 6 avril 2012, p. 5. "Target the Demand for Prostitution". Traduction : Martin Dufresne Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 avril 2012 |