| Arts & Lettres | Poésie | Démocratie, laïcité, droits | Politique | Féminisme, rapports hommes-femmes | Femmes du monde | Polytechnique 6 décembre 1989 | Prostitution & pornographie | Syndrome d'aliénation parentale (SAP) | Voile islamique | Violences | Sociétés | Santé & Sciences | Textes anglais  

                   Sisyphe.org    Accueil                                   Plan du site                       






mercredi 14 novembre 2012

Lise Payette - Poursuivre sa route avec une farouche indépendance d’esprit
Préface au recueil de chroniques de Lise Payette, "Le mal du pays"

par Josée Boileau, rédactrice en chef Le Devoir






Écrits d'Élaine Audet



Chercher dans ce site


AUTRES ARTICLES
DANS LA MEME RUBRIQUE


La parité est une chose, la compétence en est une autre !
Lettre à toi Catherine, à toi Gabriel, Éva, Haroun et Dalila : les "boomers" pourraient vous donner quelques leçons
Politique québécoise - Pourquoi tant d’opposition à la parité ?
Un Québec pays : le OUI des femmes
La parité hommes-femmes en politique, une question de démocratie et de justice
Élection Québec 2014 - Je ne tairai pas ma colère
Sommet sur l’enseignement supérieur au Québec - Y aller ou ne pas y aller ?
"Un Québec pour tous" (et pour toutes...) - Discours inaugural de la première ministre du Québec à l’Assemblée nationale
Journée historique pour les femmes du Québec : entre fierté et consternation
Sur le "vaisseau amiral" de la capitaine Marois
Voter vrai
"La Marois" pour qui je vote
Élections 2012 - Le NMQ appelle à choisir le projet de pays avant la partisanerie
Où sont les femmes dans le débat ?
Québec 2012 - Lettre ouverte d’Andrée Ferretti à Pauline Marois
Pauline Marois : l’étoffe d’un premier ministre ?
La remarquable campagne de Pauline Marois
Les Libéraux et l’angoisse de la défaite
Mentir : l’arme corrosive du pouvoir libéral, aujourd’hui comme en octobre 1970
Derrière l’arrestation et la détention de Yalda Machouf-Khadir
Grève étudiante - Les origines d’une rébellion printanière
Honte à vous, Jean Charest
Conflit étudiant - De l’argent pour les étudiantEs … et les autres !
L’"entente" entre le gouvernement et les étudiantEs - Quelle supercherie !
L’égalité hommes-femmes dans la représentation : un objectif collectif
Deuxième Rendez-vous mensuel de la démocratie : "Le taux de participation sous des modes de scrutin proportionnels"
Nous unir et soutenir Pauline Marois pour réaliser l’indépendance du Québec
Les membres du Parti québécois peuvent agir pour que leur parti mérite à nouveau sa réputation démocratique
Encore du chemin à parcourir au Québec pour une pleine participation des femmes à la société
Pas de religion dans les garderies du Québec à compter de juin 2011
Le Mouvement pour une démocratie nouvelle demande à l’ADQ et à QS d’exiger une réforme électorale complète
La meute est lâchée
Recrutement militaire dans les écoles – Le recul de la FFQ injustifié
Projet de loi 94 sur les accommodements raisonnables - Il faut des amendements
Les membres du Parti libéral du Québec peuvent compléter la réforme du mode de scrutin
Les membres du Parti québécois doivent préserver l’héritage de René Lévesque
Projet de loi 94 sur les accommodements raisonnables - L’arbre qui cache la forêt (bis)
Le "old boys network" toujours actif - Une commission à reculons
Égalité - Il est temps de joindre le geste à la parole !
Encore une fois, de nombreuses voix réclament un nouveau mode de scrutin
Pour une représentation équitable des femmes et des hommes en politique - Mémoire du Conseil du statut de la femme sur le projet de loi no 78
14 semaines pour s’engager à améliorer la représentation des femmes dans la députation
Les intérêts de Lucien Bouchard
L’égalité durable - Mémoire déposé à la Commission parlementaire relative à la loi électorale
Urgence démocratique - Il ne reste que 26 semaines pour une réforme du mode de scrutin
Réforme du mode de scrutin - Un consensus citoyen écarté au profit de voix influentes
Ne nous résignons pas à l’idée de subir une démocratie déficiente
Mouvement pour une démocratie nouvelle au Forum social québécois
Islamisme au Canada - "Gardiennes de l’Identité" …non, plutôt gardiennes de l’égalité 
Un budget n’est jamais neutre !
De l’importance des quotas dans les conseils d’administration : réponse à Stephen Jarislowsky
Réforme du mode de scrutin : ne ratons pas les prochaines élections
Le Collectif pour un Québec sans pauvreté inquiet des hausses de tarifs annoncées dans le budget du Québec
Investissons les lieux de pouvoir
Budget du gouvernement du Québec - Le Conseil du statut de la femme énonce ses attentes
"L’équité salariale devient un droit acquis au Québec" - Christiane Pelchat, présidente du CSF
Travailleuses de services de garde et de soins de santé. Résumé du jugement de la Cour supérieure du Québec blâmant le gouvernement
Jean Charest et Pauline Marois : les personnalités politiques les plus utiles à l’égalité des femmes en 2008
PPP - Une dernière occasion d’en parler avant longtemps
La parité au Conseil des ministres : une injustice faite aux hommes ??!!
La parité, un concept aussi important que la territorialité
Des distorsions et des iniquités dues au mode de scrutin
Le 8 décembre, votons contre l’indifférence à la pauvreté
Le Directeur général des élections appelle les Québécois et les Québécoises à exercer leur droit de vote
Le Mouvement pour une démocratie nouvelle interpelle les partis politiques sur la réforme du mode de scrutin
Les promesses de Jean Charest : une insulte pour les jeunes professionnelles en soins
La Cour supérieure du Québec donne raison à 25 000 travailleuses de la santé et des services de garde dont le gouvernement avait suspendu les droits
"La diversité : une valeur ajoutée". Politique gouvernementale pour favoriser la participation de tous (et de toutes*) à l’essor du Québec
Stratégie gouvernementale d’intégration des personnes immigrantes - Il reste beaucoup à faire, dit la FFQ
Le Parti québécois dépose un projet de loi pour l’accès des enfants à leur pleine pension alimentaire
Tous les votes doivent être égaux, quel que soit le lieu où ils s’exercent et quel que soit le parti choisi
Les organismes communautaires du Québec exigent une rétractation du journal "La Presse"
Pensions alimentaires : Québec pige dans les poches des enfants !
Cocorico de mâles péquistes
Le gouvernement n’a plus aucune raison de priver le Québec d’un mode de scrutin véritablement proportionnel
Québec détourne 46,5 millions par année destinés aux enfants les plus pauvres !
Des dizaines de personnalités appellent à se mobiliser pour la défense d’un système public, accessible et de qualité au Québec
Groupe de travail Castonguay : des groupes de femmes réclament un débat public d’urgence
Boisclair parti, le Parti québécois toujours en quête d’un "sauveur"
Parti québécois - Marois ou Duceppe
Scrutin proportionnel - Dumont et l’ADQ respecteront-ils leur engagement ?
Pour en finir avec le mode de scrutin - Lancement d’une campagne
Le véritable changement viendra lorsque les résultats électoraux seront proportionnels
Élections Québec 2007 - Un véritable séisme, par Michel David, "Le Devoir"
Élection au Québec lundi 26 mars
Élections Québec 2007 - Voter progressiste, c’est voter solidaire
Services de garde - Pourquoi ne pas laisser payer les riches ?
Dossier Élections Québec 2007
La mondialisation menace-t-elle notre culture ? Forum de l’INM
Moi aussi, ma décision est prise
Une politique industrielle au détriment d’une réelle politique du médicament
Politique Québec : dossier principal
Les femmes dérangent
La Loi 57 : la hargne de l’État contre les pauvres
Conséquent ?
Prestation clownesque
Revendications des femmes pour l’atteinte de l’égalité entre les femmes et les hommes
Le PQ, un parti à deux étages
Lettre ouverte à André Boisclair - Pourquoi je voterai libéral
Colloque "Des partis et des femmes", les 20 et 21 octobre à Québec
L’élection d’André Boisclair : une élection complimentaire
L’argent plus tôt que prévu en éducation... les élections aussi
Il faut s’attaquer aux mœurs politiques
Projet de réforme du mode de scrutin : un premier bilan
Femmes et élections : de la pluralité des analyses des modes de scrutin
Réforme électorale - Le Conseil du statut de la femme erre complètement !
En prônant le statu quo, le Conseil du statut de la femme fait fi des véritables enjeux pour les femmes
Louise Harel s’oppose à l’instauration d’un scrutin proportionnel au Québec
La Commission spéciale sur la loi électorale : consultations pour la révision du mode de scrutin au Québec
Le gouvernement du Québec doit faire mieux que dans son avant-projet de loi
Manifeste pour un Québec solidaire
Le Groupe Femmes, Politique et Démocratie reçoit le prestigieux "Prix Condorcet-Aron" du Centre de recherche et d’étude politique de Belgique
L’incohérence de Québec dans les services aux familles sème l’inquiétude
Revendications des mères étudiantes et des ménages étudiants du Québec
Une nouvelle ministre de la Condition féminine à Québec
Comment fabriquer un problème
C’est assez !
Prioriser la proportionnelle pour garantir enfin la pleine citoyenneté des femmes
Les travailleuses des services de garde expriment leur colère
Apolitiques, les jeunes femmes ?
Mettre le féminisme au coeur du politique
Les femmes ont besoin du régime des rentes du Québec
« À bâbord » se penche sur la "réingénierie" de Charest
Un budget équitable au service d’un Québec d’abord solidaire
Appui à la Coalition Solidarité Santé contre le projet de loi 25 à Québec
Le cabinet Charest marque un recul pour les femmes
Des femmes exigent leur place dans les institutions démocratiques au Québec
Au Québec, une consultation bidon sur la pauvreté







Il s’agissait donc de faire une préface à un recueil de textes choisis. « Vous pouvez être personnelle », m’a dit l’éditeur. À l’autre bout du fil, j’ai répondu oui, bien sûr. Et nous nous sommes mis à discuter. C’est qu’il y a tant à dire sur Lise Payette, personnage de notre histoire que notre histoire n’a même pas commencé à reconnaître pleinement. Mark Fortier, jeune éditeur, avait lui-même son propre intérêt, sa propre curiosité qui lui ont donné l’envie de réunir en un livre quelques chroniques du lot que Mme Payette a jusqu’à maintenant publiées dans Le Devoir. Une idée excellente, nécessaire car nous convenions sans peine qu’il y a du repère chez cette femme-là.

Et nous causions, de ses idées à lui, de mes souvenirs à moi - qui remontent à ce fabuleux Appelez-moi Lise qui faisait veiller tard mes parents, ravis d’être fatigués, et auquel moi je n’avais droit que le vendredi, moment béni qui finissait bien la semaine.

Nous causions donc, de tout cela et des années suivantes. J’ai dit des tas de choses, tâté des approches. Mais je ne lui ai pas dit que forcément, en fin de compte, je ne pourrais être que très personnelle. Il ne pouvait pas savoir, lui, que dans le cahier rouge qui traîne sur ma table de travail, celui dans lequel je glissais mes notes de directrice de l’information du Devoir quand j’occupais ce poste il y a quelques années, on trouve un texte bien découpé, bien collé. Un seul. Une chronique de Lise Payette publiée en vue du 8 mars, en 2009, intitulée « La longue marche des femmes ». Une chronique que j’ai lue, relue et annotée afin de me donner la petite poussée nécessaire pour me porter candidate au poste de rédactrice en chef du Devoir. « Les femmes ont tendance à toujours trouver qu’elles ne sont pas suffisamment qualifiées pour les postes qu’on leur propose. » Eh oui. Secoue-toi ma fille ! Elle ne sait pas, Mme Payette, qu’elle m’a grandement aidée dans cette décision. Et je ne l’en ai jamais remerciée.

Merci Mme Payette ... On ne les a pas entendus si souvent ces mots pendant et depuis son dur passage en politique il y a pourtant des décennies de cela. Elle a tellement brisé de moules, tellement secoué le Québec, tellement fait fi des consensus qui sont notre ADN, tellement dit sans chercher à plaire, elle est tellement restée d’une calme assurance quand tout éclatait autour d’elle, elle est tellement l’anti-Janette de notre histoire - tout en la rejoignant dans le souci de nous faire avancer - qu’il est facile d’oublier ce qu’on lui doit. On n’a pas su encore lui rendre véritablement justice. Elle, d’une grande discrétion malgré sa renommée, n’a pas appris l’art de l’autopromotion, pourtant tellement en vogue.

Pour ma part, c’est au détour de témoignages épars que j’ai eu l’impression de mieux la connaître, et de surtout mieux mesurer son apport. Trop jeune pour avoir fréquenté la femme de radio, j’avais été éblouie et amusée par son fabuleux succès à la télévision, où enfin une femme osait mettre en valeur des hommes ma foi fort beaux et qui s’en trouvaient bien embêtés, une femme qui se mêlait de jouer au hockey et qui maniait provocations et sourires avec intelligence. Comme on l’a aimée cette Lise-là, inimitable, inimitée.

Il y eut ensuite la femme politique. La vedette était disparue, la ministre travaillait fort. Le public la suivait de-ci de-là. C’est qu’il y avait tant à suivre en ces temps-là. Puis il y eut la controverse des Yvette, qui dérapa complètement. C’était curieux, ça a causé un malaise ... mais un malaise parmi tant d’autres en ces temps référendaires extrêmement agités. L’admiration revint toutefois d’un seul coup, face à son courage d’avoir été la seule à monter sur scène aux côtés de René Lévesque et de Corinne Côté-Lévesque le triste soir du référendum, désolant contraste avec le 15 novembre 1976 où ça se bousculait sous les projecteurs. La politique ne l’avait pas ménagée, mais elle avait été là jusqu’au bout. Chapeau.

Mais c’est plutôt la suite qui me marqua vraiment, comme tant d’autres de ma génération et de celle d’avant. Qu’était-ce donc que le titre dévastateur de son bilan, publié en 1981 : Le pouvoir ? Connais pas ! Était-ce vraiment là la conclusion de celle à qui j’avais prêté toutes les audaces, dont celle d’être la première à avoir exigé de se faire appeler « la » ministre ? Franchement, je ne comprenais plus rien, moi qui étais une jeune femme à qui on assurait que dans dix ans, le pouvoir quasi tout entier serait féminisé ... (Grande naïveté, gros, gros soupir. Je me suis réconciliée depuis avec l’analyse de celle qui fut ministre ... )

Après, comme tout le Québec, j’ai été abonnée à sa Bonne Aventure, à ses Dames de cœur. Des dames dont nous étions un petit groupe à suivre les aventures même durant de longs mois d’études à Paris, dans cette époque préhistorique d’avant Internet, d’avant même les vidéos. Une copine de Montréal enregistrait les épisodes sur cassette audio - les plates à ruban -, nous expliquait l’action quand le dialogue cessait (« ils s’embrassent », « elle sort de la pièce » ... ), nous postait le tout, et on se passait les épisodes de chambre en chambre à la Maison des étudiants canadiens, boulevard Jourdan à Paris. Du pur bonheur d’initiées auquel les Français de notre entourage ne comprenaient rien.

Puis ce fut le temps des prises de position contestées, sur l’immigration par exemple. Entre-temps, j’étais devenue journaliste au Devoir, et j’ai eu parfois à aller chercher des réactions de Mme Payette. Ce n’était pas simple : même des années plus tard, il restait des traces du contentieux des Yvette, qui avait vu Lise Bissonnette, rédactrice en chef du Devoir de l’époque, s’en prendre à Mme Payette qui avait eu des mots malheureux à l’égard de Madeleine Guay, l’épouse du chef libéral Claude Ryan, ancien directeur du Devoir. De part et d’autre, ce n’était pas le genre d’affrontement que l’on oublie. J’avais parfaitement conscience que Mme Payette acceptait bien davantage de parler à la jeune journaliste que j’étais qu’à l’institution Le Devoir dans les rares occasions où je l’ai croisée. Et je la trouvais bien intimidante ...

Mais il y a un envers aux apparences, une injustice, en fait, dans notre perception des femmes fortes de notre société, et c’est par hasard que j’en ai pris conscience.

De retour au Devoir en 2001 après une éclipse de huit ans, je fus chargée de signer un article revenant sur le 25e anniversaire de la prise de pouvoir du Parti québécois. Dans la foule de gens que j’ai alors interviewés se trouvait un de mes anciens professeurs de droit, très apprécié et aujourd’hui décédé, Claude Masse, qui avait travaillé autrefois à deux projets majeurs : la Loi sur l’assurance automobile et celle sur la protection du consommateur, toutes deux pilotées par Lise Payette, ministre péquiste de la première heure.

Il me raconte l’époque, son implication politique, ce premier gouvernement qui se forme. Et le voilà qui s’enflamme : bien sûr, il y avait René Lévesque pour imprimer sa marque à ce gouvernement qui bouscule tout sur son passage. Mais Lise Payette ... « Il n’y en a plus comme elle à l’heure actuelle », lit-on dans les notes que j’ai gardées de cette entrevue. Elle était active, déterminée, préparée. Admirable. Car « ça jouait dur ». La grande majorité des collègues ministres avaient peur de sa réforme de l’assurance automobile, peur du lobby des avocats
qui avaient déclaré la guerre à ce qui menaçait leur gagne-pain. Lise Payette, qui n’était pas là pour elle mais pour le bien commun, n’en avait cure. Même si, elle le dit dans son livre, tout ce dossier fut une véritable épreuve. Il fallait, pour passer à travers, une politicienne hors pair, plus forte que les vulgaires jeux de pouvoir. C’était tout un combat, surtout pour une femme qui ne pouvait, eIle, compter sur le soutien des réseaux de copains auxquels ont généralement droit les hommes qui occupent de hautes fonctions. Les propos de Claude Masse, tout à coup, me faisaient prendre la mesure et du défi, et de la victoire.

Lise Payette l’intimidante, la distante, commença alors à prendre pour moi un autre visage. Avions-nous vraiment réalisé que cette femme est arrivée en politique avec une célébrité hors du commun et qu’elle fut pourtant immédiatement plongée dans des dossiers techniques, obscurs, difficiles, exigeant d’avaler bien des couleuvres et de s’oublier pour les autres ?

Et, en dehors de la politique, où il est vrai que la reconnaissance semble contre nature, lui accorde-t-on au moins le crédit de tous ses faits d’arme ? Un exemple : cette Saint-Jean du Mont-Royal, en 1975, devenue mythique et dont encore aujourd’hui on nous rappelle Ginette Reno, Jean-Pierre Ferland, le premier Gens du pays de Vigneault ... Cette fête-là, on ne souligne jamais que c’est à Lise Payette qu’on la doit en tant que présidente du comité organisateur. Tant d’autres en auraient fait le porte-étendard de leur gloire personnelle. Pas Lise Payette. Pas le genre à se vanter, pas le genre à gémir. Bien plutôt à continuer sa route avec une farouche indépendance d’esprit.

C’est là un genre rare qui ne mise ni sur la gloire, ni sur la richesse, ni sur le pouvoir, mais sur cette chose fragile qu’on appelle valeurs : croire aux femmes, sans croire qu’elles y sont arrivées ; croire au monde ordinaire, si souvent victime d’une élite qui n’a rien à faire du sort du monde ; croire au Québec, assumé, autonome et qui finira bien par y arriver ; croire à l’absolue nécessité du collectif plutôt qu’aux privilèges individualistes qui sont la marque de notre temps.

En renouant avec le journalisme, il y a quelques années, Lise Payette nous a permis de refaire connaissance avec la femme politique qu’elle était avant même d’être ministre, la femme aux choix sociaux réfléchis, assumés et revendiqués, que cela plaise ou non. Une femme droite qui ne pouvait trouver, en dépit de maux passés, que tout naturellement sa place au sein des pages du Devoir.

C’est mon prédécesseur, Jean-Robert Sansfaçon, qui eut l’idée, en 2007, de l’approcher alors que, par principe, Mme Payette avait suspendu sa collaboration au Journal de Montréal pour ne pas que sa chronique soit reprise dans Le Journal de Québec, où un conflit de travail sévissait. Lui cherchait justement une plume féministe, souverainiste, social-démocrate, une femme solide qui avait l’expérience des affaires publiques. Elle fut honorée, surprise. Dans sa première chronique signée pour nous et qui ouvre ce recueil, elle fait d’ailleurs état de ses sentiments, avec la franchise brutale qui lui est coutumière. En terminant par un surprenant : « Peut-être bien qu’on m’adoptera. »

Des années plus tard, cette conclusion me fait toujours sourire : 50 ans de vie publique dans sa besace, et malgré tout oser ce doute ! Il aurait fallu à la Lise Payette de 2007 une certaine chronique écrite en mars 2009, collée dans un grand cahier rouge où l’on peut lire : « Les hommes, c’est le contraire. Même avec un tout petit bagage, ils sont convaincus d’être les candidats parfaits pour tous les postes qui les avantagent. »

Lise Payette était en 2007 la personne parfaite pour la réflexion que nous souhaitions publier, celle de quelqu’un qui a beaucoup vécu sans perdre sa société de vue. Elle reste la chroniqueuse parfaite aujourd’hui, alors que le Québec, englué dans ses affaires - les petites et les scandaleuses -, s’est enfin mis à se réveiller et à se demander dans quel avenir il voulait vivre. Cinquante ans d’action, c’est maintenant plus que jamais que ça peut servir ! Abordant la fabuleuse grève étudiante qui marque le printemps 2012, elle a écrit : « C’est, comme l’était la Révolution tranquille, un projet de société que nous avons devant nous. Pas un caprice d’enfants gâtés, pas une folle dépense comme certains le disent, mais un choix de société. » Et c’est en toute connaissance de cause, mieux que bien d’autres, qu’elle peut conclure : « Rangez-vous du côté de vos enfants. Ils savent ce qu’ils font. »

La fameuse chronique de mars 2009 est reprise dans ce recueil, avec beaucoup d’autres dont le titre claque au vent : « Are you bilingue ? Tsé veux dire ! », « Les raisins de la colère », « J’attends mon dissident », « Qui mène le monde ? » ... Le sens de l’engagement, de l’indignation, de l’intégrité, de l’égalité et de la transmission sont le fil conducteur, semaine après semaine, des chroniques que Mme Payette signe pour nous depuis maintenant cinq ans. Ce recueil donne un riche aperçu de la vivacité de la pensée, de la cohérence de l’analyse et des convictions profondes qui animent cette femme pas comme les autres. Et qui nous ressemble aussi.

Que cette lecture vous soit inspirante, que Mme Payette en soit remerciée.

Le mal du pays, éditions Lux, Montréal, 2012. Site Internet de Lux.

* Merci aux éditions Lux d’autoriser la publication de ce texte sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 12 novembre 2012



Format Noir & Blanc pour mieux imprimer ce texteImprimer ce texte   Nous suivre sur Twitter   Nous suivre sur Facebook
   Commenter cet article plus bas.

Josée Boileau, rédactrice en chef Le Devoir



    Pour afficher en permanence les plus récents titres et le logo de Sisyphe.org sur votre site, visitez la brève À propos de Sisyphe.

© SISYPHE 2002-2012
http://sisyphe.org | Archives | Plan du site | Copyright Sisyphe 2002-2016 | |Retour à la page d'accueil |Admin