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mercredi 10 avril 2013 La prostitution, le STRASS et la sénatrice - La pertinence de la transparence
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La sénatrice du Val-de-Marne (en France) Esther Benbassa (EÉLV) a publié sur son site le 6 février 2013 une liste d’associations auxquelles elle alloue des fonds cette année, au nom de la réserve parlementaire dédiée au financement de « projets locaux ». Dans la présentation qui en est faite, l’accent est clairement mis sur le concept de transparence, comme l’illustre notamment le choix du titre (« Réserve parlementaire 2013 : solidarité, culture et transparence »(1). La liste des divers groupes voit se côtoyer 7 associations subventionnées pour produire des ateliers ou des événements à vocation culturelle ; 3 pour mettre en place des colloques ou lieux de réunion ; 2 afin de créer des ateliers pour des groupes de femmes ; 1 pour une aide alimentaire aux plus démunis ; et enfin 1 pour le STRASS, le syndicat du travail sexuel. Ce mouvement, créé en 2009 lors des Assises de la prostitution à Paris, regroupe un ensemble d’individus exerçant majoritairement une activité prostitutionnelle, et militant pour la reconnaissance de celle-ci. Décider de financer le STRASS signifie que ce groupe est considéré au même titre que les autres associations subventionnées, telles que l’« Association des Femmes maliennes de Montreuil : Mise en place d’un atelier couture » ; « Les Restaurants du cœur du Val-de-Marne : Aide alimentaire aux famille du Val-de-Marne en difficulté » ; ou encore « Le Cinéma s’expose : Réalisation de dossiers pédagogiques sur l’histoire du cinéma et les métiers du cinéma pour les élèves et collégiens ». Dans les parties suivantes, il s’agira de tenter de déterminer si tel est bien le cas, et d’essayer de comprendre le fonctionnement et les motivations du STRASS, hors du tableau qu’en dépeignent ses membres, à travers trois axes majeurs : une brève étude du STRASS lui-même, en mettant bout à bout les quelques informations publiques à son sujet ; les chiffres qu’il utilise et sa manière de les obtenir ; et enfin, la stratégie de communication de ce syndicat, avant de conclure sur sa nature même. 1. Le STRASS, un syndicat comme les autres ? Le syndicat du travail sexuel est un groupe visant principalement à promouvoir la parole, à faire reconnaître et à mener des actions en faveur de ce que ses sympathisants nomment les « travailleur(se)s du sexe », ce qui regroupe aussi bien « des prostituéEs (de rue ou indoor), des acteurTRICEs porno, des masseurSEs érotiques, des dominatrices profesionnelles, des opérateurTRICEs de téléphone/webcam rose, des strip-teaseurSEs, des modèles érotiques, des accompagnantEs sexuelLEs, etc. » (2) Ce type d’activités étant généralement connotées négativement au regard de la société, la parole est peu donnée aux individus les pratiquant, pour peu qu’ils la désirent. Il semble dès lors légitime qu’ils souhaitent la reconquérir. Le STRASS a pour principale ambition de le faire en leur nom ; « Le STRASS représente touTEs les travailleurSEs du sexe, quels que soient leur genre ou le type de travail sexuel concerné » (3). Selon ses propres sources – non vérifiables, aucune donnée n’étant communiquée sur leur site à ce propos -, il compte aujourd’hui 500 adhérents (4), et ce au niveau national. Or, la prostitution en France est déjà estimée à environ 20 000 personnes (5). Comment représenter une activité si multiforme, peu visible et dont les ramifications et le nombre d’individus sont sans doute bien plus nombreux que ce que l’on imagine ? Les positions de ce syndicat à ce propos sont quelque peu floues : il souhaite défendre la parole de « touTEs les travailleurSEs du sexe », mais nuance en condamnant la prostitution « forcée ». Le STRASS revendique des droits pour les personnes prostituées « volontaires » ; les autres, qui représentent 90% de la prostitution de rue (6), relèvent de la prise en charge des pouvoirs publics. Il y a la « bonne » et la « mauvaise » prostitution. Mais comment le STRASS décide-t-il de qui se prostitue « volontairement » ou non ? Sur quels critères se base-t-il ? S’il s’agit de séparer les personnes prostituées exerçant sous la contrainte d’un proxénète des autres, alors cela revient à faire fi de tous les déterminismes auxquels chaque être humain est soumis, comme les sciences humaines l’ont montré depuis de longues années maintenant. Cela ne signifie pas non plus que personne ne peut faire de libre-choix ; simplement que ce genre de discours doit être relativisé, à l’instar de celui d’Ulla (7), par exemple, célèbre pour avoir milité activement pour les droits des personnes prostituées avant d’avouer, quelques années après avoir arrêté cette activité, qu’elle ne le faisait pas volontairement. Elle « se targuait d’être indépendante : elle a avoué bien plus tard avoir, comme beaucoup, été manipulée. « Comment avez-vous pu me croire ? », reprocha-t-elle aux féministes. » (8) Ainsi, il paraît difficile – voire impossible - de déterminer qui choisit librement ou non d’exercer cette activité. D’ailleurs, en ceci réside une des contradictions du STRASS ; ce syndicat défend les personnes qui veulent exercer librement la prostitution sans pour autant ni expliquer comment ils font cette différenciation, ni d’ailleurs renier que des déterminismes pèsent mêmes sur ceux et celles qui disent agir de leur plein gré. Et ce, alors qu’ailleurs sera affirmée la position volontariste de ces mêmes individus – parfois dans la même interview, à l’instar de celle-ci : « - L’important, c’est que cela reste un choix.
De la même manière, les principaux porte-parole insistent fréquemment sur le fait qu’ils n’ont subi aucun traumatisme durant leur enfance, traumatisme qui pourrait – en partie, tout du moins – expliquer leur choix de vie, et que tel est le cas d’un certain nombre de personnes prostituées « volontaires ». Or, si on se penche, par exemple, sur les chiffres communiqués dans l’étude de A. Roxburgh (10) consistant en des entretiens particuliers avec 72 personnes prostituées, on constate qu’un tiers des interviewées présentent « [...] des symptômes actuels de PTSD [c’est-à-dire de syndromes post-traumatiques, comme par exemple les soldats ayant vécu la guerre], soit un taux dix fois plus élevé que dans la population générale. L’analyse descriptive des données a révélé que 87% des femmes présentaient des symptômes de dépression, et 42% d’entre elles avaient déjà entrepris une tentative de suicide. La presque totalité de l’échantillon (99%) a mentionné au moins un événement traumatisant dans le passé. » (11) Cette étude n’est pas la seule à aller dans ce sens, et ce, quelle qu’en soit la géo-localisation. On peut à titre d’exemple citer également celle de M. Farley (12), au sein de laquelle elle constate que « [...] la nature même du travail du sexe possède une composante traumatisante et humiliante pour les femmes qui l’exercent, expliquant les taux de prévalence élevés de syndromes de stress post-traumatique (deux tiers de l’échantillon) parmi les femmes travailleuses du sexe, indépendamment du pays étudié (Afrique du Sud, Thaïlande, Turquie, USA et Zambie). » (13) 2. De la transparence des informations Le STRASS remet en cause les chiffres produits par diverses institutions (14) quant au nombre de personnes prostituées. Certes, il n’existe à ce jour en France que des études estimant leur nombre (ou portant sur des échantillons relativement restreints) ainsi que des statistiques policières, et il est regrettable qu’une enquête plus exhaustive n’existe pas encore. Cependant, le syndicat du travail sexuel n’avance lui-même aucun chiffre officiel. Il en donne un certain nombre lors d’interviews, ou propose des estimations. Le STRASS qualifie d’ailleurs ses chiffres de « scientifiques » à l’inverse de ceux de ses détracteurs, comme on le verra dans la suite de cet article. Or, il n’explicite jamais sa méthode de comptage ou ses sources. « Le syndicat revendique 200 adhérents [interview en date de 2009, aujourd’hui, selon les dires de ses propres membres, ils seraient 500], soit 1% des 20 000 travailleurs du sexe à temps plein. Maîtresse Gilda explique : « Je n’inclus pas dans cette estimation la mère de famille qui se prostitue pour arrondir ses fins de mois, ou les femmes qui sont exploitées, juste les sexworkers assumés qui vivent de la prostitution. » (15) Quand bien même on accepterait ces chiffres sans sources comme réalistes, représenter 1 ou même 3% des individus exerçant dans des conditions aussi diverses que peuvent le permettre des activités non contrôlées et peu visibles comme la prostitution serait-il représentatif ? « La majorité des travailleurs du sexe ne sont pas victimes de la traite des êtres humains ». (16) Ici, il ne s’agit pas de donner des chiffres. Les individus qui effectuent ce genre d’estimations exerçant cette activité eux-mêmes utilisent cette position comme légitimation de leurs propos. Ceci influence naturellement le lecteur, souvent peu informé sur le sujet et donc pas en mesure de relativiser ces estimations, de la même manière qu’il prendrait sans doute pour argent comptant les déclarations d’un chirurgien-dentiste au sujet de sa profession. « Vallaud-Belkacem choisit d’ignorer les rapports de chercheurs indépendants s’appuyant sur des preuves scientifiques pour ne retenir que le rapport parlementaire écrit par des politiciens et qui n’a rien de scientifique. (17) L’article cité qualifié de scientifique est une étude menée par deux féministes radicales suédoises militant pour l’officialisation de la prostitution depuis des années, sans qu’elles soient présentées dans le document en question, seuls leurs noms étant communiqués. Ce rapport de 38 pages est financé par l’Institut Nicis, ainsi que par les villes de Rotterdam, La Haye, Utrecht, Vienne, et L’Université de Leiden, soit en classant par nationalité : cinq groupes néerlandais et un autrichien. Il est intéressant de noter qu’ils proviennent tous uniquement de pays réglementaristes, pays dont la législation autorise la prostitution, et, dans certains cas, la tenue de lieux spécifiques de prostitution, considérés en France comme proxénétisme. (18) Au vu de ces contingences, est-il toujours possible de qualifier cette étude d’« indépendante » ? L’est-elle plus que la recherche effectuée par l’Assemblée nationale (comprenant 383 p. avec pièces-jointes, ayant auditionné 200 acteurs/actrices etl du monde associatif, juridique, policier, scientifique, médical, etc. travaillant au contact de la prostitution, dont deux personnes du STRASS et plusieurs associations/individus proches de ce syndicat ainsi que 5 ex-personnes prostituées) ? Sur le même mode, il n’est également pas possible de savoir d’où proviennent ou comment sont gérées les finances du STRASS ; sur son site, sont précisés les montants des droits d’adhésion (10€ pour les « travailleurSEs du sexe », 20€ pour les sympathisants), et également le fait que l’association accepte les dons. Ce sont les seules informations disponibles à ce sujet. Pourtant, le STRASS organise plusieurs événements, ainsi que des procès, se portant parfois partie civile pour aider des personnes prostituées, ou bien en poursuivant en justice les individus considérés comme ayant tenu des propos diffamants à leur égard (exemple : Mme Zoughebi) (19), au titre de l’euro symbolique, donc poursuite non menée par appât du gain). De la même manière, en ce qui concerne les divers porte-parole du STRASS (dont Thierry Schaffauser et Morgane Merteuil sont les plus médiatisés actuellement), il est impossible de savoir qui ils ou elles sont. D’où ils ou elles viennent, quel est leur parcours, quelle est leur catégorie socio-professionnelle, quels sont leurs intérêts. La seule biographie de plus de trois lignes concernant M. Schaffauser est publiée sur Wikipedia (dont il est important de rappeler que les articles sont écrits par des individus anonymes), et débute à ses 18 ans. Auparavant, il n’existe pas. 3. De l’importance de la parole S’il y a bien une critique qui revient fréquemment dans les argumentaires du STRASS, c’est celle de la parole dérobée. En effet, dans la grande majorité des articles de ce groupe, il est fait référence au fait que les « travailleurSEs du sexe » se voient kidnapper leur parole par « [...] d’autres intervenants présentés comme des spécialistes du sujet (médecins, catholiques et autres moralistes, abolitionnistes...) » (20). « Nous demandons que notre parole soit prise en compte dans les décisions nous concernant », explique Morgane Merteuil21 » (21). « Les "débats" sur le travail sexuel sont souvent prétextes à un déferlement de violence de la part de celles et ceux qui ont compris que pour faire disparaître une catégorie de la population, il faut commencer par trouver les moyens de la faire taire, de discréditer sa parole. » (22) Trois constats majeurs apparaissent à la lecture de cet énoncé. D’une part, en se basant sur un échantillon de 388 articles de presse de l’année 2012 (23), il apparaît que les individus critiquant la volonté d’abolition/de pénalisation les plus représentés en termes de parole sont les membres du STRASS, et en particulier T. Schaffauser et M. Merteuil. En effet, sur les 88 articles critiquant la volonté d’abolition/de pénalisation de la prostitution, 29 sont écrits par ou consistent en des interviews de membres du STRASS, soit un tiers des articles concernés. Les autres articles sont majoritairement écrits par des individus (pas nécessairement spécialisés sur la question) intervenant une seule fois sur le sujet, et par diverses autres personnes publiant plusieurs fois sur ce thème, mais jamais à hauteur du nombre d’interventions du STRASS. Les prostituées intervenant en leur nom propre (non affiliées à ce syndicat ou en tout cas ne se déclarant pas comme telles) au sein de ce même groupe de critiques sont représentées, elles, à hauteur de 17 articles sur 88, soit 19%. Qui dérobe finalement la parole de qui ? « Le syndicat du travail sexuel veut être reçu à Matignon comme les autres », titre un article du "Midi Libre" en date du 1er juin 201224. Le 18 juillet suivant, soit un mois et 17 jours plus tard, le STRASS était effectivement reçu par Najat Vallaud-Belkacem. Ce syndicat qui, comme on l’a vu, se plaint de ne pouvoir s’exprimer, a pourtant lui-même mis fin à l’entretien, sous prétexte que celui-ci « prenait de plus en plus la forme d’une mascarade » (25). N’est-ce pas là une attitude pour le moins contradictoire ? Surtout si on la met en perspective avec celle de Nathalie Bordes-Prevost, présidente de l’association pour les droits, la reconnaissance et la protection des prostituées, et prostituée elle-même. Elle ressortit de son entretien avec N. Vallaud-Belkacem (quand celui-ci prit naturellement fin) en annonçant : « Elle m’a écouté, c’est une femme qui a un grand cœur » (26), et ce, alors que les points de vue de ces deux individus divergent également. D’autre part, en étudiant de plus près les articles rédigés par ou interviewant des membres du STRASS, on constate que la stratégie de communication est travaillée, employant un ton différent selon les circonstances. Par exemple, lorsque les membres du STRASS font publier une de leurs tribunes, le ton est extrêmement agressif (quelques exemples dans la masse : « Nous, travaileurSEs du sexe, refusons d’être les victimes sacrifiées de votre idéal moraliste ! » (27) ; « Vous n’êtes ni vraiment pour le respect de TOUTES les femmes, ni véritablement dans une démarche de lutte des classes. Votre féminisme est bourgeois : il consiste à permettre aux femmes d’accéder aux privilèges de classe. Notre féminisme est révolutionnaire : il consiste à abolir ces classes. Vous vous adressez à nous depuis un îlot privilégié (ou que vous estimez tel), en vous disant que nous nous réjouirions de vous y rejoindre : mais la vérité pourtant est que nous avons préféré devenir putes que devenir vous. » (28). L’utilisation d’un vocabulaire dépréciatif, de majuscules ou de guillemets - entres autres figures de style – permet de sous-entendre que les individus dont il est question ne sont pas crédibles (quelques exemples : « Les psychologues et les "experts" (29) » ; « Lors d’un débat avec une ministre luxembourgeoise par exemple, un soi-disant expert (30) ; « Depuis des mois, vous, "féministes" abolitionnistes ») (31). Or, lorsque les membres du STRASS sont interrogés par des individus en tête à tête, le ton est complètement différent. Ceci est d’autant plus visible lorsqu’il s’agit de M. Merteuil, fréquemment décrite comme souriante, décontractée (« lâche-t-elle dans un sourire », « Sourit », « Elle rit. », « Elle hésite un instant. Soupire. », « se désole », « À vouloir nous rabaisser comme ça, elles ont un discours de haine. C’est blessant. » « Soupir de dépit. », « Elle hésite » (32). Le ton est détendu, plein d’humour, tantôt enjoué tantôt désolé, suivant qu’il s’agisse de décrire son activité qu’elle adore ou les attaques blessantes des féministes pro-abolition. La stratégie de communication est excellente. Lorsqu’il n’y a pas d’interlocuteur physique, il s’agit d’être provocant, très engagé, voire enragé. Les détracteurs ne sont pas directement en face à face, et utiliser un ton extrêmement virulent pour les critiquer permet de convaincre plus facilement l’opinion. D’autre part, personne n’est visé nominativement, donc personne ne peut répondre concrètement aux attaques ainsi réalisées. De plus, le féminisme essaye depuis bien longtemps de se débarrasser des représentations communes qui le présentent péjorativement comme le produit de femmes aigries, frustrées, incapables de jouir et donc par là-même agressives (critique d’ailleurs reprise précisément par M. Merteuil, qui se dit elle-même féministe : « Ne savez-vous donc vous réjouir qu’en empêchant les autres de jouir ? » (33). Les attaquer de cette manière est dès lors une stratégie habile, puisqu’on peut supposer que répondre sur la même tonalité serait préjudiciable à l’image même du féminisme. Enfin, pour terminer, il est intéressant de reproduire quelques-unes des insultes portées à l’encontre d’individus ayant critiqué le STRASS ; par exemple, en réaction à une phrase de Claudine Legardinier (34) citée par M. Merteuil sans sources (donc sans garantie de fiabilité quant à l’original) et reproduite ici à l’identique : « Legardinier : « quand bien même la police irait interpeller un client dans un endroit sombre, la pers. prostituée elle ne risquera plus rien », citation que M. Merteuil commente comme suit : « oui, parce qu’être obligées d’aller exercer dans des "coins sombres", ce n’est pas un risque. #criminelleassumée #connasse. » Ou encore, au sujet d’un internaute intéressé par les questions liées à la prostitution « ah oui et puis le spermufle qui est venu me dire bonjour. lol. il a vraiment la gueule du con qu’il est. » (35) Ces quelques illustrations mettent en lumière les tentatives de diffamation, voire d’intimidation dont ses membres font usage afin de faire taire et/ou de discréditer les critiques à leur encontre. Les insultes ne sont d’ailleurs pas les seuls dommages causés aux individus ayant critiqué le STRASS, qui adopte une attitude provocatrice à l’égard de ceux qui ne vont pas dans leur sens, notamment en s’invitant à des événements privés auxquels ils ne sont pas conviés, et en parodiant allègrement (pas toujours avec très bon goût) des productions de ces mêmes groupes. À titre d’exemple, il est possible de citer ici la manifestation du 25 novembre 2012, lors de la journée contre les violences faites aux femmes, durant laquelle les membres du STRASS se sont subtilement mêlés au cortège des abolitionnistes avant de brandir des pancartes avec des slogans du type « putophobes » (36). Ainsi, en mêlant (parfois maladroitement) contradictions, discours divergents, agressions et séductions, en substituant perpétuellement leur parole à celle de toutes les personnes prostituées (quand ce ne sont qu’elles), en martelant les mêmes informations non étayées mais présentées avec conviction, le STRASS parvient de manière habile à produire un discours parlant à un grand nombre de personnes non ou peu renseignées sur le sujet de la prostitution. 4. Lobby plus que syndicat Ce syndicat relève donc en réalité plus du lobby que du groupe syndical, comme le notaient déjà de manière très pertinente les auteurEs de l’article intitulé « Anatomie d’un lobby pro-prostitution – Étude de cas : le STRASS, en France » (37). De toute manière, le STRASS n’a pas les statuts d’un syndicat : l’article L2131-2 du Code du Travail indique que « les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l’établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement. » La prostitution n’étant pas une profession, il n’est donc par définition pas possible de qualifier le STRASS de syndicat. De plus, la loi du 28 août 2008 précise que la représentativité des organisations syndicales est déterminée d’après un certain nombre de critères cumulatifs comprenant notamment celui de la transparence financière, ce qui, comme on l’a vu, n’est pas non plus une condition que remplit le STRASS. Ce groupe opte pour une stratégie de communication et d’action visant à faire perdurer le fantasme d’une prostitution choisie, désirée, flattant tantôt le client, tantôt les politiques ayant soif d’idéaux libéraux/libertaires, et ce afin de garantir son gagne-pain. Et encore, ceci n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg. Il n’a par exemple pas été question ici de la terminologie usitée, des représentations mises en avant, du mélange des registres permettant de brouiller la réflexion et d’amener à une relativisation globalisante faisant perdre toute notion de valeurs, des formules et actions populistes, ni des liens avec des personnes de pouvoir. Car parfois, les connexions entre le STRASS et les influents sont quasi-invisibles... Ainsi en va-t-il par exemple de cette tribune écrite par Stéphane Bribard, conseiller à la mairie du Xème arrondissement de Paris, signée par une centaine d’élus ou de personnes travaillant dans le monde politique (majoritairement PS et Verts), tenant un discours typiquement strassien, sans pour autant citer une seule fois ce groupe. Il faut se rendre sur le compte du réseau social du rédacteur de l’article pour constater qu’il est ami avec Morgane Merteuil. Mme Benbassa – bien qu’elle ait ouvertement défendu le STRASS et ses positions, notamment dans un article du "Huffington Post" en date du 12 novembre 201238 - devrait donc peut-être se pencher un peu plus sur le profil des groupes qu’elle finance si elle souhaite pouvoir utiliser le terme très à la mode de « transparence » à juste escient... D’une part, car selon les propres termes de la sénatrice, il s’agissait de financer des projets locaux – d’ailleurs, tous les autres financements sont attribués à des projets locaux. Or, le STRASS est subventionné au titre d’« Organisation d’une rencontre nationale des travailleurSEs du sexe ». D’autre part car on ne dispose que d’une moyenne des sommes versées aux divers groupes financés (4.785 €), de sorte qu’il est impossible de savoir exactement à quelle hauteur sont subventionnées les dites associations. Enfin, parce que, comme cela a été évoqué dans cet article, le STRASS lui-même demeure un groupe dont la visibilité est fortement réduite, et ce à tous niveaux. Ainsi, en termes de transparence justement - et malgré ce que laisse sous-entendre l’acronyme rutilant du fameux syndicat -, ici, on est plutôt dans l’opacité la plus complète. C’était. – Article reproduit avec l’autorisation de la Fondation Scelles, une ressource importante contre l’exploitation sexuelle. Notes 1. estherbenbassa.eelv.fr Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 avril 2013 |