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vendredi 27 septembre 2013 Charte des valeurs québécoises - Ni parfaite ni diabolique
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Le 9 septembre dernier, M. Bernard Drainville, ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne dans le gouvernement du Québec, a rendu public un document intitulé Parce que nos valeurs, on y croit. (1). Le ministre a invité toute la population à donner son opinion et à lui faire des suggestions. Depuis 12 ans, le site féministe Sisyphe.org a publié de nombreux articles sur la laïcité et les droits des femmes menacés ici même, de façon sporadique, par les intégrismes religieux et des demandes d’accommodements. Il a fait signer une pétition en faveur d’une charte de la laïcité, organisé une conférence sur le même sujet et présenté un mémoire sur le projet de loi 94. Par solidarité, il a aussi donné une place de choix à des analyses sur la condition des femmes et à des appels à l’aide de femmes vivant dans des pays où la religion dicte la politique d’État (2). Au cours de la même décennie, les Éditions Sisyphe ont publié deux livres, l’un au sujet d’une demande de tribunaux islamiques en Ontario, et l’autre sur la laïcité, la démocratie et l’égalité des sexes (3). En 2007 et en 2011, Sisyphe a appuyé sans réserve deux avis (4) du Conseil du statut de la femme (CSF) qui demandaient lui aussi la laïcité de l’État et de ses institutions, ainsi que le renforcement de l’égalité hommes-femmes et l’encadrement des demandes d’accommodements. Nous avons applaudi, en juin 2008, quand le gouvernement du Québec a amendé la Charte des droits et libertés de la personne pour y consacrer officiellement le droit à l’égalité entre les femmes et les hommes. C’était aussi une demande du CSF (5). Les avis du CSF constituent toujours « des phares » pour toute la société québécoise comme pour les femmes dans les débats actuels et futurs sur la neutralité de l’État, la laïcité et l’égalité hommes-femmes au Québec. On ne s’étonnera donc pas de l’accueil favorable que nous réservons au document présenté par le gouvernement du Québec. Nous en partageons les principes, les objectifs et les orientations générales. Le gouvernement québécois veut répondre aux attentes et aux demandes précises que maints groupes et citoyen-nes ont formulées depuis le rapport Bouchard-Taylor et même avant. Toutefois, certaines des modalités par lesquelles il compte y parvenir nous semblent contradictoires, même incohérentes. Neutralité, égalité femmes-hommes et accommodements Le gouvernement veut consacrer de manière officielle la neutralité religieuse de l’État - la séparation des religions et de l’État -, ce qui rallie l’ensemble de la société québécoise. Comme le document d’orientation le souligne, des trois valeurs fondamentales qui inspirent la société québécoise - la laïcité des institutions de l’État, l’égalité entre les femmes et les hommes et la primauté du français – seule la première n’a pas fait l’objet d’un texte de loi. Il est donc pertinent, tel que proposé, de modifier la Charte québécoise des droits et libertés afin d’y affirmer nommément la neutralité de l’État et le caractère laïque de ses institutions. Il est aussi nécessaire de fixer des critères pour évaluer des demandes d’accommodements - qu’ils soient formulées au nom de motifs religieux ou de motifs culturels -, et de subordonner ces demandes au respect de l’égalité entre les femmes et les hommes. Les croyances varient selon l’individu, le lieu et l’époque - et il arrive même qu’elles soient imposées par des tiers. Une société qui souhaite progresser ne peut permettre que des croyances individuelles, politiques, religieuses ou culturelles remettent sans cesse en question des droits collectifs, notamment les droits des femmes. L’État devrait même inscrire clairement dans la Charte québécoise des droits et libertés la primauté de l’égalité entre les femmes et les hommes sur la liberté de religion quitte à affronter le gouvernement fédéral et la Cour suprême du Canada. La loi de la Fonction publique oblige déjà le personnel de l’État à la neutralité politique. Quoi de plus normal qu’elle lui demande de respecter la neutralité religieuse. Le gouvernement se trouve aussi justifié de vouloir étendre cette neutralité « à l’ensemble du personnel de l’État au sens large : les ministères et organismes gouvernementaux, les réseaux publics de santé, de services sociaux et d’éducation ainsi que les municipalités, en y ajoutant les personnes qui exercent une fonction juridictionnelle, nommées par le Québec. » (Orientation no 2). Cette intention traduit le respect de la liberté de conscience de chacun et chacune, des citoyennes et des citoyens de diverses confessions comme des personnes non-croyantes. Neutralité « ouverte » ou à la carte ? Dans l’orientation no 3 du projet, le gouvernement décide donc à juste titre d’« interdire le port de signes religieux ostentatoires au personnel de l’État dans l’exercice de ses fonctions ». Mais il propose aussitôt de restreindre l’application de cette règle à certaines institutions et d’octroyer à d’autres un « droit de retrait », c’est-à-dire le droit de se soustraire à la règle commune. Les secteurs « exemptés » - de façon transitoire espère-t-il – seraient les municipalités, y compris les arrondissements, les sociétés de transports, les communautés métropolitaines et les régies intermunicipales ; le réseau public de la santé et des services sociaux (les agences de la santé et des services sociaux et les établissements publics) ; les collèges d’enseignement général et professionnel et les établissements universitaires. Cela représente une grande partie du personnel de l’appareil d’État provincial et municipal ! Encore plus étonnant, ce « droit de retrait » serait renouvelable tous les cinq ans ! Et qui déciderait de la pertinence de le renouveler ? Les institutions elles-mêmes ! On se demande pourquoi elles ne le renouvelleraient pas à l’infini, ce serait plus simple que de s’adapter aux règles communes. « Ce mécanisme introduirait un élément de flexibilité auprès de certains organismes et institutions de l’État dont la nature requiert une plus grande souplesse, explique le document gouvernemental. Toutefois, il ne pourrait viser l’obligation d’avoir le visage découvert, prévue à la quatrième orientation. » Encore heureux ! Ces exemptions et ce « droit de retrait » ne respectent pas l’esprit de la "neutralité" que le gouvernement veut instaurer. La neutralité de l’État concerne l’ensemble de l’appareil d’État ou bien elle ne concerne personne. De plus, accorder un privilège à certaines institutions ouvrirait la porte à de la discrimination et à de nouvelles demandes d’exemption. Si l’on veut « accommoder » certains groupes en prenant quelque liberté "provisoire" avec les notions de neutralité, de laïcité et d’égalité, on en fera monter d’autres aux barricades. Au lieu de la cohésion sociale qu’il recherche, le gouvernement aura accentué les conflits entre les citoyen-nes et entre les diverses communautés. On a invoqué dans des médias l’argument des « droits acquis ». Quels droits acquis ? Dans les domaines dont il est question, s’il est des personnes qui auraient pu réclamer des droits acquis au moment où l’État a entamé un processus de laïcisation de ses institutions, dans les années 60, ce sont les religieuses et les religieux catholiques, qui avaient porté jusque-là les systèmes d’éducation et de santé du Québec. Ils et elles n’ont pas demandé de « droits acquis », ou si peu (par exemple, des exemptions d’impôts sur les biens des institutions religieuses qui, aujourd’hui, n’ont plus leur raison d’être et devraient être supprimées). Dans n’importe quelle société humaine, la bonne volonté et la vertu n’ont jamais remplacé les lois. Les valeurs que le projet gouvernemental veut promouvoir et faire respecter - neutralité de l’État, caractère laïque de ses institutions, égalité entre les hommes et les femmes -, sont des valeurs fondamentales universelles, non des valeurs spécifiques au Québec. En accordant un caractère relatif à ces valeurs, l’État n’inciterait-il pas la population ou une partie d’entre elle à faire de même ? Ces valeurs et ces droits ne pourraient-ils pas être perçus comme facultatifs ? Si le gouvernement estime qu’une période de transition est nécessaire à l’application d’une mesure particulière, qu’il l’accorde à TOUT le personnel au service des institutions publiques, sans exception. En revanche, qu’il fixe lui-même un délai à la fin de cette transition et pour l’entrée en vigueur de cette mesure. Ainsi tout le monde se sentira engagé dans le même processus, dans le même projet de société. Le gouvernement exclurait une partie des citoyennes et des citoyens dans la fonction publique en y imposant la neutralité religieuse, il les empêcherait de travailler, disent les augures de malheur. Cet argument pourrait être invoqué également au sujet de la neutralité politique en brandissant toutes les chartes. Un gouvernement doit assurer à la population le respect de ses droits collectifs et empêcher que les libertés et les droits individuels les entravent. Le projet gouvernemental ne porte atteinte d’aucune façon à la liberté de religion ni à la liberté de travailler. Tout-e croyant-e peut pratiquer sa religion partout en dehors de son lieu de travail. S’exclure d’un travail dont on juge les conditions contraires à nos croyances et valeurs constitue un choix possible, que maints Québécois et Québécoises ont fait au cours de leur vie. « L’obligation d’accommodement religieux doit être considérée dorénavant comme un chemin à deux voies, écrit la chercheuse Yolande Geadah. Il incombe aux individus et non seulement aux institutions, comme cela a été interprété par les tribunaux jusqu’ici, de faire des accommodements pour se soumettre aux règles communes et laïques. » (6) Le crucifix, objet de discorde En affirmant la neutralité religieuse de l’État et le caractère laïque de ses institutions, le gouvernement doit donner lui-même l’exemple. Or, il tient mordicus à garder au mur de l’Assemblée nationale un symbole emblématique de l’union de l’Église catholique et de l’État de l’époque du premier ministre Maurice Duplessis, le crucifix. Le contraire même de la neutralité religieuse. Cherche-t-il à amadouer les milieux catholiques traditionnels ? Les évêques viennent de dire que cela ne les dérangerait pas qu’on retire le crucifix de l’Assemblée nationale. Le gouvernement semble vouloir se montrer plus catholique que le pape. S’il voit dans ce crucifix un objet du patrimoine culturel et religieux, il n’a qu’à le confier au Musée de Québec ou au Musée des religions du monde à Nicolet. En quoi renierait-il ainsi l’histoire du Québec ? Pour convaincre qu’il n’a pas l’intention de perpétuer une neutralité et une laïcité à géométrie variable, il lui faudra aussi revoir le financement public des établissements privés d’enseignement et des institutions qui se réclament des religions. Ces demandes figuraient d’ailleurs, de même que le retrait du crucifix de l’Assemblée nationale, parmi les recommandations du Conseil du statut de la femme dans les avis mentionnés précédemment. Finalement, il existe pour la population québécoise et pour des féministes plus de motifs d’appuyer que de rejeter le projet de « charte des valeurs »*. C’est un projet imparfait, oui, mais les prédictions apocalytiques que l’on entend à son sujet sont sans fondement et irrationnelles. Elles ne sont pas dépourvues de démagogie. * C’est pourquoi Sisyphe s’est joint au Rassemblement pour la laïcité dont on peut endosser ici la déclaration. Une pétition pour le retrait du crucifix circule également ici. Notes 1. Le titre complet du document est : Parce que nos valeurs, on y croit. Orientations en matière d’encadrement des demandes d’accommodement religieux, d’affirmation des valeurs de la société québécoise ainsi que du caractère laïque des institutions de l’État Site : www.nosvaleurs.gouv.qc.ca/ Mis en ligne sur Sisyphe, le 25 septembre 2013 |