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jeudi 3 octobre 2013

Charte des valeurs québécoises - Voir plus loin que le bout du foulard

par Micheline Carrier






Écrits d'Élaine Audet



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Dans le milieu multi-ethnique où je vis, je croisais de temps à autre quelques femmes portant le hidjab. Depuis que le débat sur la "charte des valeurs québécoises" a débuté, c’est par douzaine que j’en croise tous les jours. Une personne étrangère au quartier pourrait penser que la communauté maghrébine y est majoritaire, mais c’est plutôt la communauté haïtienne. Des étudiantes pré-ado d’une école privée, qui traversent régulièrement le parc voisin, ont commencé elles aussi à porter le hidjab avec leur costume scolaire. Hier, c’est une jeune femme dans la vingtaine de noir vêtue de la tête au pied que j’ai croisée dans l’autobus. Un moment, j’ai cru voir une religieuse de mon adolescence.

Sans doute assistons-nous à une réaction identitaire de solidarité au sein d’une partie de la communauté musulmane. Cette réaction s’explique. On a réussi à imposer à l’opinion publique l’idée erronée que le projet de "charte des valeurs québécoises" du gouvernement visait les femmes qui portent le foulard islamique, et elles particulièrement - et aux yeux de certain-es, elles seulement. Il peut sembler prétentieux de se croire le nombril du monde, mais c’est là la force de l’islamisme politique qui saisit toutes les occasions de marquer des points en exacerbant l’insécurité face à des menaces appréhendées.

Cette réaction excessive sur ce seul aspect du projet de charte des valeurs québécoises (l’interdiction du port de symboles religieux au personnel de l’État) est troublante. Elle en dit long sur un processus d’islamisation politique, discret mais toujours prêt à brandir ses étendards à la moindre occasion, et le hidjab est l’un de ses étendards. Ce processus tire profit du refus de nombre de Québécois-es de reconnaître sa véritable nature de peur de passer pour islamophobes.

Du point de vue de l’égalité des femmes et des hommes, une valeur que veut renforcer le projet de charte du gouvernement québécois, on mentionne rarement que d’autres contraintes accompagnent souvent le port du foulard islamique : séparation des femmes et des hommes dans des lieux publics, obligation pour les femmes d’être accompagnées d’hommes de leur communauté dans certaines circonstances, etc. Si la charia prescrit de se cacher les cheveux, le visage et autres parties du corps en public par modestie, soumission ou pour ne pas mettre la moralité des hommes en danger, que n’impose-t-elle pas aux femmes dans la vie privée ?

Des féministes individualistes (FFQ, Francine Pelletier, Françoise David, Micheline Dumont et autres) ne veulent pas voir plus loin que le bout du foulard. Le choix individuel partout toujours est devenu pour elles une valeur absolue. D’ailleurs, on les entend surtout au sujet du hidjab et des femmes qui le portent, alors que ce projet de charte est beaucoup plus large. Elles entonnent en choeur le credo islamiste selon lequel le gouvernement vise les femmes musulmanes. Il voudrait les empêcher de travailler, leur donnant le choix entre des emplois payants et convoités ou la pratique de leur religion. La mauvaise foi règne aussi en milieu féministe.

Si une femme ne veut pas postuler pour un travail parce que certaines conditions lui déplaisent, c’est son choix et qu’elle l’assume. Pour travailler en Afrique, dans les années 70, j’ai accepté les conditions de l’employeur et du pays d’accueil. J’ai commencé par ranger mes mini-jupes et autres frivolités qui auraient pu déplaire et j’ai gardé pour moi mes opinions politiques et identitaires. Immergée dans un milieu d’accueil chaleureux, j’ai vécu une expérience inoubliable sans perdre mes valeurs ni mes croyances personnelles.

Quand on refuse de se départir d’un symbole religieux huit heures par jour et qu’on s’attend qu’un employeur modifie les conditions de travail pour nous accommoder, on ne fait pas preuve d’une grande volonté d’intégration mais d’un fanatisme inquiétant. On le sait, mais toute la stratégie consiste à le faire oublier en diabolisant l’État et les personnes qui soutiennent son projet.

La présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, dont la « sortie » était peut-être maladroite mais légitime sous certains aspects*, prétend aussi que les femmes musulmanes portant le hidjab seront pénalisées par l’interdiction de symboles religieux dans la fonction publique. Elle veut faire des "études d’impact" sur les effets de cette seule clause de la charte des valeurs. Une "étude d’impact", pour le CSF, c’est une analyse différenciée selon les sexes. Le problème, c’est qu’elle annonce le postulat et la conclusion de l’étude avant sa réalisation : elle affirme que des femmes au travail pourraient se voir renvoyées à la maison si l’on maintient l’interdiction de symboles religieux dans l’appareil d’État. Ce qui préoccupe dans cette charte la présidente du CSF comme la FFQ, c’est le droit individuel au travail d’un certain nombre de femmes maintenant, non pas l’avenir de toutes les femmes québécoises ni de la société en général.

Faut-il rappeler une fois de plus que la majorité des femmes musulmanes au Québec ne portent pas le hidjab et qu’elles sont encore moins nombreuses à le porter au travail. La présidente du CSF voudrait donc faire des "études d’impact" pour une poignée de femmes. Peut-être serait-il plus utile d"en faire une sur les effets à long terme, pour l’ensemble des femmes musulmanes et des femmes non musulmanes vivant au Québec, de la caution par l’État d’un symbole d’infériorisation des femmes.**

Curieux tout de même que la présidente du CSF n’ait pas montré le même intérêt pour les femmes visées par les mesures odieuses imposées à l’aide sociale. Pas d’"étude d’impact" pour elles ? Pourtant, je parierais que les coupures touchent davantage les femmes que les hommes dans les deux catégories de bénéficiaires visés : du groupe d’âge 53 à 58 ans et les jeunes parents.

En tant que féministe, je suis mal à l’aise que certaines réclament un privilège au nom d’une religion, sachant à quel point l’intégrisme catholique a marqué l’histoire du Québec et en particulier celle des femmes. Je pense aussi à toutes ces femmes d’ailleurs qui luttent contre les intégrismes religieux parfois au prix de leur vie. Après tout, l’État ne demande aux femmes musulmanes rien de plus qu’aux autres membres de son personnel, toutes confessions confondues ou athées.

L’État ne peut reculer sur la question du port de symboles religieux dans l’appareil d’État sans encourager d’autres exigences : salles de prière de toute confession, refus d’être servi-e ou soigné-e par une personne de l’autre sexe, menu particulier dans les cafétérias des employé-es, séparation des hommes et des femmes dans un lieu donné pour les croyantes qui appliqueront à la lettre la charia, etc. Et pourquoi les autres confessions religieuses ne poseraient-elles pas aussi leurs conditions spécifiques ?

Le seul moyen d’assurer la neutralité de l’État et la laïcité est d’ignorer toute prescription religieuse ou identitaire.

Notes

* Il est vrai que c’est le gouvernement qui nomme les membres du CSF, mais la ministre aurait pu aviser la présidente des candidatures choisies plus d’une heure avant l’annonce publique des nominations.
** Le CSF a réalisé deux avis documentés et clairs sur la laïcité et l’égalité hommes-femmes. L’un de ces avis datent de moins de trois ans. Faut-il réévaluer les positions de l’organisme à chaque changement à la présidence, au conseil d’administration ou au gouvernement ?

 Lire aussi « Charte des valeurs québécoises - Ni parfaite ni diabolique », un appui critique au projet gouvernemental

 « Lettre au Ministre Bernard Drainville - Le hidjab a quelque chose à voir avec l’inégalité hommes-femmes »

 « Lettre ouverte à nos amies féministes - Nous avions jadis les mêmes ennemis : le patriarcat et les lois divines »

Mis en ligne sur Sisyphe, le 29 septembre 2013



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Micheline Carrier
Sisyphe

Micheline Carrier est éditrice du site Sisyphe.org et des éditions Sisyphe avec Élaine Audet.



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