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jeudi 9 janvier 2014

Prostitution - Fille de survivantEs et hétérosexuelle, j’emmerde la décision de la Cour suprême du Canada !






Écrits d'Élaine Audet



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La décision rendue vendredi par la Cour suprême du Canada ravive en moi la peur que m’ont transmise mes parents eux-mêmes survivantEs d’agressions sexuelles. Cette petite alarme qui se déclenche dans votre ventre, juste en bas du nombril et qui irradie tout votre corps, quand un événement violent se passe sous vos yeux ou pour vous prévenir d’un danger imminent. Celle qui sonne quand on sait que c’est le temps de partir avant qu’il nous arrive une merde. Cette envie d’aller vous cacher loin de tous pour être certaine que personne ne pourra vous trouver, là où vous vous sentirez protégée. Cette alarme a retenti dans mon corps quand j’ai compris la décision de la Cour suprême.

En tant que jeune femme et sans emploi, j’ai mon mot à dire quant il s’agit de la décriminalisation de la prostitution. Une fois que la prostitution deviendra vraiment un métier comme un autre au sens de la loi, croyez-vous qu’Emploi Québec ne se servira pas de ce nouveau secteur d’emploi pour refuser des demandes d’aide ou nous diriger lui-même vers les bordels ? Quand on rend acceptable au sens de la loi la violence prostitutionnelle, on la rend acceptable pour toutes. En plus, je ne sais pas si vous vous êtes présentées dans un bureau local d’emploi dernièrement, mais il n’offre aucune aide au changement de carrière. Alors qu’arrivera-t-il si vous n’avez que des expériences prostitutionnelles ? Davantage de pression s’exercera sur les femmes qui ne sont pas dans la prostitution pour qu’elles gardent leur emploi coûte que coûte, et pas plus de choix ne seront offerts aux femmes prostituées qui veulent sortir de la prostitution.

Je n’utiliserai pas le langage d’une universitaire parce que je ne suis pas allée à l’université. Il n’y aura pas de citations d’auteures, que vous risquez de ne pas avoir lues, parce que je n’en utilise aucune. Il n’y aura que très peu de réflexions compliquées sur les violences sexuelles parce que je pars surtout de mon propre vécu. Et surtout, je ne prendrai pas la parole à la place des femmes prostituées parce que je réfléchis sur l’impact qu’a l’exploitation sexuelle (entre autre commerciale) et la pornographie dans ma vie de femme non prostituée. Trop souvent, la sphère prostitutionnelle est représentée comme si elle ne touchait que la femme prostituée, le prostitueur et le proxénète. Alors que le prostitueur est souvent un homme de notre entourage.

La décision de la Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada a décidé d’invalider trois articles du Code criminel concernant la prostitution : l’article 210 sur les maisons de débauche, l’article 212(1)(j) concernant le fait de vivre des fruits de la prostitution et l’article 213(1)(c) sur la communication (sollicitation). Durant un an, le jugement est suspendu pour laisser le temps au parlement, s’il le veut, de prendre de nouvelles dispositions ou d’écrire une nouvelle loi. Dans le cas où le parlement n’agirait pas, le jugement serait appliqué sans ces trois articles et ceci équivaudrait à une décriminalisation non seulement des femmes prostituées, ce que les féministes de toutes tendances confondues demandaient, mais aussi des pimps et des prostitueurs, ce qui est bien moins réjouissant pour nous, les abolitionnistes... de toutes tendances confondues.

Dans plusieurs articles de la presse mainstream (du courant d’opinion dominant), il est écrit que les femmes prostituées se réjouissent de la décision de la Cour suprême. Bon nombre d’articles ne mentionnent même pas le point de vue de survivantes de la prostitution qui veulent une criminalisation des prostitueurs et des proxénètes. La crédibilité des femmes prostituées est toujours remise en question : on se demande si elles sont représentatives ou non de leur condition. S’est-on demandé à qui sert cette division ?

Les femmes qui ont porté la cause devant la Cour - Terri Jean Bedford, Amy Lebovitch et Valerie Scott - sont présentées partout comme étant trois prostituées ou ex-prostituées alors que deux d’entre elles veulent être ou ont été des proxénètes. Il y a peu de moyens pour se sortir de la prostitution, mais il en existe un qui consiste à profiter de l’exploitation sexuelle des autres femmes autour de soi. Il s’agit de devenir pimp ou Madame. Terri Jean Bedford a été tenancière de bordels. Elle administrait le Bondage Bungalow qui a été perquisitionné et fermé dans les années 1990. Puis, elle a été accusée d’exploiter une maison de débauche en 1994, la Sade’s House of Erotica, et condamnée en 1999. Quant à Valerie Scott, elle avait espoir de pouvoir ouvrir un bordel. Passer sous silence cette information revient à nier l’existence du proxénétisme à l’intérieur même des forces qui agissent dans cette cause et qui déterminera le sort des femmes prostituées et de toutes les autres femmes. Je vous invite à lire cet article pour en savoir plus « Some “Sex Workers” Aren’t Just That… »

Pour la décriminalisation des femmes prostituées et la criminalisation de tous et toutes les proxénètes et prostitueurs

Fille d’une mère survivante d’inceste et d’un père survivant d’actes pédophiles, le seul moyen qu’elle/il aient trouvé pour nous protéger de ce qu’elle/il ont considéré comme étant les causes de leurs agressions, c’était de nous cacher. Nous vivions dans un coin reculé d’un village de moins de 3000 habitantEs. Le moins de contact possible avec la famille de ma mère, le moins de contact possible avec des zones habitées densément peuplées. Intérêt principal dans la vie, protéger mon intégrité physique et sexuelle coûte que coûte parce que mes parents ont perdu la leur.

Par conséquent, j’en connais beaucoup sur les conséquences des violences sexuelles sur la vie des femmes et des hommes, les ayant vécues. Je souffre d’une merde qui s’appelle la transmission intergénérationnelle d’un psychotraumatisme liée à la violence : ça signifie que les agressions que mes parents ont vécues, je les vis en partie, du moins certaines de leurs conséquences, sans pour autant les avoir vécues moi-même. Je fais partie de ces deux tiers de femmes qui n’ont pas été abusées, mais qui en vivent tout de même une partie des effets non négligeable. Quelle chance !

Quand bien même que je ne comprends pas tout parce que je n’ai pas vécu ces agressions directement, hériter du traumatisme de quelqu’unE d’autre et construire son enfance sur les non-dits, les peurs, la culpabilité, la honte, une estime de merde, l’incompréhension du manque d’intimité physique avec mon père et la peur qui s’y rattache, l’isolement en général, etc., n’a rien d’évident. J’ose à peine imaginer les conséquences que peuvent avoir des viols répétitifs vécus dans le système prostitutionnel. Acheter le silence de la femme prostituée ne signifie pas avoir son consentement.

Mes parents m’ont inculqué par la peur l’importance de préserver cette petite partie de nous que les survivantEs n’ont plus et ont peine à reconstruire. Alors, c’est avec beaucoup de colère et de peur que j’emmerde la décision de la Cour suprême, un système de justice qui ne me représente pas.

Alors que la quasi totalité des anti-capitalistes se réjouissent, ces derniers jours, de cette grande avancée pour l’autodétermination des femmes prostituées, ils et elles se leurrent quant à cette mise en scène grotesque d’un système de justice pour les riches et les propriétaires. Lorsqu’il s’agit d’identifier un patron qui se présente dans un habit de cuir avec un fouet, il semble bien difficile pour les anti-capitalistes d’y voir clair.

Tout ceci au nom des libertés individuelles, comme si le système capitaliste ne les défendait pas suffisamment : les anarchistes non matérialistes ont encore démontré leur incohérence alors qu’ils et qu’elles défendent une industrie très lucrative et reproductrice de violence contre-révolutionnaire.

On m’a enlevé mes amoureux, mes amants et mes camarades

Ma mère m’a bien sensibilisée aux risques des agressions sexuelles dès le plus jeune âge, à 4 ans, mais elle a négligé de me dire que c’est plus souvent des hommes proches de nous que nous devions nous méfier... ainsi que de nous-mêmes. Étant restée à l’écart des relations avec les hommes jusqu’au début de la vingtaine, ne répondant à aucun standard de la prétendue féminité afin de repousser le plus d’hommes possibles, ayant défini une liste claire sur les qualités que devrait avoir un homme respectable, je croyais être en mesure de déceler les hommes avec lesquels je pourrais vivre des relations sans risquer de vivre des abus sexuels dans mon intimité.

Je me croyais en sécurité avec un homme qui n’avait « pratiquement » pas eu de relations intimes jusqu’alors avec une femme, mais mon lit est rapidement devenu un champ de bataille. « Ralentie ! », « Pas si fort ! », « Tu me fais mal ! », « Arrête ! », « Pas comme ça ! ». Je n’arrivais jamais à avoir du plaisir et il essayait, et il essayait, toujours PLUS FORT. Incapable de lui dire ce que je pouvais apprécier ou ce qui pourrait me donner du plaisir, je lui ai laissé du terrain, je lui ai laissé mon corps et j’ai attendu.

Lui, il avait l’air de savoir ce qu’il voulait, ce devait être moi qui n’avais pas assez de goût pour le cul pour aimer ces prouesses. Quand je l’ai aidé à vider son garde-robe, j’ai compris d’où venait le fait qu’il sache tant ce qu’il voulait...

Selon ses dires, il n’avait pas vraiment eu de relation intime avec une femme auparavant. Je me suis questionné un jour sur le « pas vraiment ». J’ai finalement appris qu’il avait prostitué une femme pour ses 18 ans. Il faut croire que, selon lui, une prostituée n’est pas une femme ! Peut-être que ça faisait davantage référence à sa définition d’un trou qu’on défonce plus qu’à une femme. Selon lui, il n’a pas prostitué cette femme, ce sont ses amis qui lui avaient payé « une pute ». Alors il ne l’a pas prostitué, il en a juste profité pour la « baiser ». Elle avait déjà été payée, il ne pouvait quand même pas lui dire qu’elle s’était déplacée pour rien et de repartir avec l’argent !!!! Vous savez les jeunes hommes qui ne sont pas populaires avec les femmes ont de ces désirs IRRÉPRESSIBLES qu’ils doivent combler à tout prix !!! Note à moi-même : Si une telle confidence m’était à nouveau confiée, dévisser le gland du pénis de l’homme en question et puis le greffer sur sa tête pour que toutes puissent voir quelle partie du corps cet homme utilise au-dessus de toutes les autres.

C’est là que les « C’est à mon tour cette fois ! » sont arrivés, puis les « J’ai presque fini ! » Je me demande encore quand ça été mon tour. Il pouvait jouir sans jamais se rendre compte que je n’avais eu aucun plaisir et que je regardais le plafond ou le plancher tout le long de la relation. Je ne la qualifierai pas uniquement de sexuelle, mais de pornographique aussi, parce que selon moi dans une relation sexuelle il existe un partage et un échange du plaisir entre les partenaires « dumb-ass » (borné, débile, se traduit aussi par gland en argot).

Une relation sexuelle pornographique est presque toujours dirigée par l’homme. Elle tend à nous convaincre, nous les femmes, que nous ne pouvons trouver de plaisir que dans la pénétration du « toujours plus fort, toujours plus profond, plus dégradant » qui passe entre autre par notre douleur et qui n’a que pour résultat le viol de notre intimité et notre domestication à la passivité. Nous demeurons dans l’attente du plaisir qui ne pourra arriver que si nous nous domestiquons suffisamment à apprendre à jouir lorsque et seulement si notre partenaire y arrive.

Ses efforts pour me donner du plaisir ont rapidement fait place à ses efforts pour me faire taire. Sa sensibilité et son sentiment de culpabilité de ne pas arriver à me donner du plaisir ont fait place à son égoïsme machiste. Il me rendait responsable de ne pas réussir à éprouver du plaisir et par le fait même se déresponsabilisait de devoir essayer de m’en donner. Je n’avais même pas à faire semblant d’aimer ça, il a simplement fini par s’en foutre éperdument. Et tout ça pendant que je faisais mes premiers pas dans le(s) milieu(x) féministe(s).

Ce n’était pas la façon de faire de cet homme qui devait être remise en question, mais mon corps qui ne réagissait pas comme il le devait. C’était mon corps le problème parce que lui, il arrivait à en avoir du plaisir. C’était devenu toujours son tour ! Je me sentais de plus en plus comme une poupée de chiffon : sur les genoux, accroupie, sur le ventre, les jambes écartées, sur le dos, les jambes dans les airs, sur le côté,…, mais mon esprit s’éloignait toujours de plus en plus loin de moi. C’est l’impression qu’a laissé sur moi cette relation de « violence ordinaire », l’impression d’être loin de moi-même.

La notion même de consentement est complètement pervertie dans la civilisation patriarcale. Elle ne sert en ce moment qu’une justice bourgeoise qui s’illusionne d’avoir atteint l’égalité entre les sexes et qui empoche des milliards en profit provenant d’industries qui encouragent la haine des femmes pour elles-mêmes.

Je savais qu’il avait grandi avec la pornographie comme seule éducation sexuelle, mais je sous-estimais à quel point il était colonisé par elle. Je trouvais plusieurs de ces « nouvelles idées, qui tombaient de nulle part », assez douteuses. J’ai appris plus tard qu’il consultait des sites porno pour savoir comment me donner du plaisir. Pas étonnant qu’il ait cru que c’était mon corps qui ne réagissait pas comme il l’aurait dû : il n’a pas compris que les femmes qu’il regardait dans la porno ne sont le fruit que des fantasmes d’hommes débiles comme lui et qu’elles n’éprouvent pas de plaisir à faire ce qu’elles font. Il m’avait menti lorsqu’il m’avait dit qu’il n’avait pas eu de relation intime avec une femme avant moi. En fait, il avait partagé sa sexualité, ou plutôt les plaisirs de sa queue, avec des centaines et des centaines d’actrices porno et une femme prostituée.

Je lui ai donné le choix : tu vis ta sexualité avec des actrices porno ou une femme en chair et en os. Nous avons vidé sa garde-robe remplie de DVD porno aux coouvertures plus douteuses les unes que les autres et de quelques vieux VHS dans un sac à vidange XL, que nous avons dû doublé puis triplé. J’ai voulu prendre mes jambes à mon coup et partir. Note à moi-même : Si l’envie me gagne à nouveau de prendre mes jambes à mon coup et de partir sans jamais revenir, faire confiance à mon corps sur ce coup-là parce qu’il n’est pas si mal foutu que ça finalement !

Le suivant n’a pas fait mieux. Après une première aventure, ce nouvel amant m’a demandé si je pouvais lui faire une fellation et s’il pouvait finir en m’éjaculant dessus. Il a eu droit à un flot d’insultes de ma part, lui rappelant à quel point il était un porc ainsi qu’un con doublé d’un misogyne... Pour lui, cette demande était tout à fait normale parce que d’autres femmes l’avaient déjà acceptée.

La pornographie colonise tout l’imaginaire fantasmatique des hommes. Il nous faut mener la lutte révolutionnaire telles des Amazones jusque dans notre lit, au moment où nous sommes nues et fragiles. Décoloniser nos fantasmes et notre corps de cette domestication à la soumission si nous ne voulons pas être détruites par eux.

Il y a quelques années, j’ai vu de mes camarades communistes regarder de la pornographie et prétendre que ce n’était qu’un divertissement. « Libérer tous les prolétaires, la libération des femmes se fera après. » « Il ne s’agit pas de la question principale en ce moment. » « La femme serait passée de la domination par l’homme à celle du capital. »

Chez les anarchistes non matérialistes, ce n’est pas mieux. On défend l’exploitation sexuelle commerciale en souhaitant une décriminalisation de la prostitution légitimant ainsi une industrie capitaliste lucrative et les proxénètes qui ne sont rien de moins que des patronNEs. Ils et elles prônent une réappropriation de l’exploitation sexuelle dans une logique d’autogestion comme si celle-ci rendrait plus acceptable la violence de l’oppression.

L’exploitation sexuelle et son contexte ont réduit toutes mes chances de trouver un amoureux accompli, un amant respectueux et des camarades de lutte.

Anarchistes et matérialistes

Les anarchistes matérialistes sont peu nombreux/ses, mais il en existe. Ce n’est pas au nom des libertés individuelles que nous réussirons à combattre la violence de l’oppression, mais en privilégiant le bien-être collectif et global.

La sur-représentation des femmes autochtones dans l’industrie du sexe est le résultat direct de l’oppression coloniale et rend caduque la notion de choix dans le processus d’entrer dans la prostitution. L’inaction des policiers de la GRC dans l’enquête sur les femmes autochtones tuées et portées disparues démontre tout autant l’incohérence des abolitionnistes réformistes de vouloir renforcir une structure machiste. Ce n’est pas en laissant fleurir une industrie qui se nourrit des oppressions sexistes, coloniales, racistes... et j’en passe, que nous serons solidaires des femmes dans la prostitution, mais bien en reconnaissant la violence vécue par ces femmes qui osent en parler.

Il faut mettre de l’avant des groupes autonomes de femmes menés par des femmes qui ont/ont eu un vécu prostitutionnel pour créer des initiatives réelles afin de permettre de sortir de la prostitution.

Si les organisations « pro-travail du sexe » sont des syndicats dans lesquels les proxénètes jouissent d’une position de choix, dans les organismes abolitionnistes réformistes ce sont les militantes féministes qui jouissent de cette position.

Elles sont rares celles qui poseront un regard sur leur propre vie intime afin de témoigner des impacts du système prostitutionnel sans prendre la parole à la place des femmes prostituées. Je prends la parole pour moi-même en tant que femme non prostituée affectée moi aussi par les différentes formes d’exploitation sexuelle commerciale ou non.

Nous devons aussi nous rendre compte que nous pouvons entretenir nous-mêmes la reproduction de la domination patriarcale dans nos relations intimes, alors que nous défendons publiquement des positions politiques complètement différentes, et cela ne se limite pas qu’aux femmes hétérosexuelles.

Je vous invite dans la prochaine année, vous, femmes non prostitutées solidaires des femmes dans la prostitution, à faire de même.

Cet article a été publié d’abord sur le blogue de l’auteure dans le site Média Coop de Montréal. L’auteure a autorisé Sisyphe à le diffuser et nous l’en remercions.

À écouter : Entendre les femmes dans la prostitution avec Shanie". Une entrevue de l’auteure avec Shanie, une militante anarcha-féministe, sur la récente formation donnée par une organisatrice de la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) au Comité Local d’Implication Citoyenne Maisonneuve (CLIC-M), à l’initiative du sous-comité « les Alternatives ».

Mis en ligne sur Sisyphe, le 6 janvier 2013

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