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mardi 15 avril 2014

Lettre à Québec solidaire sur la laïcité

par Alban Ketelbuters, doctorant aux départements de Lettres et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal






Écrits d'Élaine Audet



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Après avoir dissous l’Assemblée nationale le 5 mars, Pauline Marois a annoncé des élections législatives anticipées, en date du 7 avril. L’identité nationale et la laïcité en sont deux des principaux enjeux. À l’opposé du nationalisme ethnique, la charte des valeurs défendue par les souverainistes, et une partie des féministes, vise à promouvoir une conception citoyenne de la nation, antinomique avec la philosophie différentialiste inhérente au multiculturalisme, et aux déclinaisons communautaristes qui en résultent.

Le Parti québécois critique à juste titre le principe de « l’accommodement raisonnable », qui sous-tend l’idée que tout citoyen invoquant des motifs religieux ou coutumiers peut se dérober à la Loi commune en toute impunité. A contrario, le principe de laïcité demeure fidèle non seulement à l’esprit de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui stipule dans son article VI que « la Loi [...] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse », mais aussi aux idéaux hérités de la Révolution tranquille.

En espérant faire du Québec un État-nation fondé sur le principe de laïcité, le Parti québécois entend parachever les acquis de la Révolution tranquille, et notamment le processus de laïcisation des institutions. Pour autant, si la charte préconise l’interdiction du port de signes religieux ostentatoires pour le personnel de l’État dans l’exercice de ses fonctions, celle-ci occulte d’autres points essentiels : quid du crucifix à l’Assemblée nationale ? Quid du financement public des écoles confessionnelles ?

À travers leur charte, les souverainistes placent au centre du débat public les fondamentaux préalables à l’indépendance du Québec : un modèle d’intégration républicain, l’égalité entre les sexes, un socle commun de principes collectifs qui présideront à l’avènement d’une démocratie multiethnique et multiconfessionnelle, la lutte contre les intégrismes religieux. Le Parti québécois a d’ailleurs repris la proposition de l’ex-députée Fatima Houda-Pépin, exclue du Parti libéral du Québec pour ses prises de position en faveur de la charte, de créer un centre de recherche sur les crimes d’honneur et l’intégrisme.

À l’inverse, considérant les citoyens et citoyennes de confession musulmane comme un bloc abstrait et monolithique d’opprimés, vous en appelez au relativisme culturel. Si, comme l’a démontré le philosophe Henri Peña-Ruiz, « l’adjectivation du concept de laïcité est expressive d’une sourde hostilité », comment faut-il appréhender la laïcité "ouverte" ou "inclusive" que vous défendez avec tant de vigueur ? Emblématique de l’islamo-gauchisme, Québec solidaire incarne cette improbable alliance d’une partie de la gauche et des féministes avec les tenants d’un islam politique rigoureusement décrit par l’essayiste Djemila Benhabib dans Les Soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident. Candidate souverainiste dans Mille-Îles, cette dernière est aujourd’hui poursuivie par une école musulmane de Montréal pour avoir tenu des propos « diffamatoires et anti-coraniques ».

Pourquoi vous réclamez-vous davantage des positions intellectuelles de Charles Taylor - lequel soutenait l’instauration de tribunaux islamiques en Ontario - que d’une laïcité enviée par des millions de femmes et d’hommes sur le globe, et plébiscitée par les forces démocratiques et progressistes des sociétés dans lesquelles la religion fait loi ? Alors qu’en Tunisie, le doyen de la Faculté des lettres de la Manouba, Habib Kazdaghli, s’élevait contre les ukases islamistes imposant aux femmes le port du niqab dans l’université, vous faisiez du port du foulard islamique dans la fonction publique québécoise une cause féministe. Élisabeth Badinter n’a-t-elle pas raison de souligner que « le féminisme est menacé dans son unité par les courants religieux » ? Pourquoi louez-vous les thèses du Collectif québécois contre l’islamophobie, dont vous savez qu’il est soutenu par l’imam Salam Elmenyawi, le président du Conseil musulman de Montréal, qui prône l’institution de tribunaux islamiques au Canada appliquant la charia en matière pénale ?

Vous savez pertinemment que le terme même d’islamophobie, éminemment controversé et critiquable, fut d’abord utilisé par les mollahs iraniens à la fin des années 70 à l’encontre des musulmanes libérales qui refusaient de se voiler, puis quelques années plus tard par les milices de Khomeini lors de la publication des Versets sataniques de Salman Rushdie, visé par une fatwa. L’accusation d’islamophobie est également relayée dans les médias par de jeunes musulmanes aux voiles colorés et fleuris, à l’instar de Dalila Awada, proche de l’association Bridges dirigée par l’imam khomeiniste Ali Sbeiti. Les militantes islamistes ont tout intérêt à travestir un symbole de soumission des femmes en accessoire de mode dépourvu de toute charge politico-religieuse. Ne l’avez-vous pas encore compris ?

Alors que le Parti québécois plaide pour une égalité de traitement de tous les citoyens et citoyennes au-delà des particularismes ethniques et religieux, vous défendez paradoxalement la conception prérévolutionnaire de la nation et le retour des tribus. Comme le PLQ, vous faites le jeu de tous les intégrismes en privilégiant l’appartenance clanique sur l’intégration et l’intérêt général.

Dans son essai L’identité malheureuse, le philosophe Alain Finkielkraut rappelle que « le cléricalisme était autrefois l’ennemi contre lequel se rassemblaient toutes les familles de la gauche. Cet ennemi a disparu [...] Deux groupes, une nouvelle fois, s’affrontent, bloc contre bloc, mais ces deux groupes parlent le même langage. Ils se rangent passionnément sous la même bannière. Ils ne sont pas la gauche et la droite, le progrès et la réaction, le parti de la confiance en l’homme et le parti de la tutelle de Dieu. Ils s’accusent mutuellement d’intégrisme, car ils sont, l’un et l’autre, laïques. Il n’y a que des laïques désormais en France et plus généralement dans les sociétés occidentales ».

Il y a tout particulièrement deux visions de la laïcité qui s’affrontent et que distingue à raison Djemila Benhabib : une « laïcité de séparation des religions et de l’État » et « une laïcité de reconnaissance des religions par l’État, qui n’a plus rien à voir avec la laïcité ».

Le porte-parole de Québec solidaire, Andrés Fontecilla, a récemment déclaré : « La laïcité a été appropriée par la droite française et même l’extrême droite, Monsieur Sarkozy et Madame Le Pen ». Or cette affirmation n’a pas de réalité. Opposé à la Loi de 2004 interdisant le port des signes ostensibles religieux dans les écoles, collèges et lycées publics, l’ancien chef d’État français inaugura sa présidence par un discours au palais du Latran à Rome. Il y présentait les religions comme un « atout » pour la République, il y affirmait que « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur » et, s’adressant aux cardinaux, il concluait en ces termes : « Partout où vous agirez, dans les banlieues, dans les institutions, auprès des jeunes, dans le dialogue inter-religieux, dans les universités, je vous soutiendrai ».

La loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public est le fruit d’une mission d’information sur « la pratique du port du voile intégral sur le territoire national » initiée par le député André Gerin, membre du Parti communiste. Marine Le Pen n’a quant à elle jamais critiqué le financement public des écoles privées catholiques ni le régime concordataire en Alsace Moselle. Elle réclame par ailleurs l’interdiction du voile islamique et de la kippa dans la rue. Ce projet liberticide n’a rien de commun avec la charte des valeurs proposée par le Parti québécois, qui n’exige de neutralité qu’aux seul-e-s employé-e-s de l’État, pendant les heures de travail. Comment pourrait-on croire au caractère laïque d’institutions représentées par des individus arborant une croix de taille excessive, une kippa, un voile islamique ou un turban sikh ? La neutralité religieuse de l’État implique celle de ses représentant-e-s, c’est l’évidence même.

Quand comprendrez-vous que l’émancipation laïque est aussi fondamentale que l’émancipation sociale et économique ?

Merci à l’auteur. Texte publié d’abord dans sa chronique du Huffington Post Québec, le 27 mars 2014.

Alban Ketelbuters est doctorant aux départements de Lettres et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 1 avril 2014

 Lire aussi : "Voter pour la laïcité et contre l’intégrisme religieux"



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Alban Ketelbuters, doctorant aux départements de Lettres et d’études féministes de l’Université du Québec à Montréal



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