On connaît la politologue Pierrette Bouchard, ses recherches en éducation, ses nombreuses publications, ses analyses éclairées sur le féminisme et l’actualité. Dans un style impressionniste inhabituel et délibéré, elle exprime ici son indignation à l’issue d’une campagne électorale qui a conduit à la défaite de la première ministre Pauline Marois et de son parti. Pierrette Bouchard nous appelle à une réflexion collective en exprimant une colère que ressentent plusieurs d’entre nous sans oser l’exprimer ou sans avoir “les mots pour la dire”. Sisyphe
Aujourd’hui, je suis en colère.
J’entends qu’il ne faudrait pas le dire, qu’il faudrait plutôt se l’enfoncer soi-même dans la gorge et s’étouffer avec.
C’est que la colère est mauvaise conseillère » ; une détestable attitude… surtout chez les femmes, c’est laid ; une mauvaise inspiration, il va sans dire, pour l’analyste politique.
La colère fait peur. Source de chicane et de malaise, elle engendre le silence réprobateur. Le pouvoir du bien-pensant, du méprisant, du condescendant.
Surtout, surtout ne pas se montrer chicanier, acrimonieux, « mauvais perdants » mais avaler, « tendre l’autre joue ».
La colère est pourtant un puissant moteur d’action, un révélateur d’authenticité.
L’indignation génère sa propre capacité d’agir. Les survivantes le savent.
Dans toutes les situations d’abus vécues par les femmes, la révolte devient motivation à briser les secrets, à parler, à dénoncer, à se défendre, à partir, à se regrouper.
À ne plus courber l’échine.
Je suis en colère au lendemain de la défaite de Pauline Marois, la seule femme première ministre que le Québec ait connue et dont le mandat a été le plus court.
On lui mettra tout sur le dos, Pauline, madame Marois, ces hypocrites capables dans un même souffle de beaux discours sur l’égalité entre les hommes et les femmes.
Je suis en colère devant l’entreprise de sape systématique des médias fédéralistes qui, après avoir tendu tous les pièges imaginables, se délectent des jambettes qu’ils lui ont faites et dans lesquelles elle trébuche.
Je m’indigne de la bassesse des soi-disant penseurs qui n’ont de cesse d’enfoncer dans le crâne des gens combien ils sont petits et étroits d’esprit.
Les mêmes qui discourent du même souffle sur l’ouverture et l’inclusion.
Je dénonce le travail souterrain des intégristes auprès des élu-es.
Je questionne l’intégrité de ces derniers, leur capacité de tricher, de mentir et de créer des stratagèmes.
Je dénonce l’acharnement, l’électoralisme et l’opportunisme d’une certaine gauche qui prétend du même souffle faire les choses autrement.
Je suis en colère, je ne la cacherai pas. Je ne l’avalerai pas.
Plus critique et plus vigilante que jamais.
Mis en ligne sur Sisyphe, le 9 avril 2014