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vendredi 30 mai 2003 Identités de sexe, conformisme social et rendement scolaire
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Depuis quelques années déjà, un questionnement nouveau a gagné le monde de l’éducation. Dans la plupart des pays industrialisés, en effet, les statistiques montrent que plus de filles que de garçons connaissent du succès à l’école. Elles prennent moins de temps à terminer leurs études primaires, complètent leurs études secondaires en plus grand nombre et constituent maintenant une majorité à l’université. Comment expliquer ce phénomène ?
Une interprétation domine. Elle s’appuie sur la conformité sociale. Dans le processus de reproduction des rapports sociaux de sexe, les filles se soumettraient aux stéréotypes qui leur sont assignés socialement, telles la docilité et la soumission, ce qui leur conférerait un avantage sur le plan scolaire : une meilleure autodiscipline en classe, un plus grand respect de l’autorité, plus de temps investi dans les travaux scolaires, etc. Les valeurs scolaires seraient ordonnées en fonction de la "petite fille modèle" et l’institution devrait être modifiée afin de s’adapter à l’identité masculine. Dans ce cadre, aucune ouverture au rôle joué par l’élève elle-même dans sa formation ni vers l’évolution des identités de sexe construites socialement. Notre équipe poursuit un programme de recherche depuis une dizaine d’années sur le sujet. Dans un premier projet, deux questions nous ont guidés : quel rôle jouent les stéréotypes sexuels, le cas échéant, dans la réussite scolaire ? Est-ce que les stéréotypes sexuels contribuent à expliquer l’avance prise par les filles ? Une revue de la documentation portant sur les différenciations entre garçons et filles a permis d’inventorier 82 stéréotypes masculins ou féminins courants. Nous en avons tiré un questionnaire d’enquête facilement accessible à des jeunes âgés de 15 ans. Ils étaient invités à y réagir sur une échelle allant du "pas d’accord du tout" à "tout à fait d’accord". Nous avons rejoint plus de 2 000 élèves fréquentant l’une des 24 écoles secondaires québécoises choisies au hasard suivant une procédure assurant la représentativité. La compilation des réponses montre une plus grande adhésion des garçons aux stéréotypes sexuels masculins (88%) que des filles aux stéréotypes sexuels féminins (44%). Dans l’ensemble, les garçons font preuve de plus de conformisme social. L’analyse a ensuite été faite en fonction du rendement scolaire pour montrer que plus l’adhésion est grande, moins les résultats sont bons. Cette conclusion est valide autant pour les garçons que pour les filles et peut se reformuler comme suit : le fait de résister aux assignations identitaires stéréotypées est associé statistiquement au succès scolaire. Les filles ne confirment que 44% des propositions et obtiennent de meilleurs résultats, les garçons en valident 88% et leurs performances en sont conséquentes. L’adhésion aux stéréotypes sexuels a aussi été vérifiée suivant le niveau de scolarité des parents . Encore ici, la conclusion vaut pour les deux groupes : les enfants dont les parents sont le plus scolarisés résistent plus volontiers aux assignations identitaires sexuées. La conformité aux identités sexuelles traditionnelles est plus forte dans les familles où les parents sont moins scolarisés. Ce résultat doit être mis en relation avec un acquis de la recherche, à savoir que les jeunes d’origine sociale défavorisée sont aussi ceux que l’on définit comme étant le plus "à risque" sur le plan scolaire. Confrontant l’interprétation basée sur la conformité sociale des filles, qu’avons-nous démontré ? Dans l’ensemble, plus que leurs confrères, les filles tendent à résister aux stéréotypes sexuels et montrent moins de conformisme. Elles refusent de se définir comme étant dociles ou soumises et réussissent mieux à l’école. Qui plus est, comme chez les garçons, ce sont celles qui sont le moins conformistes qui réussissent le mieux. Pour saisir vraiment ces résultats de recherche, l’école doit être replacée dans le contexte plus large des rapports sociaux de sexe. Les plus grands succès scolaires des filles se lisent alors dans une logique de transformation des rapports entre les hommes et les femmes. Ce processus conduit les filles et les femmes à s’investir davantage afin d’atteindre, par le biais de l’éducation, une plus grande autonomie. Cette recherche d’égalité ne peut être confondue avec le conformisme social. Au contraire, la performance scolaire, la persévérance et l’accès aux études supérieures constituent des manifestations de résistance. Dans une recherche subséquente, de tels constats nous ont conduits à investiguer l’espace des dynamiques familiales pour comprendre le développement de la pensée critique. Nous avons fait des entrevues individuelles avec les membres de 20 familles provenant de deux milieux socio-économiques différents, familles qui avaient la caractéristique de compter un frère et une sœur fréquentant la même école secondaire. L’analyse des prises de position parentales fait ressortir une rationalité commune aux deux parents et qui vaut pour les deux enfants : la scolarisation perçue et présentée comme outil de mobilité sociale. S’y greffe dans le cas des mères et de quelques pères un message qui s’adresse plus particulièrement aux filles en réussite scolaire, soit l’école en tant que voie d’émancipation relative aux rôles sociaux de sexe. La comparaison entre fils et filles d’une même famille montre des écarts sensibles, qu’il s’agisse des heures de travail investies, du temps consacré aux loisirs, ou encore des aspirations scolaires. Dans l’ensemble, les filles montrent une nette proximité scolaire qui s’imbrique bien avec les positions parentales : elles se positionnent en fonction de leur avenir en tant que femmes. Dans le cas de certains garçons, la distance entre les générations est plus nette, même quand les parents ont ajusté à la baisse leurs attentes. Le conformisme sur le plan des représentations des identités de sexe en amène certains garçons, dans la pratique, à reléguer au second plan les attitudes et les comportements associés à la réussite. Quel serait le contraire de la stéréotypie ? La réponse à cette question ouvre la voie à des interventions efficaces en vue du succès de tous et de toutes. Elle réside dans le développement d’une pensée critique par rapport aux identités de sexe assignées socialement. Celles-ci enferment les personnes dans des rôles sexuels prédéterminés qui limitent le potentiel de chacun. La pensée critique, on s’en doutera, est un outil particulièrement utile, tant à l’école que dans la société. Pour en savoir plus : BOUCHARD, P., St-Amant, J. C et C. Gagnon (2000). "Pratiques de masculinité à l’école québécoise", Revue canadienne de l’éducation, vol. 25, no 2 : 73-87. BOUCHARD, P. et J. C. St-Amant (2000). Familles, école et milieu populaire. Québec, Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire, 193p. BOUCHARD, P. et J. C. St-Amant (1996). Garçons et filles Stéréotypes et réussite scolaire. Montréal, Les éditions du remue-ménage, 300 p. Cet article est paru dans la revue Résonances, mensuel de l’École valaisanne, Suisse (8), avril 2002, 10-11. Mis en ligne sur Sisyphe mai 2003 |