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jeudi 5 juillet 2007

Le suicide des hommes, une problématique qui ne date pas du 21e siècle

par Katharina Mayenfisch, infirmière






Écrits d'Élaine Audet



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Ce texte est une réponse à certains masculinistes qui mettent les taux plus élevés des suicides masculins en lien avec un statut de victimes des hommes.

La différence entre taux masculin et féminin ne date pas d’aujourd’hui. Et cette problématique n’est pas propre aux pays occidentaux, dans lesquels les femmes se sont "libérées".

En effet, dans presque tous les pays du monde, les hommes se suicident en plus grand nombre que les femmes. Dans quelques pays seulement (Inde, Corée du Sud et à Singapour), les taux féminins sont proches de ceux des hommes alors que la Chine est le seul pays où les femmes se suicident davantage que les hommes (Baudelot et Establet, 2006).

Et l’importance du suicide masculin n’est pas une problématique nouvelle. En Suisse, l’évolution historique des suicides masculins montre que leurs taux ont été les plus élevés au tournant du 20ème siècle ainsi que dans les années 1930 et 1980, périodes marquées par des crises économiques (Office fédéral de la santé publique, 2005). Ainsi, actuellement le taux de suicide masculin est plus bas qu’au début du 20e siècle, période dont on ne peut pas précisément dire qu’elle était marquée par une égalité entre femmes et hommes. En fait, en 2000 la différence entre taux féminins et masculins était moins grande qu’en 1900 (17,5 points au lieu de 30 points, diminuant presque de moitié).

En fait, le taux de suicide augmente durant les phases de récession et diminue pendant les périodes de prospérité économique (Adjacic-Gross, 1999, dans OFSP, 2005). Selon les auteurs de ce rapport, il y a une forte corrélation entre le taux de suicide des hommes et les ventes forcées, les faillites et le chômage.

De nombreux auteurs s’accordent sur une association entre chômage et suicide masculin (Platt. 1984, dans Dulac, Platt et Hawton, 2000, dans Blakely, Collings et Atkinson, 2003), en particulier chez les jeunes hommes de 15 à 24 ans (Bourgoin, 1999, dans Firdion et Verdier, 2003) et chez les hommes adultes (Qin, Agerbo, Westergard-Nielsen et al. 2000, dans Hawton 2000). Blakely, Collings et Atkinson, (2003), dans une étude faite en Nouvelle Zélande dans la population de 18-64 ans, ont trouvé en particulier une forte association pour les hommes âgés de 18 à 24 ans. Selon Germain Dulac, les hommes sont plus vulnérables que les femmes à ce problème du fait de leur identité de genre qui est encore aujourd’hui étroitement liée à leurs performances dans le monde du travail. Le surinvestissement des hommes dans la seule sphère du travail a pour conséquence que les échecs professionnels sont particulièrement dévastateurs pour leur identité (D’Amours et Bisson, 1998, dans Dulac), avec un effet plus important sur l’estime de soi et le statut social (Hawton, 1998).

L’estime de soi et le bien-être des femmes pourrait être moins dépendants du statut professionnel et plus reliés à d’autres facteurs comme les relations personnelles.

La socialisation différentielle des sexes n’est certainement pas étrangère à ce phénomène. En effet, les garçons et les adolescents sont encore aujourd’hui socialisés dans l’optique du rôle traditionnel de pourvoyeurs économiques exclusifs ou principaux alors que dans les mentalités le salaire féminin est encore souvent perçu comme un salaire « d’appoint ».

Les différences de mortalité liée au suicide sont aussi à mettre en lien avec ce que Guionnet et Neveu nomment « la clause cachée du cahier des charges de la masculinité » (2004 : 222). Il s’agit des conséquences des « obligations » attachées à la masculinité tels la méfiance du féminin, des larmes, de la peur et de l’affect, l’obligation de faire face et l’interdiction de la faiblesse, l’agressivité, la compétition, la plus grande fréquence des comportements à risque, des abus de substances (alcool, drogue, tabac) et des accidents de toutes sortes (dont certains peuvent être des tentatives de suicide plus ou moins conscientes), le recours moins prévalent aux comportements préventifs, etc. Lors de leur socialisation, les garçons et les hommes ne sont pas encouragés à exprimer leurs sentiments. Ainsi la masculinité est aussi associée à un moindre contact avec sa vie intérieure personnelle et une obligation d’être fort, avec pour conséquence que « la souffrance des hommes est impraticable pour eux-mêmes » (Dulac:10). Hors, pour rechercher de l’aide, en particulier en matière de santé ou de soutien social, il est nécessaire d’être conscient de cette « souffrance ». De plus, comme les garçons sont socialisés dans l’idée qu’être indépendant est important, rechercher de l’aide peut signifier un signe de faiblesse, un signe de non masculinité (Dulac), ce qui peut avoir des conséquences sur leur recours au système socio-sanitaire.

Selon Dulac, l’émergence de certains facteurs de risques peut être favorisée par la socialisation, et il en donne trois exemples. Certains hommes qui se suicident pensent exercer un droit sur leur vie, exerçant par là un droit de propriété sur cette vie qui leur appartient. Dans une situation de souffrance, le suicide va être considéré comme un comportement acceptable, d’autant plus s’il est « réussi ». Et ces hommes seraient confortés dans leur idée du fait que les suicides masculins sont davantage admis alors que les tentatives le sont moins. Survivre à son suicide serait alors ressenti comme un échec, une incapacité à contrôler son destin et pourrait exposer l’homme à l’opprobre sociale. Le recours à des méthodes plus létales, telles les armes à feu ou la pendaison, rentrerait alors dans cette logique de « réussite ».

En Suisse, comme dans d’autres pays occidentaux, il y a des différences entre femmes et hommes au niveau des méthodes choisies, par exemple l’usage des armes à feu, plus souvent utilisées par ces derniers, et le recours aux médicaments, plus souvent choisi par les premières. Les méthodes plus violentes utilisées par les hommes ont un "effet destructeur immédiat" alors qu’une intoxication aux médicaments agit plus lentement, ce qui peut permettre que la personne soit secourue (Pommereau, 2001). Cela a pour conséquence, par exemple, qu’il y a un décès pour 22 tentatives de suicide chez les jeunes hommes âgés de moins de 25 ans alors que pour les jeunes femmes du même âge le rapport est de 1 pour 160. Hors les méthodes choisies sont aussi à relier avec la socialisation différentielle des sexes, les garçons étant davantage encouragés vers l’agir, la violence mise en scène (par exemple dans les jeux, dans les loisirs électroniques, dans l’importance donnée aux armes à feu, etc.) ou réelle (le plus souvent contre autrui), alors que la socialisation des filles poussent celles-ci à l’autocontrôle et à la violence retournée envers soi-même (tentative de suicide, anorexie, etc.).

Mais les taux de suicide plus importants chez les hommes ne doivent pas faire oublier les taux de tentatives de suicide féminins beaucoup plus importants (entre 2 et 4 fois plus) et la souffrance qui est à l’origine de ces tentatives.

Or, des préjugés sexistes peuvent conduire à minimiser les souffrances des adolescentes et des femmes parce qu’elles se tuent moins et à considérer leurs tentatives de suicide comme « pas sérieuses », étant donné qu’elles n’ont pas abouti à leur décès.

Bibliographie


. BAUDELOT Christian et ESTABLET Roger (2006), Suicide, l’envers de notre monde. Editions du Seuil, Paris.
. BLAKELY T. A. , COLLINGS S.C.D., ATKINSON J. (2003), « Unemployment and suicide, evidence for a causal association ? », in J Epidemiol Community Health no 57, pp.:594-600. Document en PDF.
. POMMEREAU Xavier (2001), L’adolescent suicidaire, Paris, Dunod.
. DULAC Germain, « Les difficultés qu’ont les hommes suicidaires à demander de l’aide ». Document en PDF.
. FIRDION Jean-Marie et VERDIER Eric (2003), « Suicide et tentative de suicide parmi les personnes à orientation homo-bisexuelle », Infothèque Sida, 3-4.
. GUIONNET Christine et NEVEU Erik (2004), Féminins/masculins. Sociologie du genre, Paris, Armand Colin Editeur.
. HAWTON Keith (1998), « Why has suidide increased in youg males ? », Crisis, 19/3 : 119-124.
. HAWTON Keith (2000), « Gender differences in suicidal behavior », British Journal or Psychiatry (2000), 177, 488-485.
. OFFICE FEDERAL DE LA SANTE PUBLIQUE (OFSP) (2005), « Le suicide et la prévention du suicide en Suisse », Rapport répondant au postulat Widmer (02.3251). Document à télécharger en pdf.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 15 mars 2007



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Katharina Mayenfisch, infirmière

L’auteure est infirmière en santé publique et étudie pour l’obtention d’un diplôme en Etudes Genres à l’Université de Genève.



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