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jeudi 29 mars 2007

Et si les enfants rois étaient plutôt des enfants proies

par Jacques Brodeur, consultant en prévention de la violence






Écrits d'Élaine Audet



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Les experts en marketing utilisent des moyens puissants pour manipuler nos enfants.

Le Québec est le seul endroit en Amérique du Nord où la loi interdit la publicité télévisée destinée aux enfants de moins de 13 ans. Cette loi, en vigueur depuis 1980, a fortement déplu aux télédiffuseurs et aux annonceurs. Lorsque les télédiffuseurs n’ont plus d’auditoires à vendre aux agences de marketing, leur commerce devient difficile. Ils ont donc contesté la loi québécoise de protection des jeunes consommateurs devant les tribunaux. La contestation judiciaire a duré neuf ans et au bout du compte, la Cour suprême a déclaré la loi ... constitutionnelle. Le plus haut tribunal du pays a jugé les restrictions à la liberté d’expression justifiées pour « protéger un segment de population vulnérable ». (1)

Lorsqu’une équipe de l’émission de télé radio-canadienne, Enjeux, a voulu fouiller la question, elle s’est demandé si la loi, malgré ses failles, avait quand même réussi à protéger les enfants ? (2)

Un marché convoité

Bon an mal an, nos petits voisins du sud sont sollicités par 40 000 annonces pendant qu’un enfant québécois voit 20 000 annonces publicitaires télévisées. À cause de la loi, les annonces diffusées chez nous ne s’adressent pas directement à eux, mais aux parents. La publicité a donc continué moins qu’ailleurs d’encourager les jeunes spectateurs à consommer et à s’inventer de nouveaux besoins. Les experts en marketing sont passés maîtres dans l’art de déguiser un désir superficiel en besoin essentiel.

Les intérêts en jeu sont énormes. Selon Enjeux, en 2006, les enfants du Canada ont dépensé près de 3 milliards de dollars en argent de poche. Ils ont aussi exercé des pressions sur leurs parents et influencé des achats totalisant 20 milliards de dollars. Du côté des annonceurs états-uniens, les budgets de publicité ciblant les enfants ont presque triplé depuis 1990, pour atteindre plus de 15 milliards aujourd’hui.(3) Une hausse de 2000% des budgets de pub destinée aux enfants. « Marketing targeted at kids in the U.S. is the fastest growing area of advertising in the country today. In 1990, around $100 millions was spent on advertising targeted at kids on television and just a decade later that number was up more than twenty times to over $2 billion. »(4)

Les stratégies des annonceurs

Depuis l’entrée en vigueur de la loi québécoise, les annonceurs ont cherché des moyens détournés pour atteindre les enfants, pour contourner la vigilance du législateur et celle des parents. La technique du placement de produits est un de ces moyens. Les cas les plus flagrants de placement de produit consistent pour une compagnie de cigarettes à payer les producteurs de films pour faire fumer leurs personnages. C’est rentable. Eux savent à quel point.

Dans le reportage d’Enjeux, on voit un extrait d’émission éducative diffusée par Télé-Québec où des enfants s’amusent avec des jeux de construction de marque Mega Bloks. Coïncidence ? Des sites Internet et des jeux vidéo pour les jeunes utilisent le même stratagème. Publicité cachée. Certains producteurs de jouets vont jusqu’à produire leurs propres émissions pour enfants. Hasbro produit, depuis 1980, des émissions destinées à leur faire désirer les prochains cadeaux de Noël. Mattel utilise le même procédé.

Le matraquage publicitaire est une autre arme très efficace auprès des enfants et la loi québécoise ne réussit pas à empêcher ce procédé. Le même message pouvait être répété jusqu’à trois reprises durant la même émission jeunesse.
Malgré toutes les failles de la loi, certains fabricants de jouets canadiens la perçoivent encore comme une mesure excessive. George Irwin, PDG de Irwin Toys, celui-là même qui a mené l’offensive contre la fameuse loi québécoise en 1980, estime que sa liberté d’expression commerciale est brimée. Selon lui, c’est pour des motifs politiques que la Cour Suprême a reculé devant le gouvernement québécois.

Au Canada anglais et aux Etats-Unis

À l’extérieur du Québec, diverses stratégies sont utilisées pour atteindre les enfants jusque dans les écoles, là où on pourrait les croire à l’abri. La chaîne de télé Channel One produit un bulletin quotidien de nouvelles d’une durée de 12 minutes, en se finançant avec la vente de 3 minutes de publicité. Au Canada, la chaîne Youth News Network (YNN) a tenté à maintes reprises de s’infiltrer dans les écoles en utilisant une formule similaire.

Une autre approche promotionnelle a connu le succès : moyennant des ristournes sous forme de livres ou d’argent, beaucoup d’écoles canadiennes deviennent membres de clubs privés, comme les Éditions Scholastic et Reader’s Digest. Scholastic se vante d’avoir retourné l’équivalent de dix millions de dollars en livres et en produits aux écoles canadiennes en 2004. Pour des connaisseurs en marketing, ce sont là des formes de publicité. Les parents qui s’y opposent sont obligés de protester étant donné l’absence de lois comme celle du Québec. Les entreprises privées, étant donné leur obligation d’augmenter les profits, ont une mission foncièrement différente de l’école qui veut préparer des citoyens et des citoyennes.

La publicité destinée aux enfants est bien présente à la télévision ontarienne. Les télédiffuseurs prétendent s’être réglementés eux-mêmes plutôt que d’être contraints par la loi. C’est durant la décennie 1970 qu’a été formé l’organisme « Annonceurs responsables en publicité pour enfants », financé par des entreprises comme Irwin, Hasbro, Mattel, McDonald, Télétoon, etc. Le groupe a préparé et offert aux écoles une trousse « d’éducation aux médias » qui prétend toucher un million de petit-es Canadien-nes. Pour les porte-parole de l’association, ce programme protège les enfants contre la publicité mieux qu’une loi puisqu’il leur apprend, très tôt, à porter un jugement critique sur les médias.

Ce programme est loin de faire l’unanimité chez les parents. D’abord parce que leurs concepteurs prennent bien soin de ne jamais faire de reproches aux agences publicitaires qui utilisent des moyens toujours plus puissants pour influencer les jeunes. Par contre, ils ne ratent pas une occasion de culpabiliser les « parents-qui-ne-protègent-pas-leurs-enfants ». Enfin, ces programmes donnent parfois l’impression que la responsabilité des dommages causés par la publicité revient d’abord aux jeunes consommateurs, trop naïfs ou trop gourmands. Jamais de blâme aux entreprises qui consultent des docteurs en psychologie pour apprendre comment harceler des enfants, comment leur enseigner à asticoter leurs parents (nag factor).

En 1980, les annonceurs prédisaient l’apocalypse : l’absence de revenus publicitaires aurait un effet désastreux sur la quantité et la qualité d’émissions pour enfants. Cette prédiction ne s’est jamais réalisée. La loi québécoise n’a jamais eu les effets redoutés sur la programmation offerte aux enfants. Lorsqu’au ministère des Affaires culturelles, objet d’un lobby insistant, on a voulu tirer l’affaire au clair, on a confié au chercheur André Caron, de l’Université de Montréal, le soin de comparer le menu télévisuel offert aux enfants de Toronto à celui offert aux petits montréalais, victimes de la « prohibition ». Conclusion ? Les enfants du Québec ont accès à des émissions plus nombreuses, de meilleure qualité, d’origines plus diverses.(5) La loi a donc permis d’atteindre ses fins, protéger les enfants contre la publicité. Protection imparfaite, mais protection quand même.

Canadien-nes et Québécois-es s’entendent au moins sur une chose. Les parents et les écoles devraient faire plus pour aider les enfants à aiguiser leur sens critique face aux médias. Lorsque l’Association des psychologues des Etats-Unis (APA) a publié ses études concernant l’influence de la publicité sur la santé des enfants, en 2005, le verdict a été clair : la société doit de toute urgence protéger les enfants.(6) Selon l’APA, les 40 000 pubs télévisuelles émises par les experts du marketing qui s’accumulent chaque année dans les jeunes cerveaux - sans compter celles transmises par les magazines, l’internet, les films, les émissions et les jeux vidéo - exercent un impact indéniable sur le taux d’obésité, les désordres alimentaires, la sexualité précoce et la violence juvénile, en plus d’inciter à la surconsommation et de miner l’autorité parentale. (7) Les psychologues des Etats-Unis concluent à la nécessité de réglementer la publicité destinée aux enfants. Ce que nous avons fait chez nous il y a plus d’un quart de siècle. Merci à ceux et celles qui, dans les années 1970, ont vu plus loin que le bout de leurs nez !

Notes

1. Jugement de la Cour Suprême du Canada, Irwin Toys ltd. contre Québec, 1989.
2. Émission Enjeux, Sylvie Fournier, Société Radio-Canada, Janvier 2007.
3. Fact Sheet, Campaign for Commercial-Free Chilhood, CCFC, février 2004,

4. Voir sur ce site.
5. "Les émissions pour enfants. Rentabilité économique ou rentabilité sociale, un choix de société", Revue Options no 20, André Caron, février 2000.
6. “La télé inculque des habitudes malsaines aux enfants”, selon l’Association des psychologues des États-Unis, Television Advertising Leads To Unhealthy Habits In Children, American Psychological Association, 23 février 2004.
7. "Why They Whine : How Corporations Prey on our Children", (Comment les publicitaires apprennent à nos enfants à asticoter), Gary Ruskin, Mothering Magazine, Nov/Déc 1999.

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 Du même auteur : « La prévention de la violence chez les jeunes »

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Mis en ligne sur Sisyphe, le 16 mars 2007.

On peut lire d’autres articles de Jacques Brodeur dans cette rubrique de Sisyphe ou sur le site EDUPAX.



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Jacques Brodeur, consultant en prévention de la violence
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Jacques Brodeur a enseigné durant 30 ans et œuvre comme consultant, conférencier et formateur dans les domaines de l’éducation à la paix, l’éducation aux médias et la prévention de la violence. On peut lire d’autres articles de Jacques Brodeur dans cette rubrique de Sisyphe ou sur le site EDUPAX.



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